Le vingtième long-métrage de Clint Eastwood derrière la caméra est aussi le premier depuis Bird (88) dans lequel il n’apparaît pas en tant qu’acteur. Eastwood confie en revanche à sa fille Allison son premier rôle vraiment important (elle ne faisait qu’une courte apparition dans Les Pleins pouvoirs, 97). Minuit dans le jardin du bien et du mal est l’adaptation du best seller éponyme de John Berendt, lui même inspiré par un fait divers réel, le meurtre de l’amant d’un riche antiquaire homosexuel à Savannah en Géorgie au début des années 80.
L’image que l’on retrouve sur l’affiche du film permet de commencer de cerner le sens du titre. La statue d’une jeune fille sous-pesant deux plateaux symbolise dans un premier temps la justice, dont il sera question tout au long du film via le procès de Jim Williams (Kevin Spacey). Le titre fait surtout allusion à la pratique vaudou d’un des personnages secondaires (Irma P. Hall), consulté justement par Williams, le meurtrier, pour agir sur les esprits et la conclusion de l’enquête.
L’histoire est d’abord celle de John Kelso (John Cusack), journaliste fraîchement débarqué à Savannah pour réaliser un reportage mondain autour de la luxueuse fête de Noël organisée par l’antiquaire Jim Williams. Kelso découvre une ville étrange et fascinante, peuplée de personnages tous plus excentriques les uns des autres. Williams compare la ville à un tableau, lequel a été peint par dessus un autre. Kelso le lui fait remarquer et Williams répond en substance que, de la même manière que pour la ville de Savannah en elle-même, la seule chose qui compte ce sont les apparences.
Savannah est une ville du sud des Etats-Unis qui a été miraculeusement épargnée par les grands incendies de la Guerre de Sécession. La ville semble depuis avoir conservé un caractère figé, comme hors du temps. C’est en tout cas l’atmosphère décrite par John Berendt dans son roman et c’est ce qui se dégage aussi du film d’Eastwood. Le film est intéressant pour cette raison même. Tout repose sur cette question des apparences, qui sous-tend inévitablement le meurtre dont Williams est accusé. Un homme promène un chien invisible, fantôme de son animal disparu, le riche antiquaire dissimule son homosexualité, le personnage de Lady Chablis (dans son propre rôle) est une Drag Queen qui parvient à tromper les hommes sur sa véritable indentité sexuelle…
Cette ambiguité permanente est savamment entretenue par Eastwood, résumée aussi par le personnage de Williams par cette phrase « La vérité, tout comme l’art, se situe dans le regard du spectateur ». On ne croit qu’en ce que l’on voit, qu’importe la vérité.
Le procès de Jim Williams ne constitue que l’arrière fond du film. Minuit dans le jardin du bien et du mal se résume bien plus à l’exploration de John Kelso des particularités qui régissent le microcosme mondain de Savannah. La caméra se promène en même temps que lui, le rythme est assez lent, il ne se passe apparemment pas grand chose en surface. Mais là aussi, il n’est question que d’apparences.
Le film est étrange, fuyant, presque troublant même et c’est en cela qu’il tire son originalité, plus que dans la seule narration, finalement assez anecdotique. La richesse du film se trouve dans les rencontres faites par Kelso et qui influent sur sa propre perception des mystères de la ville.
De la part d’Eastwood, Minuit dans le jardin du bien et du mal paraît un peu insaisissable mais pour peu qu’on se laisse captiver par l’ambiance entretenue tout au long, il se révèle tout à fait ensorcelant.
Benoît Thevenin
Minuit dans le jardin du bien et du mal – Note pour ce film :
- Delta de Kornél Mundruczó ; film âpre, tragique et fabuleux (Cinema hongrois) - Sep 25, 2016
- Les Herbes folles d’Alain Resnais : une oeuvre étonnante - Juil 5, 2014
- Le soliste de Joe Wright - Juil 5, 2014