Il n’était pas évident que le Titanic de James Cameron puisse devenir le plus gros succès de l’histoire du cinéma (presque 2 milliards de dollars de recettes mondiale, record à battre). Avant sa sortie, le monde entier chroniquait le naufrage annoncé du film, d’autant que le cinglant échec commercial du Waterworld de Kevin Reynolds (1995) était dans toute les têtes. La démesure du projet de Cameron semblait irrationnelle.
Il n’était pas concevable que Titanic réussisse à rapporter plus d’argent qu’il n’en avait coûté. Le cinéaste lui-même n’était pas certain que le résultat de son travail soit rentable. Il alla jusqu’a renoncer à son salaire pour persuader les investisseurs de sa volonter d’aller jusqu’au bout de sa folie.
L’avantage de Cameron, c’est qu’il n’a jamais semblé gaspiller le budget dont il disposait pour ses films. Les moyens investit se voient à l’écran. Mieux, ils servent les histoires qu’il raconte. Si Titanic a nécessité entre 250 et 300 millions de dollars, c’est pour grande partie parce que le cinéaste à décider de recréer le Titanic. Le navire reconstruit (à une échelle un tout petit peu moindre) équivalait à un immeuble de 75 étages couché sur le côté et 64,3 millions de litres d’eau furent récessaires pour remplir le bassin pouvant contenir la maquette. Le projet paraît effectivement fou, déraisonnable, mais si le film est une réussite c’est précisément parce qu’il était nécessaire de se laisser aller à cette folie des grandeurs.
Titanic est un film de trois heures qui se déroule presque entièrement sur le navire. Le bateau devait être assez grand et assez détaillé pour que la caméra puisse se balader à l’intérieur, pour éviter au spectateur le piège d’être enfermé dans un même lieu, un même décor étriqué. James Cameron construit à l’intérieur du bateau un vrai récit d’aventure, avec là encore une véritable dimension épique et cette classique lutte entre le bon et le méchant pour le coeur de la belle.
Ce n’est qu’un aspect du film, bien entendu, Titanic étant surtout connu pour sa grande histoire d’amour, souvent comparée avec celle d’Autant en emporte le vent. Elle est effectivement centrale puisque c’est au nom de l’amour que les personnages paraissent héroïques, c’est au nom de leur amour que le spectateur vibre pour leur courage, et leur volonté farouche de, sinon s’en sortir, d’être ensemble. Personne n’était dupe que le bateau coulerait, il fallait bien que le principal ressort narratif se trouve ailleurs.
Le couple de héros est incarné par Leonardo DiCaprio et Kate Winslet, deux jeunes acteurs (23 et 22 ans au moment de la sortie du film), encore méconnus. La sortie quelques mois avant Titanic du Romeo + Juliette de Baz Luhrmann (avril 1997) a permis d’augmenter la côte romantique d’un acteur à la beauté insolente qui commence déjà à faire chavirer bon nombres de coeurs. Kate Winslet, révélée par Peter Jackson avec Créature Céleste (94), s’était elle faite aussi remarquée dans Raison et sentiments d’Ang Lee (95). Aucun des deux n’étaient encore une star, ce qui allait ensuite être le cas grâce à Titanic. Plus que de beaux jeunes gens, Leonardo et Kate sont deux comédiens fabuleux, sur les épaules desquels le poids du film pèse mais est admirablement porté.
A l’instar de Sigourney Weaver dans Aliens, le retour, ou Linda Hamilton dans Terminator, Kate Winslet se voit offrir le rôle d’un personnage fort et passionnant. La véritable héroïne du film, c’est bien elle, bien qu’avec DiCaprio ils rivalisent assez de ce point de vue là. Rose est la véritable héroïne parce que c’est toujours elle qui donne l’impulsion au récit. C’est elle qui prend à chaque fois la décision qui fait basculer la narration dans un nouveau cycle d’épreuves, qu’elle s’arrache pour sauver la vie d’un Jack menoté et sur point de se noyer, ou qu’elle s’échappe de son cannot de sauvetage pour rester à la vie à la mort avec Jack.
L’histoire de Jack et Rose a autant à voir avec l’héroïsme pur et dur qu’avec le romantisme le plus fou. De quoi séduire tous les publics. James Cameron nous fait le portrait d’une invraisembable passion – si tant est qu’une passion puisse être raisonnable – sans céder à la mièvrerie. C’est l’une des forces du film, car l’amour naissant entre ces deux là est si brut, si fort, qu’il n’est finalement nul besoin d’être tant fleur bleu que cela pour s’y attacher. Leur histoire est vue sous l’angle de la pulsion la plus incontrôlable, ils sont deux êtres de chairs qui réagissent à absolument toutes les épreuves qui se présentent face à eux, ils sont porteurs d’une foi inébranlable qui n’a pas que à voir avec le seul sentiment amoureux. De fait, un véritable souffle de vie parcourt le film qui nous permet d’être maintenu en haleine malgré que le spectateur sache pertinement comment l’histoire va se finir, parce que simplement on est pris par cet espoir de voir le couple préservé quand même, malgré la catastrophe.
Le récit de James Cameron s’accompagne par ailleurs d’un message qui parcoure continuellement son oeuvre. Tous ses films explorent plus ou moins la question de notre relation à la technologie, que ce soit pour le meilleur ou pour le pire. Sur les quais de Southampton en 1912, le Titanic témoigne fièrement du progrès technique réalisé par l’Homme. Si le Titanic finit par couler, c’est moins à cause des failles dans sa conceptions que parce qu’il est mal dirigé. Or, c’est là l’objet de tout le travail de James Cameron, que l’on retrouve y compris dans sa propre démarche de réalisateur et son propre rapport aux techniques de cinéma qu’il contribue à developper. La technologie n’est pas un problème en soi, elle le devient quand elle est la propriété de mauvaises mains.
En l’occurence, James Cameron se révèle le parfait commandant pour un projet de cette ampleur. Que ce soit d’un point de vue narratif ou technique, Titanic est impressionnant d’un bout à l’autre. Cameron tient si bien la barre que l’on se rend pas compte de l’heure et demie déjà écoulée avant la rencontre avec l’Iceberg. On est éprit par l’histoire d’amour de Jack et Rose, classique mais très efficace, jusqu’au choc fatal. Ensuite le film bascule dans une autre dimension, avec des images proprement sidérantes, lorsque le bateau se brise en deux, ou celles finales des passagers qui meurent dans l’eaux glacée, le tout dans un quasi temps-réel.
L’idée d’un film sur le Titanic a germé dans l’esprit de James Cameron alors qu’il effectuait des recherches pour Abyss. Le cinéaste était fasciné par les nouvelles technologies utilisées pour explorer l’épave du vaisseau réputé insubmersible. Quelques années plus tard, pour Titanic, Cameron s’est payé le luxe d’une descente à 4000 mètres de profondeur pour filmer et visiter l’épave. Ces séquences ne paraissent pas essentielles au récit. On peut tout aussi bien imaginer l’histoire de Jack et Rose en faisant l’impasse sur ces aller-retour entre présent et passé au moment de la catastrophe. Le film durerait peut-être une demi-heure de moins mais ne serait plus tout à fait le même. Ces retour au présent permettent à la narration de reprendre un peu de souffle aux instants clés. Surtout, elles permettent au réalisateur d’imprimer complètement son empreinte sur ce film (cf. les robots explorateurs) et même de projeter son image dans le récit. Il est difficile de ne pas voir dans le personnage joué par Bill Paxton, la propre figure du cinéaste. Tout deux sont animés par un même esprit de défi et de quête. Ils sont deux commandants hantés par un rêve fou qu’ils poursuivent quand même.
James Cameron aura finalement prouvé qu’il avait raison. Le triomphe insensé au box-office (21 millions d’entrées en France, par exemple) s’accompagne du triomphe aux Oscars (11 statuettes dont celles du meilleur film et du meilleur réalisateur). Public, critique et professionnels se réunissent pour saluer la réussite d’un film pourtant programmé pour être un échec, mais conduit contre vents et marées par son réalisateur, pour le résultat que l’on connaît donc maintenant.
La carrière des deux interprètes principaux et bien lancée. Leonardo DiCaprio et Kate Winslet se retrouveront ensemble à l’affiche des Noces Rebelles (2009) film qui parvient, entre autre, à désacraliser le couple emblématique de Titanic…
Benoît Thevenin
Avec Leonardo DiCaprio, Kate Winslet, Billy Zane, Bill Paxton, Gloria Stuart, Kathy Bates, Frances Fisher, Victor Garber, Bernard Hill, David Warner, Jonathan Hyde, Mark Lindsay Chapman, Lewis Abernathy, Danny Nucci, Suzy Amis, Jason Barry, …
Année de production : 1997
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