Il est pratiquement onze heures. Quelques lumières commencent à s’allumer au bord de l’eau, dans un jour qui s’allonge désespérément. Depuis quelques instants le son d’un saxophone s’élève dans le froid qui se répand avec l’approche de la courte nuit. Il s’agit de Jan Garbarek. Enregistrement ou bien répétition ? Son concert n’aura lieu que mardi prochain. Mais la plainte solitaire est étonnante, religieuse, terrestre et divine à la fois, prolongée, comme seule je l’ai entendue, de disque en disque, sans jamais rencontrer l’artiste : Twelve Moons, Dansere, in Praise of Dreams.
Elle semble sortir du rideau des arbres qui me séparent de la cathédrale Nidaros de Trondheim. Il ne peut s’agir que d’un hommage aux enfants morts, comme un rappel de Malher. C’est toute une nation qui pleure et accumule les fleurs et les bougies. Ici, autour de la colonne du Roi Viking sanctifié. Entre les orchidées, les bégonias, les gerberas, figurent un cœur qui saigne et des petites peluches. Comme la laisse de mer des enfants échoués, des enfants noyés. Comment, à cette heure, ne pas pleurer en effet avec tous mes amis en suivant la plainte du grand musicien…?
La journée d’ouverture du Festival de Saint Olav se termine après l’arrivée ce matin des paysans en barques marines dans un port peuplé de goélands criards. Des carottes, des poireaux et des choux sortis de l’eau, venus des terres et offerts aux édiles municipaux. Pays crucifié à la rencontre des éléments, où l’été est une bénédiction chèrement acquise. Puis le lent cortège précédé de chevaux se déplace vers les lieux saints. L’offrande des roses rouges au chevet de la cathédrale prend cette année tout son sens. Vient le temps des discours : après celui de la bourgmestre, ceux des organisateurs du Festival et du Ministre des Affaires étrangères qui raconte longuement les raisons de l’icône kosovarde qu’il fait figurer en offrande aux côté de l’icône roumaine offerte il y a déjà plusieurs années par le métropolite de Iasi, aujourd’hui Patriarche de Roumanie. Vient ensuite un autre hommage, qu’il prononce à mi-voix, aux morts de Srebrenica. Puis la voix de l’extraordinaire soprano canadienne Measha Brueggergosman prend toute son ampleur, après et avant celle du ministre. Puis plus tard encore, dans la cathédrale, la même voix revient. Précédant Haendel « I know that my Redeemer liveth » un gospel déchirant s’élève. Un autre chant d’espoir pourtant, que l’on ait ou non la Foi.
La voix et le souffle, en attendant la résurrection : …and that he shall stand at the latter day upon the earth; and though after my skin worms destroy this body, yet in my flesh shall I see God; whom I shall see for myself, and mine eyes shall behold, and not another; though my reins be consumed within me.”