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Le piano de ma mère de Yann Queffelec : A toutes nos mères…

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Ils ont la mer pour horizon. Tous. Sans jeu de mot. Parfois elle prend la forme d’une mélodie : celle des sonates de Mozart. Elle suscite des rêves et des espoirs. Mais la folie est souvent au rendez-vous. Le piano rend parfois ivre. La famille est close sur elle-même et tant pis si le père navigue dans les mers lointaines pour trouver ses mots. Les Queffélec, c’est parfois ainsi. Bretons, d’abord.

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C’est une famille ordinaire. C’est-à-dire hors du commun ; comme toutes les nôtres. Et les fils sont amoureux de leur mère et effrayés par leur père. Cela va de soi.

Je revois la mienne, évidemment. Comment pourrait-il en être autrement ? Elle m’avait demandé de l’accompagner près de la Madeleine. Elle a acheté une robe blanche, évasée, qui laissait ses bras dégagés. Une robe blanche sur laquelle des sortes d’impressions génoises grises dessinent comme un grillage baroque. Elle l’accommodera d’un chapeau qui avoue les années cinquante. Blanc, lui aussi et étrangement entouré de petite fleurs blanches. C’est bientôt ma communion solennelle. Elle ne veut pas paraître moins élégante que ma tante qui accompagnera elle aussi son fils à l’église. Nous sommes deux enfants nés parallèlement de la libération.

Même s’il s’agit d’un romancier prolixe, je ne lis pas Yann Queffélec tous les ans. Je n’étais d’ailleurs pas au courant de cette espèce de querelle sulfureuse qui a flambé entre l’éditeur et l’auteur à propos de ce dernier livre « Le piano de ma mère ». Ni du fait que la trilogie commencée risque de rester parquée dans un premier tome inachevé. Mais ai-je besoin de savoir ? L’ouvrage avoue ses impudeurs. Passé la soixantaine, il nous vient à tous des impudeurs qui sont comme des confessions acceptées, au cas où…

Je l’ai lu dans le fil d’un voyage au long cours qui me conduisant des courtes nuits de la Norvège, aux nuits précoces de la Roumanie.

Y a-t-il une autre manière d’être écrivain qu’en se transformant en cannibale ? Peut-on vraiment imaginer un écrivain herbivore ou végétarien ? La chair est phrase. Elle court à la surface des corps et elle est faite pour mordre. Entamer l’épiderme là où les rides et les cicatrices dessinent des portes d’entrées minuscules.

Oui, ce livre peut paraître inachevé. Il y avait certainement tant à dire et de façon plus ambigüe. Et de la mère, et du père, et des frères et de la sœur. Voici uniquement des anecdotes qui s’ouvrent comme des chapitres, mais qui ferment aussi des cercueils. Certes, d’autres romans précédents en ont déjà trop dit. Et du désamour, et de l’amour fou, et de l’inceste musical. Des trop pleins de regrets.

Pourquoi avons nous jugé nos parents ? Pourquoi ne pas les avoir laissés tranquille ; vivre leur vie. Juste parce qu’ils nous ont dit que leur vie : c’était nous ? Il ne fallait pas les croire, ou plutôt ne pas les prendre à la lettre, au pied de leurs lettres !

Après la guerre, la souffrance, l’attente percluse d’espoirs déçus ; la vie en effet c’était nous. En costume de communiant, ou de bachelier. Nos années d’après-guerre. Nos années sans obstacle. Et tous les mois qui sont venus pour nous permettre d’expérimenter une société nouvelle ont compté double. Nous avons vécu doublement.

Nos propres enfants vivent sans guerre; avant ou après ; mais la violence est pourtant partout. Les mots sont devenus des balles. Où est leur espoir, sinon à écouter la sœur de l’écrivain jouer aujourd’hui Beethoven ou Satie. Personnage en creux, et pourtant cœur du livre, sœur indigne dont l’acharnement musical empêche tous les autres sons de nous parvenir. Et surtout les cris de désespoir.

A tout livre, il faut une citation. Celle-ci m’enchante : « – Joue-moi la Marche Turque

Elle joue par-dessus mes mains. Je deviens bon, je m’en vais, j’ignore où, j’ai l’impression que la plus jolie des filles m’enveloppe tout entier de son regard unique au monde et de son odeur de muguet. Que peut-il arriver de plus enivrant aux sens naissants d’un enfant que cette musique d’enfant jouée par une mère inquiète à l’idée que le soufflé vienne à brûler ?”

Que celui qui n’a pas aimé sa mère me jette la première note…et je vais réapprendre moi aussi « Le Gai Laboureur » dans le souvenir du piano droit qui est très vite devenu un support pour les plantes vertes.

Michel Thomas-Penette

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