Aller au contenu

L’Oneguine de Warlikowski ou l’inversion du point de vue

Votre séjour en Croatie est unique ; notre expertise l’est aussi! Pour mieux préparer vos vacances, consultez le guide voyage Croatie et téléchargez les Ebooks gratuits : conseils pratiques, idées de visites et bonnes adresses.  

 

 

Sur la mise en scène d’Eugène Oneguine par Warlikowski (Munich, 2007)


Pas de rideau, on n’entre pas dans la salle d’opéra mais dans un club où sont réunis les amis de Madame Larina et d’Olga.

 
 

L’action de l’Oneguine warlikowskien débute dans la nuit du 20 au 21 juillet 1969 peut-être près de Moscow Ohio ou de St Petersburg Florida dans un cercle où sont réunis les nombreux amis  (figurés par le choeur par 90) de Madame Larina, deux grandes salles contigues dont les grandes fenêtres donnent sur un paysage semi-industriel peut-être d’autoroutes et de panneaux publicitaires vantant par exemple la  Carlsberg. Une société où les hommes et les femmes vivent le plus souvent séparés. A gauche la vaste salle de billard où les hommes sont appuyés contre un grand mur aux parois miroitantes. A droite la société des femmes causent en fumant et buvant dans des fauteuils clubs aux couleurs pastels et regardent la télé dont le mini écran (fin des années 60 oblige) diffuse une compétition de patinage artistique sur des musiques convenues, russes ou viennoises. Au fond, devant les baies vitrées des machines à sous, des bandits manchots. Les amies font tapisserie pendant que Madame Larina, Madame Filipjewna et les deux filles Larin discutent des choses de l’amour avec des points de vue différents liés à l’âge et à l'(in)expérience. On s’habille en pantalons pattes d’éléphant ou en mini-jupes, la mode est au post-hippie romantique coloré, on a déjà intégré Courrèges et Mary Quant, les femmes aiment les coiffures en coques gonflées par l’hairspray. Pour se divertir, on chante des chansons d’amour dans des micros comme pour un radio-crochet, ou on danse le twist, mais Tatiana préfère la lecture, elle est plongée et absorbée dans un livre, grande adolescente gauche et mal grandie, en retrait de l’agitation du cercle. Olga est amoureuse et attend l’élu de son coeur.

 
C’est la première inversion, le déplacement de l’action, si l’opéra est encore chanté en russe,  la mise en scène de Krzysztof Warlikowski ne se situe plus dans les milieux de l’aristocratie russe provinciale mais beaucoup, beaucoup plus à l’ouest. Le déplacement du point de vue dérange, on est placé dans un autre opéra, pas celui que l’on connaissait jusqu’ici, aussi mal à l’aise que cette jeune fille contrainte de se déplacer dans un corps de femme qui n’est pas encore le sien et d’y vivre des émotions qu’elle ne maîtrise pas encore tant elles lui sont encore inconnues sinon par poésie interposée.

Lorsqu’arrivent Lenski et Oneguine, après les présentations, Warlikowski se plaît sans attendre  à mélanger les couples, d’entrée de jeu : il assied les  jeunes sur quatre fauteuils alignés en devant de scène en plaçant Tatiana entre Olga et Lenski, ce que contraint les amoureux de se parler par-dessus  la tête de la jeune fille et donne lieu à une premier chassé-croisé, Tatiana faisant de même avec Oneguine.

La petite télévision ponctue le temps du récit: au deuxième tableau, elle est en écran fixe de veille, les émissions sont terminées. Seules en scène, la Filipievna en peignoir et pyjama s’enduit de crème hydratante. Tatiana se déshabille pour la nuit, tous ses changements de costume se font en scène, elle est à présent en nuisette. La Filipievna va dormir et Tatiana dicte sa lettre d’amour à un magnétophone qui l’enregistre. La nuit avance, l’écran de la petite télévision se remplit de neige, il n’y avait pas d’émissions nocturnes en 1969. Tatiana glissera la bande enregistrée dans une enveloppe adressée à Oneguine, qu’elle confiera aux bons soins de Filipievna, qui est revenue au petit matin apportant un jus d’orange à la jeune fille. La télé diffuse une émission matinale exceptionnelle, ce matin de juillet 1969, l’homme a marché sur la lune.

Premiers pas de l’homme sur la lune à la télé et pub Carlsberg en arrière-scène


Oneguine revient et décourage l’amour de la jeune fille, elle est certes aimable, mais il n’est pas fait pour le mariage, il l’aime comme un frère. Plus tard, lors de l’anniversaire de Tatiana, Oneguine se comportera avec beaucoup moins de tact. Sur la scène on a placé des chaises-baquets de couleur orange, un autre indicateur de l’époque choisie, sur lesquelles viendront prendre place le choeur des invités à la fête, que le public voit de profil. Côté cour se déroule le drame naissant, une histoire d’hommes. C’est ici qu’intervient la seconde grande inversion voulue par le metteur en scène: le metteur en scène déplace progressivement le point de focalisation du couple Tatiana-Oneguine (et secondairement du couple Olga-Lenski) vers le couple Oneguine-Lenski, dont il souligne la composante homosexuelle. C’est que pas plus dans la Russie de la fin du dix-neuvième siècle que dans l’Amérique des années 60, l’homosexualité ne peut se vivre au grand jour et s’exprimer librement, c’est que, au vu de la contrainte sociale qui pèse comme un couvercle, les hommes qui éprouvent des sentiments ou des sensations homoérotiques ne perçoivent parfois pas leur nature véritable et profonde, et s’ils la perçoivent et s’essayent à la vivre, c’est dans la clandestinité, en bravant l’interdit social. Oneguine s’ennuie à la fête et se met, peut-être pour provoquer Lenski, à draguer sa fiancée. Pour amuser les invités, on a fait venir un chanteur français et une troupe de cow-boys danseurs aux torses nus et musclés qui se livrent à un numéro digne des futurs Chippendales (leur groupe ne sera fondé qu’en 1979), strip-tease et gestes érotiques grossiers. On danse, Oneguine de plus en plus provocateur se presse contre Olga à la colère de Lenski qui les sépare. Oneguine force alors son ami à un pas de valse. Lenski rompt l’amitié qui le lie à Oneguine et le provoque en duel.

Eugen Onegin: Simon Keenlyside (Onegin), Ain Anger (Saretzki), Pavol Breslik (Lenski)

Warlikowski place le cinquième tableau, la scène du duel, autour et sur un vaste lit matrimonial. Les cow-boys aux torses nus rôdent autour du lit et viennent s’accouder à une barre suspendue en avant-scène. Derrière les grandes vitres, le paysage est semi-industriel, une station de pompes à essence, des autoroutes peut-être. Des cow-boys s’amusent entre hommes en prenant des poses viriles, certains miment des jeux érotiques avec une poupée gonflable, une scène peut-être inspirée d’un des plus fameux lieux de la drague homosexuelle new-yorkaise nocturne de l’époque, les vastes parkings de camions près des docks, à l’atmosphère glauque et interlope  Lenski attend son ami. Oneguine apparaît en retard pour le duel, il tend une main réconciliatrice à Lenski qui la refuse, les deux hommes sont sur le grand lit, on a là toute la gestuelle d’un couple qui ne s’entend plus, l’érotisme contraint de la scène est évident, ainsi que le désir qui les attire l’un vers l’autre. Les corps qui s’y refusent vont cependant quasi se rejoindre mais la rancoeur l’emporte sur le désir, Lenski se refuse et Oneguine tue l’homme qu’il aime, à bout portant. Les cow-boys effectuent une danse macabre autour du cadavre de Lenski avec des gestes lascifs. Alors qu’on emporte le corps on assiste à une scène de sexe de groupe à peine stylisée. En fond de scène, des hommes travestis portent des robes de soirée et esquissent des gestes de folles.

Deux trois années ont passé, le puissant Prince Gremin qui a épousé Tatiana donne un bal où Oneguine est convié. Il n’a plus vu Tatiana depuis le duel et croit en être amoureux, mais tatiana, qui aime encore Oneguine, préférera raison garder et rester fidèle à son mari. Au regard de la lecture homosexuelle de la mise en scène, on ne peut que l’approuver.

Les choix du metteur en scène mettent en évidence l’homosexualité du compositeur. L’homoérotisme de la relation d’Oneguine et de Lenski avait  déjà été souligné et étudie, mais n’avait sans doute jamais été représenté de manière aussi explicite et dérangeante. Le déplacement du lieu et du temps de l’action bouleverse lui aussi les clichés des représentations traditionnelles de l’oeuvre. Un petit saut dans le temps, un grand pas pour la compréhension de l’oeuvre? Décoiffant en tout cas.

Mais pourquoi une publicité pour la Carlsberg en fond de scène ?

  • La pub de Carlsberg: In July 1969, mankind did something amazing. Something that had never been done before. Something really worthy of a Carlsberg. Watch our version of that historic step for mankind now. En 1969, l’humanité a fait quelque chose de surprenant.Quelque chose qui n’avait jamais été fait auparavant. Quelque chose qui méritait bien une Carslberg. Regardez notre version de ce pas historique pour l’humanité maintenant.
  • En 2007, Warlikowsli a fait quelque chose de surprenant…Allez regarder sa version d’Oneguine au Bayerische Staasoper en live-streaming ou sur place ce soir…
 
 
Photos: Wilfried Hösl
 
Autres posts consacrés à l’Oneguine de Warlikowski au Bayerische Staatsoper:

cliquer ici et ici

 

Qui est l’auteur de cet article?

luc le belge ideoz voyages munich allemagneLuc Le Belge est expatrié à Munich, en Bavière et vous fait découvrir la belle ville de Munich aux multiples attraits et à l’actualité culturelle très dense, mais aussi la société bavaroise, qui est si particulière en Allemagne…

Découvrir le blog MUNICH AND CO…

Luc Lebelge

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

 

  1. Accueil
  2. /
  3. Derniers articles
  4. /
  5. GUIDE CULTUREL
  6. /
  7. SCENES
  8. /
  9. L’Oneguine de Warlikowski ou l’inversion du point de vue