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« L’Europe de Rubens », au Louvre Lens

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On ne peut guère évoquer la peinture de Pierre Paul Rubens (1577-1640) sans qu’apparaisse dans l’inconscient collectif une foule d’images de nudités féminines forcément plantureuses. Déjà au XIXe siècle, lorsque la critique s’offusquait des nus solides et réalistes de Gustave Courbet, la comparaison semblait s’imposer. Et si le modèle présentait un embonpoint plus marqué encore, on faisait alors appel, non sans raison s’agissant la Baigneuse du Salon de 1853, à Jacob Jordaens (1593-1678)…

Or, l’art de Rubens ne se réduit pas à cet étalage de chair, fut-il génialement peint. Et c’est l’un des grands mérites du Louvre Lens d’avoir évité ce cliché à l’occasion de la très intéressante exposition qu’il accueille jusqu’au 23 septembre 2013, intitulée L’Europe de Rubens. Celle-ci ne réunit pas moins de 170 œuvres d’une grande diversité, peintures, dessins, gravures, sculptures, tapisseries et objets d’art provenant des fonds du Louvre, mais aussi de grandes collections publiques et privées internationales. Dans un souci d’établir des passerelles thématiques et artistiques, seule une moitié des pièces exposées est de Rubens, mais ce qui frappe le visiteur, c’est leur extrême qualité, voire leur rareté, certaines n’ayant jamais été montrées en France.

Replacer ce peintre majeur dans son environnement européen ne manque pas de finesse, car Rubens, davantage que la plupart des artistes de son siècle, sut parcourir le vieux continent. En tant qu’artiste, bien sûr, il voulut se confronter aux grands maîtres, puiser des influences ou répondre à d’innombrables commandes officielles ; ce que l’on sait moins, c’est que ce fils de la petite bourgeoisie voyagea aussi en tant que diplomate, homme d’affaires, voire conseiller de princes dont certains l’anoblirent – une étonnante carrière, cas pratiquement unique dans l’histoire de l’art ! Rome, Madrid, Londres, Anvers et Paris ponctuèrent son parcours infatigable. Il est, à ce propos, surprenant que cette étape française, pourtant importante dans sa vie, soit si peu présente dans l’exposition.

L’Europe de Rubens… Il ne faudrait cependant pas se méprendre sur le sens des mots : le peintre n’avait rien d’un Européen convaincu, dans l’acception contemporaine du terme qui tend vers le fédéralisme et la supranationalité. Comme le souligne Blaise Ducos, le commissaire de l’exposition, il était « l’homme d’un parti, d’un clan, d’une dynastie, d’une religion » ; en d’autres termes, l’homme des Habsbourg, de l’Espagne et de la religion catholique dont il ne fit jamais mystère de servir la cause dans cette période de reconquête née de la Contre-réforme.

C’est ce que met en lumière le parcours muséographique qui s’attache d’abord à situer le peintre dans son contexte historique, avec deux bustes du Bernin (Thomas Baker et Le pape Grégoire XV), un monumental portrait de Marie de Médicis et un autre de l’archiduc Albert de Habsbourg par Frans Pourbus le jeune, un inquiétant portrait du sinistre Fernando Alvarez de Toledo (copie du Titien par Rubens) ou le célébrissime Charles Ier d’Angleterre par Van Dyck. On pourrait encore citer celui d’une Jeune femme tenant un rosaire, qui prouve que l’artiste se révélait un portraitiste de grand talent.

Après ces peintures de cour, le parcours se poursuit sur le thème « Emotion religieuse et foi baroque », où l’on notera la présence d’une copie en terre cuite de La Bienheureuse Ludovica Albertoni du Bernin au visage extatique (moins toutefois que l’orgasmique Transverbération de saint Thérèse conservée à Rome), une intéressante Lamentation sur le corps du Christ mort de Rubens, plusieurs gravures du même (plus laborieuses et destinées à l’édification des fidèles) et un Christ en croix d’une belle facture sombre, naturaliste, préfigurant le réalisme, comme l’avait souligné Pierre-Joseph Proudhon. Le visiteur retrouvera toutefois le style baroque de Rubens dans la section «Monumentalités éphémères» et des œuvres allégoriques comme La Paix étreignant l’Abondance ou L’Angleterre et l’Ecosse avec Minerve et l’Amour.

D’autres pièces maîtresses figurent dans le parcours proposé, telle Léda et le cygne que le commissaire eut l’excellente idée de rapprocher d’un burin antérieur de Cornelis Bos, puisqu’elle en figure l’interprétation à l’huile. Ou l’exceptionnel Grand camée de France prêté par la BnF, travail romain du début de notre ère que Rubens reproduisit sur toile. Riche également est la réunion de gravures et surtout de dessins consacrés au corps, à l’anatomie, qui donne la mesure de l’admiration que le peintre éprouvait pour Michel-Ange. On retrouve d’ailleurs l’influence du maître toscan dans une grande toile, Prométhée supplicié. On notera enfin la confrontation de deux autoportraits magistraux, l’un de Rubens, l’autre du Bernin, lequel sculpta une Méduse ici exposée, chef-d’œuvre de dextérité dans le travail du marbre de Carrare.

Depuis l’ouverture de L’Europe de Rubens, il fut reproché au Louvre Lens une muséographie trop austère. Cette sobriété, tout au contraire, sert les œuvres exposées qui auraient souffert d’un décor baroque, par trop envahissant. Le seul grief que l’on puisse faire concerne le beau catalogue (360 pages, 39 €), certes remarquablement illustré, mais uniquement composé d’essais. Bien que ces derniers soient fort pertinents, on regrettera l’absence de notices sur les objets exposés, les rédacteurs s’étant limités à en dresser la liste en fin de volume.

Illustrations : Pierre Paul Rubens, Autoportrait, huile sur bois, vers 1628-1630, Rubenshuis, Anvers © Collectiebeleid – Pierre Paul Rubens, Jeune femme tenant un rosaire, vers 1609-1610, huile sur bois, 107 x 76,7 cm, Madrid, Museo Thyssen-Bornemisza © Museo Thyssen-Bornemisza –  Pierre Paul Rubens et Frans Snyders, Prométhée supplicié, 1611-1612, huile sur toile, 242,6 x 209,5 cm, Philadelphie, Philadelphia Museum of Art © 2013. Photo The Philadelphia Museum of Art/Art Resource/Scala, Florence – Atelier romain actif sous l’empereur Tibère (14-37 après J.-C.), Le Grand Camée de France (Gemma Tiberiana), « L’Apothéose de Germanicus », vers 23 avant J.-C., Pierre décorative (sardoine à cinq couches), 31 x 26,5 cm, Paris, Bibliothèque nationale de France © BNF

Thierry Savatier

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