Plongée dans le monde des bonsaï avec un livre d’Antoine Bueno qui avec force détails raconte comment on crée et entretien ces arbres minuscules … Un véritable art du beau…
J’ai beaucoup aimé ce texte très original d’Antoine Bueno qui ouvre des portes sur plusieurs interprétations possibles, j’en ai poussé quelques- unes mais, vous, en ouvrirez peut-être d’autres. Il faudra se souvenir de cet auteur et, s’il daigne nous gratifier d’autres publications, lire celles-ci pour voir si réellement un grand écrivain est né.
L’art du maître Bonsai décrypté par Antoine Bueno
Ce petit livre d’Antoine Bueno est un véritable manuel de création et d’entretien des bonsaïs, tout est décrit avec une grande minutie, les outils sont présentés en ordre de bataille, le travail est expliqué, décortiqué, l’état d’esprit est insufflé au lecteur comme une religion est répandue dans les foules. « Créer un bonsaï c’est poser un arbre sur une bascule, entre la nature et la mort. En équilibre précaire. Je pose des arbres sur des bascules. Et je les y maintiens en équilibre. C’est cela que je fais ». Le maître se fond progressivement dans le monde végétal et le bonsaï lui impose peu à peu sa loi et le prend comme la mer prend le marin. « J’ai quitté l’animalité. Je suis passé de l’autre côté. J’ai rejoint l’autre règne. C’est un secret. Cela ne se voit pas ».
Ce texte dépouillé, épuré à l’extrême, construit avec des phrases courtes, très courtes, où juste l’essentiel figure et doit même être répété pour être affirmé, évoque le langage usité par un homme relégué à la limite de l’Ordre du règne, le monde humain, en voie de mutation vers le règne végétal.
Un jour, une fille entre dans le magasin, elle aime les bonsaïs mais elle ne comprend pas l’esprit du maître, elle n’accepte pas que l’art du bonsaï soit un art de la contrainte, elle souffre de toutes les atteintes portées à la nature. Elle revient tout de même et emporte bonsaï que le maître lui offre. Les visites de la fille réveillent le maître bonsaï, lui rappellent des sensations, des mots, des choses, des événements qu’il a connus avant les bonsaïs et parallèlement la fille est de plus en plus perturbée, amaigrie, elle tangue, s’incline dans un déséquilibre préjudiciable comme s’il fallait que la vie de l’un soit payée par la vie de l’autre, comme si l’équilibre devait toujours être respecté, comme celui du bonsaï mis en équilibre entre la vie et la mort pour former une œuvre d’art. Le maître remonte de son néant végétal pour revenir à la vie de « l’Ordre du règne » alors que la fille s’enfonce dans les douleurs qu’on inflige à la planète et qu’elle porte comme des stigmates. « L’art du maître bonsaï, ce n’est pas la vie, c’est le beau. La vie est moins importante que le beau. Et pour que le bonsaï soit beau, il faut parfois que la vie reflue ». Ces transformations parallèles s’imbriquent dans le récit de la légende nipponne du Cerisier blanc, la légende de Tomida, qui s’enroule dans un discours écologique en forme de mythologie et les souvenirs mal éteints des atrocités d’une enfance balkanique.
« La planète est malade. Malade de l’homme… J’ai d’abord ressenti la fièvre… Sa fièvre. La chaleur… Des accès de fièvre… Comme ça, tout à coup, sans raison… Et le manque d’air… De plus en plus… » A la fin de ma lecture je ne savais toujours pas si cet exercice littéraire était prétexte à un coup de gueule écologique ou si ce plaidoyer écologique était l’opportunité d’un bel exercice littéraire. Mais tout cela importe peu, l’essentiel est de constater que le talent de l’écrivain peut traiter d’un sujet fondamental dans une forme littéraire d’une grande exigence. Et pourquoi le fond et la forme ne s’épouseraient-ils pas comme le rouge et le noir dans une célèbre chanson de Jacques Brel ?
Denis BILLAMBOZ