Les frères Hughes sont suffisamment rares pour que le dernier de leur film attise une vraie curiosité. Le Livre d’Eli n’est que leur troisième long-métrage, après Menace II Society (1994, présenté à la Quinzaine des réalisateurs) et From Hell (2002), adaptation du roman graphique d’Alan Moore. Huit ans, c’est donc le délais qui leur est nécessaire pour sortir un nouveau film.
Le Livre d’Eli rend compte d’une vraie mode pour le cinéma post-apocalyptique. Il y a quelques semaines seulement sortait justement La Route, adaptation réussie du roman de Cormac McCarthy par John Hillcoat. Dans ses premiers instants, Le Livre d’Eli s’en rapproche un tout petit peu, avec notamment une même opposition entre survivants cannibales et ceux encore en phase avec une certaine idée de l’humanité.
Les frères Hughes n’ont pas comme seule ambition le divertissement, encore moins celle d’un film réaliste. Ils assument très clairement le message du film, c’est à dire son caractère messianique absolument écoeurant.
Le Livre que préserve Eli n’est rien d’autre que la Bible, la toute dernière édition de la Bible même. Le monde s’est fait la guerre trop longtemps en son nom et tous les ouvrages ont été brûlés pour ne plus que sa pensée fasse de ravage. Ils sont cependant encore au moins deux à ne pas douter de la puissance de ses écritures, et l’un (Gary Oldman) souhaite s’y référer pour embobiner plus de monde encore que les ignares qu’il a à sa botte dans la petite ville reconstituée qu’il contrôle.
Un relatif mystère plane pendant une demi-heure sur le livre, même si des pistes nous sont laissées pour que l’on devine de quoi il s’agit. Le film aurait donc très bien pu s’appeler La Bible et cela aurait effrayé une partie du public sans doute. Le Livre d’Eli, voila qui passe beaucoup mieux.
Après, s’il est efficace dans ses scènes d’actions, le film ne manque pas de nous écoeurer littéralement, tant le message du film est appuyé et répété. Denzel Washington incarne un Moïse des temps nouveaux. Il porte la parole divine et le Seigneur le protège en retour. Ca ne se limite pas à cette description là, il y a une véritable portée évangéliste et prosélyte avec ce film, assumée avec si peu de finesse qu’on est en droit de gerber ce que l’on essaye de nous faire gober.
Le film ne nous épargne pas non plus, essentiellement dans sa seconde partie, quelques scènes qui confine carrément au ridicule, sinon au pathétique. Mieux vaut en rire (cf. les scènes avec le couple de vieux cannibales) mais on est parfois proche de la consternation. Le plan final sur l’héroïne prête à en découdre encore est un peu le clou du truc. Les Frères Hughes s’autorise tout, sans retenue et c’en est assez effrayant. On peut leur accorder une vraie maîtrise visuelle, l’efficacité des séquences d’actions, des scènes parfois gentiment gores. Le rythme est également parfaitement bien tenu, mais il y a beaucoup trop de raisons de détester ce film par ailleurs et de haïr le héros messianique joué par Denzel Washington.
Benoît Thevenin
Filmographie des frères Hughes :
1994 : Menace II Society
2002 : From Hell
2009 : Le Livre d’Eli
Réalisé par Albert et Allen Hughes
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