Comment célèbre-t-on la Noël en Roumanie? En Roumanie, Noël est l’occasion de nombreuses traditions, dont certains, vieilles de plusieurs siècles autour du ciel.
«Ecoutez-moi ça : le commencement n’est jamais comme la fin ; le commencement change tout ce qui a été et crée d’autres modes» – constatait froidement un paysan, à la fin du 19e siècle, devant un Monsieur descendu de la ville pour enregistrer sa voix sur un phonographe à cylindre. L’homme expliquait au Monsieur avec la machine pourquoi le calendrier officiel avait jadis mis la confusion dans son village, après avoir séparé Noël du Petit Noël, c’est-à-dire du Nouvel An.
Il y a quelques centaines d’années, dans les anciens calendriers, même chrétiens, les deux ne faisaient qu’une seule et unique fête, noyau d’une vaste période de passage d’un an à l’autre. Durant plus d’un mois, Noël s’éparpillait alors dans des traditions, dont l’existence et le sens échappent complètement au Roumain contemporain.
Voilà pourquoi cette semaine, nous vous proposons de partir à la recherche de certaines de ces coutumes, jetées aux oubliettes par la modernité. Tout comme les cylindres du phonographe. « Visages de Noël » c’est maintenant sur RRI.
L’oiseau prend son envol vers les nuages épais qui s’apprêtent à lâcher la neige. Autrement dit, l’oiseau s’envole vers les amas de vapeurs d’eau condensée maintenus dans l’atmosphère par des courants ascendants.
En principe, le ciel ne nous pose plus trop de problèmes. Nous savons, par exemple, que le ciel est en fait noir et non bleu, comme l’atmosphère terrestre nous le fait croire en filtrant la lumière. Nous savons aussi que nous menons notre existence sur un petit corps céleste parmi tant d’autres, innombrables. A vrai dire, nos contemporains ne se soucient pas trop du ciel.
A part l’éventualité qu’un astéroïde ne s’écrase sur la Terre et certainement pour examiner la disposition des planètes dans l’horoscope quotidien. Bien sûr, pour nombre d’entre nous, il y a aussi Dieu, mais vit-il, vraiment, à un endroit précis, dans les cieux ? De nos jours, on ne peut plus être sûr de rien…
Au-dessus du village roumain d’il y a quelques centaines d’années, le ciel était un peu moins vaste, mais très peuplé et certainement très bleu. De plus, pour les paysans d’antan, la voûte céleste était composée de deux parties, lui permettant de s’ouvrir lorsque Dieu voulait contempler sa création. Cela se passait d’habitude lors des grandes fêtes, telles Pâques, l’Epiphanie et surtout entre Noël et le Nouvel An. Pourtant, il était plutôt défendu d’attendre ou de regarder ce miracle, explique l’ethnologue Serban Angelescu :
« Il faut prendre des précautions devant la révélation du pouvoir divin. La divinité qui se montre aux humains est une apparition bénéfique, mais il est néanmoins très risqué d’entrer en contact avec elle. Toutefois, il ne faut pas rater cette opportunité, car de tels événements sont rares. Ils se produisent notamment à l’occasion des grandes fêtes, comme par exemple cette période de transition d’une année à l’autre. Le temps devient maintenant flexible et l’espace s’ouvre pour communiquer avec d’autres mondes. »
L’apparition était terrible et exaltante : au milieu d’une lumière intense, debout ou assis à une table, Dieu se montrait muni parfois d’un tonnerre, ressemblant à un fouet orné de fleurs. Il pouvait également écrire, décidant de la richesse des récoltes pour chaque pays, de la vie ou de la mort des humains, de la guerre et de la paix.
Il ne fallait pas être un ermite pour voir les cieux s’ouvrir; il suffisait d’une foi inébranlable. Il y avait pourtant des malins qui guettaient l’instant miraculeux pour deux raisons bien concrètes – les gens croyaient que, pour la durée d’un clin d’œil, toutes les eaux se transformaient en vin.
En plus, tout au long de la nuit de la Saint Vasile, c’est-à-dire du Nouvel An, les animaux pouvaient parler d’une voix humaine et parler entre eux de l’avenir. Mais tout comme les véritables élus, les véritables roublards n’étaient pas pléthore, parce que pour enfreindre l’interdit on encourait au moins la folie sinon la mort.
Les anciennes communautés rurales roumaines étaient plutôt avares dans les contacts avec d’autres villages. Les moyens de communication n’étaient pas trop développés. Les échanges, pendant les fêtes, avec le monde des morts et le royaume céleste étaient, de ce fait, infiniment plus importants parce qu’ils permettaient de se renseigner sur et même de se modeler l’avenir. Un état de fait curieux pour le Roumain contemporain, qui voit Noël sous un autre jour, affirme Serban Angelescu :
« Nous, ceux qui vivons dans les actuelles sociétés urbaines, nous communiquons entre nous beaucoup plus que les villageois d’antan. Cet échange s’intensifie davantage dans cette période de fêtes de fin d’année, mais il a perdu certaines de ses caractéristiques de jadis – la communication avec les défunts ou bien avec la divinité. De nos jours, les gens se retrouvent ensemble notamment pour manger ou boire ; ils fraternisent pour seulement quelques heures, regagnant très vite après leurs positions différentes ou leurs conflits, que la fête atténue ou annule carrément. »
Il y a quelques centaines d’années, les paysans ne se faisaient pas trop à l’idée que la terre était ronde. Leur raison devait concilier ce constat scientifique avec la vision populaire venue de loin. Pour eux, la terre était ronde, d’accord, mais tel un plateau s’appuyant sur des piliers où sur un poisson géant vivant à la surface d’une étendue d’eau. Au-dessus du plateau terrestre, Dieu avait placé un une sorte de pont bleu, en métal, soutenu par des colonnes se dressant sur la même étendue d’eau. Le ciel était habité par les anges qui devaient surveiller la marche du monde – pour observer le comportement des êtres humains, ils se mêlaient à eux. Ensuite, les anges allaient dans les cieux pour tout raconter à Dieu.
Ce va-et-vient se faisait par des portes placées aux bords de la voûte en métal. On disait qu’à la fin de l’année, les anges recevaient un coup de main de la part des chanteurs de Noëls, auxquels les habitants de l’au-delà avaient insufflé, pour quelques jours, un peu de leur état de grâce, précise l’ethnologue Serban Angelescu.
«Celui qui venait chez vous pour vous chanter des Noëls et faire des vœux était investi, pour toute la durée de la fête, avec un certain pouvoir magique. Il n’était plus le voisin que l’on croise tous les jours – c’était quelqu’un de différent, qui était inspiré par le sacré. Vous savez, les gens d’autre fois ne connaissaient pas vraiment des choses que nous avons de nos jours : loisirs, voyages. Eux, ils sortaient rarement de leurs villages et n’avaient donc que l’imagination pour errer à travers le monde. Voilà pourquoi nous avons aujourd’hui d’aussi beaux contes de fées, grâce auxquels nous nous sommes fait une idée de ce qui pourrait se trouver au-delà des terres et des mers. »
A la fin du 19e siècle déjà, les villageois constataient avec regret que les cieux ne s’ouvraient plus. Cela parce que trop de gens curieux et avec la conscience pas trop propre restaient béats, le regard collé au ciel, toute la nuit du Nouvel An. Les villageois croyaient aussi que le ciel s’était éloigné de la terre, parce qu’un jour, une mère de famille y avait jeté par mégarde une des couches sales de ses enfants
Dieu et les anges ne voulaient plus se montrer sur la voûte. Néanmoins, les gens se consolaient avec la lumière qui en descendait toujours, provenant des chandelles allumées par les anges – à savoir les étoiles – ainsi que des outils domestiques et des animaux se trouvant dans les cieux, c’est-à-dire les constellations. Ne connaissant pas l’électricité, les Roumains d’il y a quelques centaines d’années savaient éclairer leurs soirées festives avec des moyens que les gens modernes prennent pour obsolètes, affirme, en fin, l’ethnologue Serban Angelescu :
«La lumière de Noël est de nos jours abondante. On peut voir les cours des immeubles, des arbres ou des objets et même des maisons tout entières habillés de jeux de lumières, pour l’occasion. C’est ce que nous imaginons que la lumière des fêtes de jadis aurait dû être. Sauf que, les villageois de jadis n’avaient pas d’électricité – la lumière leur était apportée par les costumes spécifiques, par les paroles des cantiques et des Noëls qui évoquaient la lumière. On loue, par exemple, dans un chant de Noël, la beauté des fleurs blanches. Ou bien, cette image des villageois qui fêtent ensemble sous la neige, en fait les fleurs du Paradis qui tombent sur la Terre. On parle également dans les cantiques de l’argent, de l’or ou des pierres précieuses dont sont réalisés certains objets ou dont sont habillés les divinités ou les héros. Ce sont des paroles lumineuses.
Les gens modernes ont perdu tout ce bagage de symboles. La lumière de la fête jaillissait de la parole – il ne s’agissait pas de la lumière concrète dont nous disposons aujourd’hui. D’ailleurs, de nos jours, c’est assez simple : on allume des milliers d’ampoules, et la féerie est tout de suite là ; Noël est à portée de la main… »
rubrique réalisée par Andrei Popov