Si l’on vous parle du Nagaland, vous risquez, comme nous, d’être quelque peu embarrassé ! Et pourtant c’est un Etat indien qui se situe tout à fait à l’est du pays, ainsi que vous le voyez sur la carte.
Witold nous fait l’amitié et l’honneur d’écrire un article sur le Nagaland, là où l’a mené son tout dernier voyage en Inde avant de regagner Paris puis La Rochelle. Etudiant à Sciences-Po, il a passé une année en Inde et s’est plongé avec passion dans la découverte de ce pays dont il a su pénétrer la culture et dans lequel il a noué de nombreux contacts dont Hemant Morparia. Un récit, fort bien écrit et tout à fait passionnant. Grâce à lui, vous saurez tout ce qu’il faut savoir du Nagaland ! N’hésitez pas à poser vos questions sur le forum voyage Inde…
Derrière des nimbes brumeux, vertes et humides, les collines du Nagaland. A la frontière birmane, le Nagaland est de ces terres isolées et méconnues dont l’enclavement a nourri et renforcé les particularismes, et qui demeurent aujourd’hui encore, physiquement et culturellement, à mille lieues du reste de l’Inde.
Le Nagaland, le pays des Nagas, une terre isolée et très particulière
Nagaland, « terre des Nagas ». Ensemble disparate et hétérogène de tribus dont le principal dénominateur commun est leurs origines tibéto-birmanes, le « peuple naga » est davantage un artefact des autorités britanniques du Raj qu’une réalité anthropologique. Les Nagas se divisent en une trentaine de tribus ; une quinzaine d’entre elles (angami, rengma, zeliang, kuki, kachari, chakhesang, chang, phom, ao, khiamniungam, sangtam, yimchungrü, lotha, sumi, konyak) vivant dans les limites administratives du Nagaland, les autres se répartissant dans les Etats voisins de l’Arunachal Pradesh, de l’Assam, du Manipur et au Myanmar. Plus de soixante dialectes aux accents chinois, tibétains et birmans cohabitent, traduisant la diversité des villages, autant que leur isolement mutuel.
Le Nagaland cesse d’être un espace vide sur les cartes des autorités britanniques lorsque celles-ci annexent en 1828 l’Assam et décident d’envoyer des corps expéditionnaires dans les collines de l’est. Ceux-ci se heurtent rapidement à la résistance farouche des guerriers nagas et ce n’est qu’en 1878 que les soldats de la Couronne assoient leur domination, imposant de facto une pax britannica fragile. Dès lors, le Nagaland restera une périphérie marginalisée du Raj, fermement tenue mais délaissée.
Si l’on veut comprendre la situation actuelle de cette région, secouée à de nombreuses reprises par de violents conflits, il faut garder à l’esprit la position particulière des périphéries au sein des Empires et des Etats nouvellement indépendants. La plupart des Empires pré-modernes se caractérisaient par une forte centralisation du pouvoir en la capitale et le manque de ressources humaines et de moyens de communication conduisait à un relatif « délaissement » des périphéries. Au sein de ces Empires, ces périphéries devenaient des zones grises, terreau de dissidence, creuset de conflits internes, échappant au pouvoir de coercition de la capitale et conservant une identité locale forte. Lorsque les nations européennes colonisèrent ces Empires régionaux, ils pacifièrent les régions frontalières –perçues comme reculées, inaccessibles ou tout simplement inutiles– sans pour autant les intégrer véritablement. Ces régions devenaient donc des périphéries dans la périphérie.
Au lendemain de leurs indépendances, les anciennes périphéries (i.e. colonies) des métropoles européennes deviennent à leur tour métropole et ne cachent pas leur ambition de reprendre le plein contrôle de leur territoire. Tandis que l’administration britannique n’attachait que peu d’importance aux collines nagas, confiant leur administration à la province de l’Assam, l’Inde de Nehru va elle s’efforcer d’asseoir son autorité sur ses frontières, heurtant les aspirations autonomistes de territoires ne s’étant jamais réellement considérés comme indiens. Les origines des conflits récents se trouvent en partie contenues dans un texte de 1947, le Hydari Agreement (du nom du gouverneur de l’Assam) ou Nine-Point-Agreement, et plus précisément dans sa neuvième clause rédigée de la sorte :
« Le Gouverneur de l’Assam en tant que représentant du Gouvernement de l’Union indienne sera chargé d’assurer la correcte application de cet accord pendant une période de 10 ans. Au terme de cette période, le Conseil Naga devra décider s’il désire reconduire cet accord pour une nouvelle période ou si un nouvel accord concernant le futur de la population Naga devra être élaboré »
Les représentants nagas eurent bel espoir de voir en cette neuvième clause un droit à l’autodétermination, après une durée de dix ans, et le Conseil naga proposa même une nouvelle version de la neuvième clause, rendant plus explicite ce même droit (« Au terme de cette période, les Naga seront libres de décider de leur avenir »). Cette mouture fut rejetée par Hydari, qui demanda que sa version du Nine-Point-Agreement fût acceptée en l’état. Pressentant la duperie, le Conseil National Naga adressa à Nehru un ultimatum de trente jours avant que les Naga ne se séparassent de l’Union indienne si l’autodétermination n’était explicitement reconnue. Pour avorter la tentative de sécession, Hydari assura aux Naga que leurs revendications seraient entendues lors de l’Assemblée constituante, mais le gouvernement central démentit rapidement l’engagement pris par le gouverneur de l’Assam. Cette palinodie, perçue par les Naga comme une trahison, fut le premier pas vers une escalade de violence, que l’Union tenta d’enrayer en proclamant la loi martiale en 1958.
Pendant près d’une décennie, les collines du nord-est furent déchirées entre camps retranchés rebelles et bases militaires.
Le 16 janvier 1961, le correspondant du Times décrivait la situation comme suit :
« L’armée indienne s’est engagée dans les combats aussitôt après les premières attaques de l’organisation clandestine contre l’administration. La stratégie naturelle de l’armée était de tenter d’anéantir les guérillas aussi vite que possible. Les villages soupçonnés d’approvisionner ou de soutenir les forces clandestines étaient gravement punis ou, s’ils persistaient dans leur attitude, rasés et tous leurs habitants transportés dans des centres de détention où ils étaient sous bonne garde. Les forces de la guérilla étaient aussi vigoureusement harcelées. Selon des officiers de l’armée et certains fonctionnaires, ces tactiques finirent par faire ployer les organisations clandestines, et ils se plaignent aujourd’hui qu’on leur ait volé leur victoire et condamnés à une longue et frustrante campagne à cause des penchants « gandhiens » du gouvernement »
C’est à l’aune de cette brève perspective historique que l’on peut comprendre la situation ambiguë de cet Etat indien contre son gré. Le Nagaland est devenu officiellement Etat de l’Union en 1963 et les tensions se sont aujourd’hui apaisées bien que de nombreux groupes rebelles continuent de se battre, le plus souvent entre eux pour d’obscurs jeux de pouvoirs et luttes d’influence.
Plus que des échos de conflits, ce sont maintenant des gospels que l’on entend résonner sur les crêtes, depuis que la majorité du nord-est a été convertie par des missionnaires baptistes américains. La première présence missionnaire, celle du Révérend Miles Bronson, remonte à 1841 mais c’est majoritairement au cours du XXe siècle que la région s’est progressivement tournée vers le christianisme. Le contraste saisissant de ces aïeux aux tatouages traditionnels chanter avec ferveur des gospels en dialecte konyak ou phom ne manque pas de saveur… Car malgré un développement certes lent mais néanmoins présent, la plupart des villages nagas demeurent fortement marqués par des traditions ancestrales perpétuées avec respect.
J’arrive dans un de ces villages, après de longues heures de marche, assailli par une nuée d’enfants lilliputiens piaillant et sautillant. Me pliant à la règle de courtoisie naga, je dois aller me présenter au Angh, au Roi du village. Dans sa maison de bambou, aux milieux des odeurs de graisse et de suie, se mêle le fascinant parfum du passé. Les murs sont couverts de boucliers, de machettes, de lances, de crânes de singe et de becs de toucans, de cornes de cerfs et de dents de tigre, de besaces de chasses en fourrure et de fusils. Si le roi ne règne désormais plus seul puisque les décisions sont prises de concert avec le conseil du village, il conserve toutefois un rôle honorifique et jouit d’un grand prestige. Je suis invité à dîner le soir même et sa famille a cuisiné une gigantesque patte d’ours qu’il a reçu comme tribut. La maison se remplit d’amis, de voisins, de cousins, de petits-enfants, d’arrière-grands-parents et s’anime de rires sonores. Bien que la communication soit difficile, les quelques jeunes parlant un peu anglais m’entourent rapidement pour traduire les questions de l’assemblée. Chacune de mes réponses donne lieu à d’interminables discussions, commentaires, débats, qui se terminent immanquablement en rire collectif. Je n’ai pas le temps de finir mon assiette de riz que déjà on me la remplit, presque de force, de soupe de bambou et de graisse de porc. J’aurai par la suite l’occasion de goûter viande de chien, de rat, d’écureuil et larves grillées.
Un des éléments central du village est le morung, vaste salle de vie communautaire où vivaient traditionnellement tous les jeunes garçons célibataires jusqu’à leur mariage. Les morungs pouvaient décider de la guerre, conquérir des terres, et lever un impôt sur les terres conquises. Aujourd’hui, ils sont surtout des lieux de délibération et de décision. Lorsqu’une personne décède et qu’elle n’a pas de légataire spécifié ou connu, ses terres reviennent au morung auquel elle appartient, en fonction de sa famille et de son clan, qui se charge soit de les exploiter, soit de les vendre. Je passe une après-midi dans une des longues huttes de bois, à m’imprégner de son ambiance particulière, lorsque qu’une dizaine de grands-pères, certains centenaires, me proposent de me montrer une danse de guerre traditionnelle. Et les voilà, petits et voûtés, à tourner lentement en rond, accompagnant leur danse d’un chant guttural. La plupart d’entre eux portent le traditionnel collier orné de têtes miniatures en bronze…symbolisant le nombre de têtes (humaines) coupées au combat. Dans chaque morung se trouve le logdrum, tambour creusé dans un gigantesque tronc d’arbre, traditionnellement utilisé pour communiquer avec les autres villages, à chaque événement précis (décès, naissance, guerre, etc.) correspondant un rythme particulier se répercutant sur les crêtes et parvenant aux villages voisins.
Au bout d’un mois, il me faut partir ; et je regarde une dernière fois les collines nagas où je fus accueilli avec une hospitalité spontanée et simple, laissant derrière moi les visages aux yeux rieurs, les rides tatouées des grands-mères et les huttes de bambous à flanc de colline.
(article écrit par et photos de Witold)
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Bonjour,
j’aimerai savoir s’il faut un permis pour se rendre dans le nagaland ?
Sincères salutations
Catherine