Pilar Albarracín nous avait régalés à la Maison Rouge de ses fantasmes de sexe, de sang, de vin, de violence et d’hispanidad. Au LAIT à Albi (jusqu’au 31 octobre), elle revient sur un terrain plus universel avec des installations grandioses dans les sombres caves voûtées du moulin un peu délabré au bord du Tarn qu’occupe ce centre d’art. C’est la fable, et en particulier La Fontaine, qui l’occupe ici, mais un La Fontaine mâtiné de Goya ou de Cattelan.
Dans une des salles, deux paons (et leurs ombres) jouent une parade de séduction, animaux vaniteux à la beauté éphémère, mais ce sont deux paons bien étranges, deux paons transgenres : un corps de femelle avec la roue de plumes d’un mâle, un corps de mâle dénué de tous ses attributs somptueux car greffé d’une ridicule queue de femelle aux plumes dérisoires. À quoi tient la séduction ? Par quoi nous laissons-nous tromper ?
La première salle est tout aussi trompeuse : un âne lit, juché sur une pyramide de livres usuels. Une vidéo vante les vertus de l’âne, animal doux et intelligent, célébré par un ânier andalou et philosophe, une autre montre l’artiste juchée sur un âne couché au sol, triomphante, silencieuse et paisible. Au-delà de la métaphore des livres et de la sagesse, c’est là encore le jeu d’ombre qui fait la séduction de la pièce.
On passe ensuite devant un mur de miroirs dépareillés, récupérés dans des brocantes, hommage à Narcisse et à la vanité : comme les paons vont nous le montrer, la séduction n’est que tromperie, la réalité n’est qu’illusion.
La troisième fable est celle de l’industrieuse fourmi, dans une immense cave où le pauvre insecte vertueux va être écrasé par une avalanche de sacs Tati rouges et blancs, tourbillon reposant sur une pointe soutenue par la fourmi ; les sacs d’immigrés sont comme soufflés, plaqués au plafond, en équilibre instable, proches de l’effondrement. Métaphore de notre monde, de sa fragilité économique et écologique, et de l’héroïsme des fourmis ouvrières, sans doute. Mais c’est aussi un agencement de formes et d’ombres, une lueur dans la caverne, une composition en pyramide faisant écho aux plumes du paon et aux livres de l’âne.
Tout est vanité, tout est illusion, ne nous reste que l’humour, la dérision, la fable.
En haut étaient présentées (jusqu’au 15 octobre) trois de ses vidéos, dont La Louve, repas partagé avec une louve, retour à une animalité tragique.
Photos 1, 4 et 5 de l’auteur. Photos 2 et 3 courtoisie du LAIT, vues de l’exposition Fabulations Centre d’art le LAIT, 2010 © Pilar Albarracín, Photos Phœbé Meyer. Photo 6 courtoisie du LAIT, She-wolf, 2006, performance © Pilar Albarracín, Courtoisie Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois & Galería Filomena Soares.