Lorsque l’on évoque les écrivains voyageurs, il est bien évident que l’on mobilise immédiatement le nom de Michel le Bris. Son dernier ouvrage « Rêveur de confins » possède un titre poétiquement évocateur et la couverture du livre permet d’apercevoir les yeux plissés et malicieux de l’auteur, le regard de celui qui scrute l’horizon.
De pas en pas, de port en port, il a su admirablement mener l’aventure d’une rencontre annuelle à Saint-Malo pour tous ceux qui partent vers les confins, les confins des rêves, comme ceux des existences. Un horizon pour tout partage. Poser un pied en avant, puis le second et contempler la ligne qui s’éloigne au fur et à mesure de la marche et voir se déplier les visages de Curwood, Stevenson et Jack London, symboles de toute une mythologie qui, n’en doutons pas, vient de l’enfance.
Nous sommes là devant un dictionnaire, on pourrait même dite un dictionnaire amoureux du voyage, s’il n’existe pas déjà. Il commence avec Andersen (Hans Christian) et se termine à… « Voyager : le plus court chemin de soi à soi ». Entre les deux on aura croisé des fées, des pirates, des radios, Dieu – s’il existe – et beaucoup d’Européens : Nerval (Gérard de), Sartre (Jean-Paul), Schubert (Franz), Shakespeare, Glissant (Edouard) et Friedrich (Caspar David). Rien que des personnes que l’on a rêvé de rencontrer au moins une fois dans sa vie. Pour Sartre c’était à l’UNESCO en 1963 et pour Glissant c’était dans un jury de thèse sur les arts textiles contemporains à la Guadeloupe, au milieu des années 80.
Michel Le Bris nous accorde en tout cas cette possibilité pour tous les noms de sa liste, en ouvrant la porte de ses souvenirs de lecture et de vie. Je prendrai le temps de m’arrêter auprès d’eux, l’espace des rendez-vous qui me sont ainsi offerts.
Pour cette fois, je resterai avec deux compagnons de voyage le plus long moment possible sur une Île aux trésors. «Borges (Jorge Luis), un disciple ignoré de Stevenson (Robert Louis)». Dans une bibliothèque où, comme il se doit il ne trouve pas ce qu’il cherche, mais plutôt ce qu’il ne cherchait pas, l’auteur tombe sur le tapuscrit d’une thèse consacrée à l’influence de Stevenson sur Borges. Elle est accompagnée de trois entretiens avec Borges et deux avec Adolfo Bioy Casares, ces deux éminents écrivains étant réunis dans un ouvrage de 1940 «L’invention de Morel» dont le premier est le préfacier et le second l’auteur. Cette préface déclarant la liberté de l’écriture et l’ouvrage lui-même ayant séduit entre autres Octavio Paz, Juan José Arreola, Julio Cortazar et Alejo Carpentier, rien de moins.
On voit que mon rendez-vous est très vite devenu une tablée autour d’une bouteille de rhum.
Stevenson, le plus grand, celui qui a façonné l’âme de Michel Le Bris et plus encore, c’est-à-dire les jeux de l’enfance qui conditionnent toute une vie imaginaire qui devient une écriture. Stevenson, le cévenol de quelques semaines et le passager de Barbizon pour le temps de l’amour. «Les ombres de Billy Bones et de Chien noir se glissaient hors des pages, sous les toiles d’araignées luisaient les pièces de huit du trésor de Ben Gunn, les yeux de poulpe de Pew se collaient à la fenêtre, qui me dévisageaient.» Une vision si claire de ces personnages pourtant mi ombre, mi spectre viennent peupler sa chambre, comme dans la chanson de Juliette.
La phrase est connue. Michel Le Bris ne se prive pas de la citer de nouveau. Pourquoi alors devrais-je m’en priver à mon tour ? : «Vous croyez faire un voyage, écrit Nicolas Bouvier dans son Usage du Monde, et vous découvrez bientôt que c’est le voyage qui vous fait ou vous défait.»
Michel Le Bris. Rêveur de confins. André Versaille éditeur. 2011.
Photos : Presqu’île de Neringa (Courlande), Lituanie et Chemin de Stevenson dans les Cévennes.
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