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Entre solitude et expériences poétiques, Yoko Ogawa dans Manuscrit zéro plonge le lecteur dans un monde imaginaire aux ambiances étranges.
Manuscrit zéro de Yoko Ogawa ; immersion dans la solitude |
Manuscrit zéro, livre de Yôko Ogawa, ressemble au premier abord à un journal de bord que tiendrait la narratrice, racontant le quotidien banal d’un auteur en mal d’inspiration. Et puis, soudain, ça dérape, il se passe des choses un peu extravagantes, on s’éloigne de la réalité, l’imaginaire de Yôko Ogawa se déploie, installant des ambiances bizarres et décalées.
Un des thèmes importants dans Manuscrit zéro, c’est la solitude, la vraie, celle que l’on ressent au milieu des autres. A plusieurs reprises, la narratrice se mêle volontairement à un groupe de personnes avec lesquelles elle ne partage rien, par exemple lorsqu’elle essaye de se faire passer pour une mère lors d’une fête scolaire. Elle voudrait tant trouver un rôle, avoir une position reconnue dans la société mais sa supercherie reste vaine.
D’autres fois, le récit s’envole vers des expériences poétiques, à la limite du surnaturel, comme lorsque la narratrice, qui a reçu la visite de l’assistant social qui la suit régulièrement, se compare à une petite crevette installée dans une éponge, une incursion magique dans un monde animal magique, et pourtant bien réel.
Ah, je réalise que nous sommes blottis à l’intérieur de la trompette comme les Spongicola venusia. Tous les deux ensemble, épaule contre épaule, pour ne pas être découverts par les autres personnes visitées ni par les employés municipaux, nous nous dissimulons dans le pavillon de la trompette. La lumière qui transparaît vaguement, ce que l’œil voit et qui oscille, le monde extérieur qui s’éloigne, tout est comme l’Euplectella aspergillum. L’intérieur de la trompette est tiède de la salive de R. au point que l’on en oublie la profondeur des mers. L’air qu’il souffle ébouriffe mes cheveux. Nous flottons sur un océan de sons. Je ferme les yeux et relâche toute la force de mon corps. Je baigne dans la salive de R. Comme rivée à la chaise de mon bureau, comme l’enveloppe bien fermée contenant le dossier, comme la psyché à la sueur nocturne dans sa chrysalide, je reste immobile blottie à l’intérieur de R. (page 82)
A lire pour découvrir d’autres facettes de Yôko Ogawa, à condition de la connaître déjà à travers son œuvre romanesque. Un livre dont j’ai du mal à parler tant il est riche et surprenant, profond et décalé.
Manuscrit zéro – Roman |
Auteur : Yôko Ogawa | Traduit par Rose-Marie Makino |
Actes Sud 2011 (Littérature japonaise) |
D’une manière générale, Yoko Ogawa semble souhaiter révéler à travers ses récits la partie cachée de l’homme, la faiblesse et la sauvagerie qui sont en chacun de nous. Elle ne prend pas en compte qu’il peut exister une morale : le beau et le laid, le bien et le mal, le blanc et le noir ne s’opposent pas, ils se côtoient, s’emmêlent de façon très équivoque. Elle ne s’intéresse qu’à la limite vaine qui est censée les séparer.