Quatrième et dernière étape de notre « étude » des deux bas-reliefs de Ramsès II, dans la Crypte du Sphinx du Musée du Louvre. Où il est question de différencier deux types de relief égyptien.
Après avoir, dans mon précédent article, attiré votre attention, amis d’Ideoz, sur une des conventions de l’art égyptien en matière d’écriture hiéroglyphique, je voudrais aujourd’hui, me servant des deux monuments ramessides sur lesquels, dans la Crypte du Sphinx du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, nous nous sommes attardés les 25 et 29 novembre derniers, évoquer la notion de relief.
Un premier point, d’importance capitale à mes yeux, doit tout d’abord être rappelé : la sculpture, les reliefs, la peinture n’étaient employés chez les Anciens, en Egypte comme d’ailleurs dans les autres civilisations antiques, qu’en tant qu’éléments d’architecture.
En Egypte antique, en Mésopotamie, l’art par excellence fut l’architecture : dominant tous les autres, il les contient tous. Et quand sculptures, gravures ou peintures vinrent compléter le monument, elles épousèrent ses formes ou, telle la ronde-bosse, s’en détachèrent ; mais, toujours, en tant qu’accompagnatrices de premier plan, voire même en tant que partie intégrante.
Quant à la peinture, elle fut un complément indispensable puisque, ne l’oublions pas, tous les monuments, toutes les statues étaient jadis peints. Ce que certaines planches de la Description de l’Egypte qu’exécutèrent les artistes invités à suivre Bonaparte à l’extrême fin du XVIIIème siècle nous démontrent à l’envi.
Et ce que certains touristes, attentifs, auront peut-être décelé dans l’un ou l’autre coin bien protégé du soleil du temple de Karnak.
En tant que partie intégrante du monument, ai-je ci-avant indiqué : souvenez-vous en effet des deux bas-reliefs de Ramsès II qui constituaient en quelque sorte les parois latérales du petit sanctuaire à ciel ouvert entre les pattes du Sphinx de Guizeh, ainsi que de l’imposante Stèle du Songe de Thoutmosis IV qui y faisait office de mur de fond.
Intéressons-nous, une dernière fois, aux scènes quasiment identiques que l’artiste y a gravées. Ou, plus précisément, aux procédés qu’il a utilisés.
Petite remarque en passant : il n’existe pas, dans le vocabulaire égyptien antique, de termes pour désigner l’artiste, l’artisan : il était symptomatiquement – et j’ajouterais : poétiquement – appelé » Scribe des contours « . Ce qui démontre à nouveau l’étroite imbrication existant entre l’art et l’écriture. Il apparaît en effet que cet homme était tout à la fois celui qui dessinait une première esquisse, (comme aux temps les plus anciens étaient dessinés les hiéroglyphes avant qu’on ne les incise dans la pierre par la suite), qui gravait et enfin qui peignait.
Concernant donc nos trois monuments, avec un peu d’attention, vous aurez probablement tout de suite remarqué que sur la stèle de Thoutmosis IV, le roi et le sphinx dans le cintre, ainsi que le texte constituant le corps même du monument, sont gravés dans la pierre, tandis que sur les deux bas-reliefs de Ramsès II, ils ressortent légèrement par rapport au fond plat. Nous sommes ici en présence de deux procédés bien distincts caractérisant la gravure monumentale égyptienne : le relief et le creux.
Ainsi, sur B 18 et B 19, scènes et hiéroglyphes, étroitement mêlés comme dans toute décoration de l’Antiquité égyptienne, se profilent en léger relief, tout le champ du registre étant rabattu à plat autour de l’image. (Il vous faut bien évidemment imaginer ces deux pièces absolument intactes, sans altération aucune du temps, ou des hommes).
Il s’agit là d’un exemple de ce que l’on nomme la technique du bas-relief .
En revanche, sur la Stèle du Songe ci-dessus, scènes et textes sont gravés en creux, le champ du registre restant tout entier à son niveau normal.
Ces deux procédés, caractéristiques du décor que l’on peut tout aussi bien retrouver sur un petit monument que sur l’immense surface d’un mur de temple, ont coexisté depuis l’Ancien Empire jusqu’aux ultimes soubresauts de l’histoire de l’Egypte.
Ils ne furent toutefois pas employés indifféremment.
En règle générale, la gravure en relief servit au décor intérieur des bâtiments, tandis que celle en creux au décor extérieur.
Une raison, toute simple à l’évidence, motivait l’artiste quant au choix du procédé à utiliser ; une raison inhérente à l’environnement auquel l’oeuvre était destinée : une gravure en creux, exposée en plein air, donc aux rayons du soleil, à l’intense lumière du jour favorisant les jeux d’ombre et de lumière, ressortait nettement mieux qu’un léger relief. D’autant plus que ce creux pouvait entamer la pierre jusqu’à 2, 5 cm de profondeur !
Tout au contraire, le bas-relief, à l’intérieur d’un bâtiment, où l’éclairage est relativement réduit, apparaissait beaucoup mieux que le creux.
Ces déductions, ressortissant en fait au domaine de la physique, ont tout naturellement amené les artistes à élever le procédé en convention. C’est ainsi que le relief en creux employé dans un décor se trouvant à l’intérieur d’un temple signifie que l’on doit considérer la scène comme se déroulant au dehors. Inversement, l’emploi, dans le même décor, de la technique du bas-relief impose que l’on comprenne que la scène se passe à l’intérieur. Et il n’est absolument pas rare que sur le même monument, on retrouve mêlés les deux types de gravure. Ce qui lui confère une lecture d’autant plus pointue.
Le relief dans le creux, déjà utilisé à l’Ancien Empire, connut un développement encore plus grand à l’époque amarnienne, sous Aménophis IV donc. Peut-être parce que le soleil, lui qui permettait au creux un subtil jeu d’ombre et de lumière, y joua idéologiquement un rôle prépondérant ?
A son propos, certains égyptologues ont osé les termes de clair-obscur savant ou art optique.
Tout ceci nous prouve, si besoin en était encore, que l’artiste égyptien fut toujours préoccupé de donner à son oeuvre une signification précise. Simplement parce qu’il croyait au pouvoir de l’image.
En outre, cela corrobore ce sur quoi j’ai déjà eu l’occasion d’insister : l’image doit être interprétée à l’instar d’une inscription légendant une scène. Et dans une civilisation où, finalement, fort peu de gens étaient à même de lire et de comprendre un texte, cette conception de l’art se révèle d’une importance extrême.
L’art égyptien n’est pas impulsion, mais raisonnement.
Et nos trois monuments dans tout cela ?
Parce que gravée en creux, il est certain que la Stèle du Songe de Thoutmosis IV a bien été réalisée pour figurer dans cette petite chapelle à ciel ouvert, lovée entre les pattes du grand Sphinx de Guizeh. Alors que, manifestement, et parce qu’ils sont en léger relief, les deux monuments de Ramsès II, pourtant initialement placés au même endroit, avaient à l’origine vraisemblablement été prévus pour figurer à l’intérieur d’un bâtiment.
Lequel ? A l’évidence, l’Histoire ne nous l’apprendra jamais.
A moins que le Professeur Mortimer, ou Obélix, aient là-dessus une petite idée …
(Baud : 1978, 18-29 ; Lacau : 1967, 39-50 ; Vandersleyen : 1979, 16-38; Vandier : 1964, 9)
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