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Liban 2012 (5/6) : Le regard de Mahmoud Hojeij

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Acte 1 : La scène pourrait se passer n’importe où dans le monde, pourvu qu’il y ait un vaste plan d’eau et un rivage opposé ouvrant sur une chaîne de montagne ou de hautes collines, dans le calme de l’aube ou du crépuscule. Terre mystérieuse, espérée, maudite, promise, objet de convoitise ? Il est trop tôt pour choisir. Nous sommes le 7 avril 2010 et le photographe – Mahmoud Hojeij – prend une série de clichés pendant 48 minutes, juste le temps de décliner un camaïeu de bleu dans toutes les nuances où il pouvait se diluer, du blanc cru au fondu au noir. A moins qu’il ne s’agisse du contraire, l’essentiel n’est manifestement pas là. L’image propose au spectateur une scène paisible, trop paisible pour être honnête, de cette paix « d’entre deux guerres » propice à la vie stagnante dont m’avait parlé Zena Assi Ce plan d’eau absolument désert ressemble à une frontière, un « no man’s land ». Et l’on ne peut s’empêcher de penser au Rivage des Syrtes de Julien Gracq, roman de la solitude, de la torpeur, de la crainte devant l’inconnu symbolisé par l’autre rive, source d’obscurs et menaçants fantasmes. Est-ce le Farghestan ? Nous y sommes presque. Le photographe se trouve sur les bords de la mer Morte ; face à lui, s’étend une parcelle de cette terre qu’au Liban on appelle Palestine, en d’autres termes Israël. Le lieu n’a rien d’anodin.

Acte 2 : Avant ou après les prises de vue, cela n’a aucune importance. Un robinet mélangeur tombe en panne. Mahmoud Hojeij veut le faire réparer ; le plombier s’étonne : aujourd’hui, on ne répare plus, ce serait du rafistolage, il est plus facile de le remplacer par un robinet neuf. Fin de séquence.

Aucun rapport direct, ni même simplement logique, ne relie ces deux actes. Sauf pour cet artiste. A partir de ces deux tranches de vie distinctes, Mahmoud Hojeij élabore un travail qui a été présenté en septembre dernier à la galerie Agial de Beyrouth. « We need to talk » (« Il faut qu’on parle »), tel est le titre de cette exposition peu conformiste où sont réunies 20 œuvres photographiques (certaines étant des polyptiques) prises le 7 avril 2010, en l’état ou transformées par le créateur. L’artiste s’interroge – et, plus encore, nous force à nous interroger – sur deux situations : la société de consommation et la question palestinienne.

D’un côté, on ne répare plus les objets endommagés ; le remède imposé est plus radical : le remplacement, c’est-à-dire le triomphe du consumérisme (ou de la surconsommation, comme on voudra). Certaines œuvres viennent appuyer la réflexion, où l’artiste fixe sur la photo même des objets en apparence incongrus, mais voués à la destruction faute de pouvoir être remis en état : une serrure rouillée et sa clef, un bornier, un mécanisme d’antique machine à écrire, une pièce de carter d’une Harley-Davidson, un morceau de panneau routier « Stop », un vieux radiateur de voiture, un silencieux de pot d’échappement percé, une commande d’ascenseur, un miroir de salle de bain, etc. Et, naturellement, le fameux robinet-mélangeur sans lequel cet inventaire à la Prévert ne serait pas complet.

De l’autre côté, sur la Palestine, l’artiste considère que, plutôt que d’apporter une solution définitive, la société (les protagonistes en présence et la communauté internationale) préfère multiplier les rafistolages et éviter d’aborder frontalement les vrais questions pour obtenir un statut durable.

Derrière l’approche insolite, minimaliste, synthétique, surgit une interrogation sur ces dysfonctionnements. Les titres des œuvres, qui commencent tous par le préfixe « re » exprimant une répétition, un recommencement (recycle, reorder, rediscover, reframe, etc.) ne sont, à cet égard, pas innocents. Mais Mahmoud Hojeij pose le problème sans pour autant le résoudre ou porter un jugement de valeur définitif ; il n’est pas un homme politique, mais un artiste qui tente d’éveiller les consciences, d’inviter le spectateur à la réflexion, voire à entrer dans le débat : « We need to talk. »

Illustrations : Replay, 100 x 75 cm, photographie – Relay, 90 x 60 cm, photographie et technique mixte, 2012 –  Return, 111 x 55 cm, photographie et technique mixte, 2012 –  Resolve, 60 x 60 cm, photographie et techniques mixtes, 2012. © Galerie Agial, Beyrouth.

Thierry Savatier

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