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L’histoire d’une terre engloutie : la Béringie

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Les histoires de territoires engloutis, de mondes perdus, ont toujours fasciné l’esprit humain. Une de ces histoires eut pour cadre l’endroit occupé aujourd’hui par le Détroit de Béring, qui sépare l’Alaska (Etats-Unis) de la Sibérie (Fédération de Russie). Les eaux sombres du détroit, battues par les vents glacés, rencontrent au nord celles de l’Océan Glacial Arctique.

Pendant des milliers d’années, le “Pont de la Béringie” a uni l’Asie et l’Amérique.
Nous vous proposons de découvrir son histoire.

 

En 1937, le botaniste suédois Eric Hulten, constatant de fortes similitudes dans la végétation des deux rives du Détroit de Béring, en a déduit qu’un « pont » terrestre devait unir la Sibérie et l’Alaska, il y a des milliers d’années. Ce territoire faisait partie du vaste sous-continent que Hulten désigna sous le nom de « Béringie » et qui s’étendait du fleuve Lena, en Sibérie, jusqu’au Mackenzie, dans les Territoires du Nord-Ouest (Canada). Au cours des dernières décennies, les efforts de scientifiques passionnés –parmi lesquels il convient de mentionner le géologue américain David M. Hopkins- mirent en lumière la longue histoire et les curieuses particularités du pont intercontinental.

Ce dernier apparut à deux occasions : il y a 40 000 ans –pour une période de quelque 4000 ans- puis entre approximativement 23 000 et 8000 avant J.-C. La glaciation du Wisconsin, qui commença il y a 70 000 ans et prit fin il y a 10 000 ans, avait recouvert d’épaisses couches de glace l’Amérique du Nord et une partie de l’Asie, retenant les précipitations sur les continents et provoquant, en conséquence, une baisse de 120 mètres du niveau des océans. Dans le Détroit de Béring, dont la profondeur actuelle oscille seulement entre 30 et 60 mètres, le retrait des eaux découvrit une bande de terre qui, en certains endroits, a pu atteindre une largeur de 1 200 km.

Dans ce monde aujourd’hui disparu, il faut imaginer une série de plaines dominées par quelques montagnes. La pluie et la neige étaient arrêtées par les sommets des glaciers et des montagnes situés en Sibérie et en Alaska, ce qui entraînait, sur le Pont de la Béringie, un climat étonnamment doux mais très sec, qui ne permettait pas l’apparition de forêts ; le paysage ne montrait que de l’herbe et des sols dénudés. Ce territoire apparemment austère représentait un refuge pour plusieurs espèces d’animaux (dont certaines ont disparu depuis) qui trouvaient ici des conditions de survie plus clémentes que sur les interminables glaciers. Les mammouths, chevaux, bisons et caribous broutaient allègrement l’herbe abondante, mais étaient chassés par des prédateurs tels que les tigres à dents de sabre, les ours géants ou les loups. Le Pont a favorisé les migrations d’espèces animales entre l’Asie et l’Amérique, et inversement.

La concentration de cette faune a certainement attiré celui qui s’affirmait déjà comme le principal prédateur de la planète : l’homme. Au Paléolithique Supérieur (33 000 – 8000 avant J.-C.), nos ancêtres développèrent considérablement leur organisation sociale, leur culture matérielle, les systèmes de transmission des idées et des connaissances et les expressions artistiques, qui se manifestaient dans les peintures rupestres, les figurines et les os gravés. Pour l’homme paléolithique, le mammouth revêtait un intérêt particulier, et pas seulement pour sa chair : on tirait partie de ses os et défenses pour la confection d’outils variés, d’objets rituels ou symboliques et d’abris à l’épreuve des extrêmes conditions climatiques. Pour abattre les gigantesques pachydermes, les chasseurs de la Béringie préhistorique utilisaient des lances pourvues de pointes de silex finement élaborées ainsi que d’efficaces tactiques d’encerclement du gibier. Les activités de chasse auraient amené les humains au Pont de la Béringie, et de là, aux terres vierges de l’Amérique.

Il y a plus de deux siècles, l’illustre homme politique et philosophe américain Thomas Jefferson (1743-1826), qui effectua des recherches sur des sites précolombiens des Etats-Unis, soutenait déjà que les ancêtres des Indiens d’Amérique étaient venus d’Asie en traversant le Détroit de Béring. L’idée que la Pont terrestre de la Béringie ait été une route permettant la migration de groupes humains en Amérique est largement acceptée par les chercheurs depuis les années 1950. Récemment, un autre modèle a été proposé, par les côtes de la Béringie. Cependant, dans tous les cas, les preuves irréfutables se font désespérément attendre alors que surgissent toujours plus de questions.

Si l’on ne peut nier les similitudes entre les sociétés paléolithiques de l’Extrême-Orient russe et celles de l’Amérique du Nord, on relève également des différences significatives.

Certaines expressions artistiques importantes, présentes en Asie, comme par exemple les figurines féminines connues sous le nom de « Vénus », ne se retrouvent pas sur le continent américain.

Dans le domaine technologique, des traditions distinctes se sont développées sur les deux continents, particulièrement pour ce qui touche aux si cruciales pointes de projectile. Les pointes de type Clovis (du nom d’une localité du Nouveau-Mexique où ont été découverts plusieurs spécimens), dont les plus anciennes ont plus de 13 500 ans, permettent de définir une des premières cultures américaines.

Il n’a pas été possible de démontrer, jusqu’à présent, que les pointes Clovis dérivent d’une technologie asiatique.

D’autre part, les sites les plus anciens du continent américain –comme, par exemple, celui de Monte Verde (Chili), qui a plus de 33 000 ans- posent un sérieux problème. On suppose en effet que jusqu’à 12 000 avant J.-C., les énormes couches de glace qui envahissaient l’Amérique du Nord empêchaient pratiquement le passage des hommes. D’autre part, certains établissements –comme celui de Topper, aux Etats-Unis, qui aurait quelque 50 000 ans- pourraient même être antérieurs à l’apparition du Pont de la Béringie. Ces éléments tendraient à suggérer que le continent ait pu être peuplé par plusieurs routes.

En 1954, l’éminent archéologue J. Eric S. Thompson avait prévenu, dans son livre Grandeur et décadence de la civilisation maya : « Tout ce problème de l’homme primitif dans cette partie du monde est très complexe et encore loin d’être résolu. » On pourrait dire la même chose aujourd’hui, en dépit des progrès de la science. Il reste beaucoup à découvrir dans les froids et sauvages territoires du Grand Nord. Malheureusement, la mer, qui a repris ses droits sur le Détroit de Béring, garde jalousement de précieuses informations archéologiques.

Illustrations :

1. Les froides eaux du Détroit de Béring séparent la Sibérie (Fédération de Russie) de l’Alaska (Etats-Unis).

2. La chasse au mammouth a pu attirer les hommes préhistoriques sur le Pont de la Béringie.

3. Chasseurs paléo-indiens guettant un troupeau d’une espèce aujourd’hui disparue de bisons. Dessin : University of Nebraska State Museum.

4. « Vénus » paléolithique de Russie. Curieusement, on ne connaît pas de figurines de ce genre sur le continent américain. Photo : J. Jelinek.

5. Pointe de projectile de type Clovis découverte au Guatemala. Photo : Musée Popol Vuh, Guatemala.

Sébastien PERROT-MINNOT

Article paru le 25 janvier 2009 dans la Revista D, supplément dominical du journal Prensa Libre (Guatemala).

Traduit de l’espagnol

Sébastien Perrot-Minnot

1 commentaire pour “L’histoire d’une terre engloutie : la Béringie”

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