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Notre traversée du Sud Lipez

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                            Notre traversée du Sud Lipez à vélo

 

Préparer un voyage à travers les déserts de l’Amérique du Sud, pourquoi ? Le Dakar à la télé, entre les camions, les motos  et les voitures à fond à travers le désert de l’Atacama, un arrêt sur image, le journaliste focalise sur  un cycliste lourdement chargé, qui avance à son rythme à travers ce désert hostile. Pour les coureurs mécanisés trois heures pour monter un col, pour lui, ils réalisent qu’il lui faudra trois jours. Les exigences de base de notre condition humaine se posent de façon immédiate à lui, l’eau, les aliments ainsi que  l’absence d’assistance technique. Quels seront les souvenirs les plus forts et durables que chacun gardera de ce désert le plus vaste et le plus aride  du monde ? Ces coureurs privilégiés qui ont besoin de vastes sommes d’argent pour assouvir une passion certes exigeante et exaltante mais pas à la portée de tous, ou alors ce cycliste seul parti avec pas grand-chose, dont l’engagement financier principal aura été le prix du billet d’avion le conduisant d’Espagne en Amérique ? Chacun est libre d’apporter sa propre réponse. En ce qui me concerne, je n’hésite pas et je penche pour le cycliste.  Cela dit, je trouve les images de course automobile dans ces coins reculés absolument magnifiques et les capacités techniques des ingénieurs prodigieuses. Mais au-delà de ces considérations mécaniques, ma philosophie de la vie me conduit inexorablement à choisir la lenteur et l’engagement physique en autonomie, ce qui rend toute sa grandeur et son immensité à notre planète. Tout l’argent du monde ne permettra jamais d’apporter le bonheur procuré par cette confrontation aux éléments les plus hostiles de notre planète, armé seulement de sa passion et de sa force physique et morale.

 

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Ces remarques me semblent primordiales pour comprendre pourquoi on s’engage dans des trajets  longs et aléatoires dans les régions les plus hostiles de la planète. La journée il y fait chaud et la nuit il y fait fréquemment  moins dix, voire moins. Les destinations de tourisme de masse ne sont pas recherchées, mais au contraire une envie d’apprendre à se connaître face à la nature de notre planète, dans les régions où elle se montre la plus rude et particulièrement inhospitalière. C’est quoi être écologiste ? Vouloir remplacer l’énergie nucléaire par une autre source de production électrique pour assouvir son envie de confort, ou cette aspiration à vivre (momentanément) dans une forme de dénuement face aux rigueurs de notre planète ? Chacun sa définition. Mais j’en conviens l’avion que l’on utilise pour s’y rendre n’est pas très écologique !

Voilà mon état d’esprit lorsque je fais défiler les cartes d’Amérique du Sud sur l’écran de mon ordinateur dans la préparation de mon prochain périple, tout en écoutant des voies splendides de chanteuses canadiennes. Toujours derrière mon bureau, je ressens déjà la sensation de la fatigue dans les jambes, la poussière dans le nez soulevée par un vent brutal et rageur qui règne en maître dans ces régions de dix heures du matin jusqu’à la tombée de la nuit, l’attaque des rayons solaires de longues heures durant à plus de quatre mille mètres d’altitude, exposé aux ultra-violets.

Mon envie ne fait que se renforcer à ces pensées, je sais que je vais partir, malgré l’incompréhension de mes proches, qui se sentent abandonnés ne pouvant imaginer toute la puissance de l’envie de vivre qui m’anime et me submerge. Oui les risques, il y en a certainement, la mort par manque d’eau perdu dans la fournaise de sable, l’accident de la route, un vélo c’est vulnérable, une vie est aussi fragile qu’une coquille d’œuf qui se brise, rependant son contenu. La différence, l’œuf ne réfléchit pas, l’homme conscient de sa faiblesse reste aux aguets et avec un peu d’intuition, d’anticipation, de réflexion et d’humilité, de chance, voire de crainte et de peur peut triompher de sa vulnérabilité.

Pour tout amateur du voyage à vélo la traversée du Sud Lipez, désert de 400 kilomètres au cœur de l’Atacama, représente la consécration. Tous les récits de ceux qui se sont lancés dans l’aventure mettent en exergue une expérience hors du commun nécessitant un profond engagement physique et moral. Il faut y ajouter une patience à toute épreuve, du fait des longs passages trop raides ou trop instables obligeant à pousser le vélo dans le sable ou la cendre volcanique. Les conditions météorologiques participent aussi à la réputation de cet itinéraire, qui se situe entre 4000 et 5000 mètres d’altitude. Vent violent, chaleur la journée et grand froid la nuit sont des constantes de ce coin de désert particulièrement aride, le plus sec du monde. Se pose aussi la question du ravitaillement, tout spécialement en eau.

Avant de se lancer dans cette traversée qui dure au minimum une dizaine de jours, toutes ces questions viennent à l’esprit. Bien évidemment le doute naît. Sera-t-on à la hauteur de l’épreuve ? Avons-nous sérieusement préparé l’itinéraire et anticipé les embûches qui nous attendent ? Les provisions seront-elles suffisantes ? Le matériel de bivouac est-il assez performant pour protéger des grands froids ? La tente sera-t-elle assez résistante contre le vent violent ?

Mais voilà, justement ce sont toutes ces questions et ces incertitudes qui font surgir l’envie irrépressible de se confronter à cette immensité désertique. Cela explique pourquoi nous nous retrouvons Flora et moi, après un périple depuis Arica, sur l’île d’Incahuasi au milieu du salar d’Uyuni le plus vaste du monde, prêts à nous lancer dans l’aventure, qui va durer dix jours. En ce lieu extraordinaire où je situe le départ de cette traversée mythique, nous passons une nuit étonnante avec deux cyclistes, qui se trouvent aussi là par le hasard de la route. Le premier, Javier l’Espagnol qui vient justement de vivre cette expérience du Sud Lipez et qui en parle avec des trémolos d’effroi dans la voix. Le second, Hugues, l’Anglais passera d’abord par la ville d’Uyuni avant de tenter l’aventure.

 

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1er jour  Île d’Incahuasi à Colcha K 60 km

Au matin, nous nous séparons de nos nouveaux amis, bien conscients d’avoir vécu un grand moment de communication entre amoureux de sensations fortes à vélo. Pour nous l’aventure commence par 50 kilomètres à rouler dans l’un des cadres les plus insolites de la planète, la partie sud du salar d’Uyuni. On reste stupéfait au milieu de cette grande étendue blanche entourée de hautes montagnes. Le silence est seulement perturbé par le crissement de nos pneus sur le sel. La vue porte à plus de cent kilomètres. Nous avançons facilement, donc assez rapidement. Presque à regret nous voyons le point de sortie approcher. Nous savourons d’autant plus notre plaisir, que nous savons qu’il s’agit de la partie la plus facile de notre itinéraire. Comment retranscrire ce que nous éprouvons en écoutant nos pneus bruire sur le sel dans cet air immobile du matin, alors que dans quelques heures le vent sera déchaîné, et alors toute quiétude aura déserté ce lieu. C’est tout le corps qui entre en harmonie avec les vibrations des roues en mouvement. La surface est changeante, elle peut être très lisse, plus rugueuse, parsemée de petites aspérités pointues ou faite d’immenses hexagones jusqu’à perte de vue. Cette surface figée s’apparente à la surface d’une mer qui elle aussi au gré des conditions météorologiques prend toutes sortes d’aspects. Nous restons très attentifs, afin de graver au plus profond de notre mémoire toutes ces émotions et sensations qui montent en nous, car la féerie du salar s’interrompt dès qu’on en aborde les confins.

 

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La piste de sortie se dessine, tout d’abord comme un fin trait noir dans le lointain. Au fur et à mesure que nous nous en rapprochons ses vraies dimensions se révèlent. Il s’agit d’une large piste surélevée, qui s’étire sur trois kilomètres. En effet, les abords du salar sont mouvants entre sel et sable, qui se disputent la suprématie. Vouloir sortir hors de la piste aménagée contraindrait à des efforts surhumains à pousser son vélo dans des zones inconsistantes. Il est donc bien préférable d’utiliser ce chemin d’accès. Dès que nous l’abordons, nous retrouvons la consistance habituelle des routes de ces coins perdus de Bolivie. Afin de minimiser ses efforts, il est impératif d’avoir l’intuition du passage le moins mauvais à prendre entre sable, tôle ondulée et cailloux. On n’y parvient pas toujours malgré les déplacements de droite et gauche permanents, et l’on se retrouve à forcer comme une bête sur les pédales, cherchant à se dégager d’un banc de sable, ou alors on se retrouve piégé à être secoué fortement sur une succession de vaguelettes, qui se révèlent une véritable entrave à la progression. Parfois il nous faut même pousser nos montures. Mais malgré tout nous avançons. Nous rejoignons le village de Colcha K. Peu avant ce hameau nous doublons un couple de Suisses à vélo, mais de plus ils traînent leurs deux enfants de trois et cinq ans, le plus petit dans une carriole et la plus grande sur un petit vélo accroché derrière celui de sa mère. Tout à fait incroyable, ils sont en train de traverser l’Amérique du sud et comptent aller jusqu’à la Terre de Feu. Le village dans lequel nous entrons est tout en longueur, épousant la forme de la gorge qui l’abrite. Cette première tape a été assez facile en comparaison de ce qui nous attend, bien que nous ayons fait quelques tours et détours en limite de salar à la recherche de la piste la plus praticable.

 

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Il est quatorze heures et la chaleur devient pesante. Nous sommes heureux de trouver un logement. Cela nous évite de monter la tente dans la touffeur, le vent et la poussière. Ce village calme nous apparaît comme un havre de paix dans l’enfer de sécheresse et de chaleur de l’Atacama. Nous réalisons clairement que nous sommes à la veille d’un combat d’au moins une semaine pour tracer notre voie à travers ces immensités de sable de lave et de lagunes entourées de hauts volcans. Le moral est bon, Flora a un mental d’acier. C’est probablement son métier de professeur de sport et d’entraîneuse d’une équipe de handball qui permet cela. Je suis bien content de cela, car c’est un atout prépondérant lorsqu’on se lance dans un défi difficile d’être bien accompagné, par quelqu’un qui ne se pose pas de questions et qui fonce, et avec d’autant plus d’obstination que la difficulté est grande.

 

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Nous montons sur les hauteurs du village. Les immensités du salar d’Uyuni et du Sud Lipez nous saisissent par leur beauté, leur étrangeté et aussi par leur hostilité dans cette ambiance de vent et de poussière, pays rude aux contrastes forts dans des espaces vastes difficilement évaluables. Nous ne pouvons nous empêcher de penser que ce désert sans fin nous sommes venus pour le traverser à la force des mollets. Nos certitudes sont un peu ébranlées devant ce spectacle sauvage. Mais pourquoi douter, cette première étape s’est remarquablement bien passée, alors pourquoi pas le reste ? On se pose cependant la question de la solidité de notre constance devant l’adversité à venir. Laissant là nos doutes nous retournons sur la place d’armes du village dans un petit restaurant qui nous sert un superbe poulet accompagné d’une bonne ration de riz. Rien de tel que le ventre bien plein pour arrêter de gamberger. Sur la table d’à côté, alors que nous sommes en train de savourer notre plat, plusieurs personnes arrivent avec une grande carcasse de lama et se mettent à la découper à l’aide de grands couteaux. Nos mines étonnées les font franchement rigoler et c’est avec bonne humeur qu’ils se prêtent au jeu des photos. Mais ce n’est pas particulièrement appétissant pour nous, petits Occidentaux aux habitudes policées !  

 

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2ème  jour Colcha K à   Avaroa 90 km

Dès six heures du matin nous quittons Colcha K, après nous être préparé notre petit déjeuner dans notre chambre. L’air est calme, le froid intense, mais l’absence d’humidité le rend presque agréable. Il est très important de partir le plus tôt possible, dès le lever du jour, d’une part à cause de la chaleur qui devient intense dès treize heures et d’autre part à cause du vent qui dans l’après-midi forcit. Ces départs matinaux dans la fraîcheur et l’air immobile constituent un vrai plaisir et l’âme du voyage à vélo s’y niche en partie. Les muscles bien reposés se mettent en action, et avancer sur une piste défoncée semble presque facile. Nous rentrons vraiment dans l’esprit du défi au Sud Lipez. De nombreux facteurs renforcent notre motivation et exacerbent notre désir de nous confronter à la piste les jours à venir. Pour ne citer que les principaux, je dirais, la curiosité face à ce spectacle unique,  l’envie d’aller voir plus loin, tester nos limites, le goût de l’effort, relever le défi auquel on aspire et puis ce bien-être dans cet air immobile du matin que le soleil arrose durant quelques heures de rayons tempérés.

 

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Ces immensités à perte de vue, sable, sel,  rares  touffes d’herbe en pointe nous rappellent l’ampleur du challenge. Dans le lointain, à une cinquantaine de kilomètres, un volcan, il s’agit sans doute de celui au pied duquel se trouve le poste militaire de Chiguana. Notre chemin passe par là. Éventuellement nous envisageons, selon les conditions de demander l’hospitalité en ce lieu. Nous verrons bien  le moment venu. En effet, la piste est toujours pleine de surprises. On ne sait jamais si l’on va pousser ou rouler, si la moyenne sera de trois  ou douze kilomètres à l’heure. Les bancs de sable apparaissent, ils peuvent disparaître rapidement ou au contraire nous obliger à de longues heures à côté de nos vélos, comme englués dans une matière collante.

La piste court le long  d’un immense golfe du salar, en en suivant les contours. En effet, le salar d’Uyuni s’apparente exactement à une mer, seule différence il s’agit de sel et non d’eau. La qualité du sol n’est pas propice à nos roues. Il nous semble que si nous descendons directement sur le salar, nous devrions trouver une piste beaucoup plus favorable. Pour commencer, afin de le rejoindre il nous faut pousser sur un chemin de sable et même franchir des barbelés, sans doute un ancien enclos à lamas. Pourvu que nous ne soyons pas engagés dans une impasse et que nous devions revenir sur nos pas, après avoir dépensé beaucoup d’énergie et perdu des heures précieuses avant la chaleur, qui inexorablement monte. Nos espoirs sont exhaussés. Devant nous une zone plane, comme damée se dirige plein sud. Sur une dizaine de kilomètres nous progressons à bonne allure. Quelques kilomètres à l’ouest se trouve la piste beaucoup plus difficile sur laquelle nous voyons les volutes de poussière laissées par les rares véhicules qui circulent. Cet itinéraire se joue aussi sur des coups de chance. Pourquoi décider quelques kilomètres à droite ou à gauche ? La différence en temps et fatigue est conséquente. La trace que nous suivons se rapproche de la piste et la rejoint au point précis dont j’avais noté les coordonnées sur Google earth. Le GPS est vraiment un outil sécurisant dans ces immensités où tout se ressemble et se confond.

Le prochain village sur notre route se nomme San Juan de Rosario.   Nous partons plein ouest par une piste constellée de trous et de bosses. Après une quinzaine de kilomètres nous rejoignons San Juan. D’après nos informations nous devrions y trouver du ravitaillement. Effectivement, quelques épiceries proposent divers produits. Nous choisissons la plus grande et y entrons comme dans la caverne d’Ali Baba. Qu’allons-nous acheter et en quelles quantités ? Combien de jours allons-nous mettre pour traverser jusqu’à San Pedro de Atacama ? Nous ne sommes pas en mesure d’apporter des réponses bien précises à nos différentes interrogations. Nous partons du principe que deux kilos de riz et deux kilos de pâtes devraient nous fournir une bonne base. On complète avec de nombreux petits pains ronds, quelques boîtes de thon et paquets de gâteaux. Nous n’oublions pas de nous charger chacun de sept litres d’eau. Ainsi nous voilà parés pour plonger dans la grande aventure.

Nous quittons le village, la route la plus importante n’est pas la nôtre. Une grande plaine, qui ressemble fort à un salar, se déroule devant nous en direction de l’ouest vers la frontière chilienne. Il nous faut y aller. Comme toujours les zones en limite de salar sont très sableuses et difficiles à vélo.  Mais une fois sur le sel, le sol devient dur et la piste agréable. La progression se poursuit à un bon rythme. Notre moral est au beau, car pour le moment nous sommes en avance sur nos estimations. Mais n’oublions pas qu’il nous reste 300 kilomètres et de sacrés obstacles. Mais ne réfléchissons pas trop aux incertitudes futures. Contentons-nous de vivre notre route kilomètre par kilomètre et de nous attaquer aux difficultés immédiates quand elles se présentent.

Sur notre gauche en bordure sud du salar, la fameuse voie ferrée. Nous ne pouvons la voir du fait de la distance. Par contre nous discernons les immenses trains minéraliers qui traversent ces grands espaces. De baies en plaines nous venons buter sur la voie que nous traversons à proximité du poste militaire. Nous sommes satisfaits car nous avons depuis ce matin déjà effectué cinquante-six kilomètres, et il n’est que treize heures. La chaleur dans ce terrain de pierre devient intense et l’ombre est quasiment absente.  Une vieille gare désaffectée et délabrée nous offre sa protection à quelques centaines de mètres du poste militaire. Que le lieu est étrange. On se croirait dans une mise en scène du livre de Dino Buzzati « le désert des Tartares ».

Nous nous installons à l’ombre de l’avant-toit et mettons en action notre réchaud à gaz afin de préparer une bonne platée de riz. Alors que notre repas mijote, des bruits de moteurs de motos nous font regarder dans la direction d’où ils proviennent.  Effectivement cinq ou six motos de trial, suivies de deux véhicules 4X4 viennent vers nous.  Ils s’arrêtent aussi à la gare pour y déjeuner. Des deux véhicules sort tout un attirail, table, chaises, glacières, nourriture  et boisson à profusion. Ils s’installent à côté de nous à l’ombre.  Il s’agit d’un groupe de motards de Saint-Étienne qui effectue un trajet en boucle de quinze jours depuis la Paz. Nous allons passer un moment agréable en leur compagnie, et surtout ils vont nous proposer quelques aliments de choix, en particulier un magnifique morceau de viande de bœuf.  Flora décline l’offre, mais pour ma part je me rue et prends une large tranche que je déguste avec un immense plaisir.

 

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Vers quatorze heures les motards se remettent en route et disparaissent rapidement dans le lointain. Le vent s’est levé et il nous est défavorable. La chaleur est forte, mais sans hésiter nous enfourchons nos vélos avec l’intention de rejoindre le poste frontière bolivien d’Avaroa distant de trente-trois kilomètres. Nous espérons seulement que la piste sera suffisamment roulante pour nous permettre d’y arriver avant la nuit.  La première partie est effectivement facile, bien que le vent nous ralentisse et que parfois nous nous demandions si nous ne sommes pas en train de nous perdre dans l’un des recoins de cette immensité sans point de repère. Nous quittons le salar et sa piste aisée et tombons sur une route poussiéreuse de creux et de bosses, pleine de cailloux, avec pour nous aider un vent qui souffle en tempête et qui nous arrive en plein nez. Ces quinze kilomètres nous demandent trois heures d’efforts violents. Nous avons l’impression que jamais nous n’atteindrons notre but avant la nuit. De toute évidence le combat du Sud Lipez a bien commencé, et son hostilité légendaire nous apparaît dans toute sa réalité. Nous finissons par distinguer dans le lointain ce qui ressemble à des bâtiments. Très lentement ils grossissent et à la nuit quasiment tombée nous y sommes. Dans la tourmente de vent qui sévit nous nous imaginons difficilement monter la tente. Nous demandons l’hospitalité au douanier qui tient son poste. Il nous répond d’attendre. Une demi-heure plus tard il ferme la douane pour ce jour et  il nous propose la salle d’attente comme chambre à coucher. Nous n’en demandons pas plus, et nous installons à même le sol, trop contents d’être à l’abri. Nos couchages installés nous mettons en œuvre notre réchaud. Nous sommes de vrais nababs !

 

3ème  jour Avaroa à la Laguna Hedondia 60 km

Réveil cinq heures, il fait nuit. Nous préparons notre petit déjeuner dans notre poste de douane. Vers les six heures nous sommes prêts, cependant il nous faudrait plus d’eau pour la journée à venir. Nous demandons au douanier qui dort dans son bureau à côté. Comme hier il nous apporte un seau, ce qui nous permet de compléter notre stock d’eau. Nous sortons, et comme tous les matins l’air est immobile. Devant nous l’immensité minérale au-dessus de laquelle d’immenses volcans nous regardent de leurs six mille mètres. Tout est à une autre échelle qu’en Europe.

 

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Nous partons par une large piste utilisée par les camions qui ravitaillent certaines parties de la Bolivie à partir du Chili. Cette route qui porte le numéro 701 nous allons la suivre sur un peu moins de quarante kilomètres. Alors nous la quitterons pour les pistes sableuses. Il est tôt, très peu de circulation, nous apprécions, car chaque fois qu’un véhicule nous dépasse ou nous croise nous sommes pris dans un nuage de poussière qui met un certain temps à retomber. Depuis notre départ entre poussière et absence d’humidité nos cloisons nasales sont irritées et ce n’est pas très agréable. Notre route monte de six cents mètres et nous conduit à 4300 mètres. En prenant de la hauteur le panorama s’élargit. De nombreux volcans apparaissent. A nos pieds s’étale l’immense vallée salée que nous avons traversée hier. Je suis toujours surpris de réaliser qu’avec un vélo on est en mesure d’abattre de grandes distances. En effet, cette vallée que je regarde vers le bas disparaît à l’horizon vers l’est, entourée d’un foisonnement de cônes volcaniques. Nous sommes dominés par le volcan Ollagüe, du haut de ses 5869 mètres. Son cône est égueulé dans notre direction. Nous pouvons y voir toute une palette de couleurs, du blanc au rouge sombre, ce qui correspond aux différents minéraux qui ont été éjectés au cours des irruptions.

 

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Vers les huit heures le trafic se fait un peu plus intense, camions, quelques cars et les véhicules 4X4 des touristes qui traversent eux aussi le Sud Lipez nous en gratifient de quelques nuages de poussière. La traversée classique en véhicule s’effectue en deux jours. Pour notre part il nous faudra au moins dix jours.  Le voyage pour les uns en voiture et les autres à vélo ne sera pas le même. Ayant déjà parcouru cet itinéraire en voiture je peux juger des différences. En véhicule derrière la vitre on a plus l’impression d’assister à un documentaire assis devant son écran de télévision. À vélo, d’une part la lenteur introduit un facteur qui permet la contemplation, d’autre part l’absence d’habitacle qui vous protège vous amène tout naturellement à vous sentir partie intégrante de cette nature sauvage qui vous entoure. Ce contact long et étroit, une réelle intimité avec la planète, est une sensation forte qui est créée par le fait que vous vous mettez à la merci des éléments qui parfois ne sont pas très cléments. L’engagement et le risque donnent de la profondeur à l’aventure. Le petit doute que l’on a toujours concernant un échec possible est un moteur fort de motivation pour lutter contre les multiples difficultés qui se présentent. Sur un vélo on se ressent beaucoup plus comme acteur que dans un véhicule. Le corps, les muscles qui fonctionnent et qui durant des heures sans se rebiffer  vont emmènent sur les pires routes, cela vous apporte la certitude que vous êtes vivant. Le vélo est un immense amplificateur de sensations au cours d’un voyage.

 

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Tout à mes réflexions nous continuons à monter jusqu’à un col. Une courte descente et ne pas louper le démarrage de la piste qui à droite nous conduira au cœur du Sud Lipez. Voilà l’embranchement, pas de doute grâce au GPS, devant nous une plaine fermée quelques kilomètres au sud par un col. Notre itinéraire passe par là. Bien qu’elle commence à descendre cette piste ne nous permet pas de rester sur le vélo et nous poussons.  Nous allons le faire sur trois kilomètres, tout d’abord dans du sable en descendant, puis dans de gros cailloux en montée pour rejoindre le haut du col qui est à 4300 mètres. Ces premiers kilomètres donnent le ton de ce qui nous attend sur les 250 suivants. Ne nous laissons pas envahir par le doute et le pessimisme.  Raccrochons-nous à l’instant présent. Ce que nous voulons c’est arriver ce soir à l’hôtel de la laguna Hedondia. Il nous reste donc 21 kilomètres à parcourir. Il est quatorze heures et la faim nous tenaille. À l’abri d’un muret de pierres adossé à une paroi nous nous protégeons du vent et mettons en route notre réchaud. Nous sommes bien organisés, nous sentons que nous sommes en mesure de résister aux intempéries. Cela est rassurant et renforce notre motivation. Après une halte qui nous a fait du bien nous reprenons notre chemin vers notre but de la journée. Nous dépassons un premier petit salar, puis nous rejoignons la laguna Canapa. Elle est de belles dimensions et de nombreux flamants roses en ponctuent la surface. Nous longeons cette étendue salée, pris sous le charme du spectacle et secoués par les bourrasques de vent qui avec l’après-midi se renforcent. Par la suite il nous fait pousser nos vélos jusqu’au sommet de la prochaine bosse. De là une dizaine de kilomètres au sud nous distinguons la laguna Hedondia. Elle est d’une autre ampleur. Sur le bord est nous sommes trop loin pour distinguer l’hôtel. La piste se déroule devant nous. En réalité une multitude de traces, il nous faut choisir laquelle sera la moins mauvaise. Le choix se fait à l’intuition en fonction de la grosseur des cailloux, la couleur, l’aspect plus ou moins sableux. Essayer de lire à travers ces différents éléments la praticabilité de la piste n’est pas chose aisée, mais il faut choisir et rapidement car tous les cent mètres, voire moins, tout est en permanence à recommencer. On a vraiment l’impression que l’on grignote l’itinéraire mètre après mètre. La lagune grossit,  nous en rejoignons le bord. Une piste blanche la contourne au plus près. Cela est très bon signe, car nous allons rouler sur un sel dur et notre moyenne va bondir. Nous discernons maintenant le bâtiment de l’hôtel. Nous le rejoignons facilement malgré le vent terrible qui souffle en bourrasques. Qu’il fait bon se mettre à l’abri. Nous sommes presque seuls. Un groupe de trois femmes a aussi décidé d’y passer la nuit. De la baie vitrée de la salle de restaurant nous assistons à la venue de la nuit dans ce décor féerique aux teintes incroyables, se côtoient le vert d’une zone du lac, le bleu d’une autre, le blanc du sel, le rouge de la roche, le rose des flamants. Le tout évolue en permanence en fonction de la position du soleil qui change rapidement à cette heure crépusculaire.

 

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La nuit n’est pas très bonne, d’une part du fait de l’altitude 4150 mètres et d’autre part à cause de l’odeur forte provenant des WC chimiques et qui se répand dans la chambre. Ces effluves disparaitront en cours de nuit lorsque la température véritablement polaire aura tout congelé !

 

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4ème Jour Laguna Hedondia à l’hôtel del Desierto  31 km

Comme chaque matin l’air est totalement calme et la clarté du soleil sur ce monde minéral est d’une beauté qui nous étonne chaque fois autant.  Bien que le froid soit vif, l’absence d’humidité le rend très supportable. Ces départs matinaux sont un enchantement. Le vélo est vraiment un mode de voyage idéal pour se sentir partie intégrante de ces régions que nous traversons. Autant le pare-brise d’un véhicule constitue une vraie barrière entre vous et la nature, le vélo lui s’efface et vous laisse en contact direct avec la sauvagerie du lieu, toutes vos sens aux aguets. 

 

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Nous commençons notre journée facilement, le sol est solide et nous longeons la laguna Hedondia. Ensuite une côte nous conduit par un col à la lagune suivante, nommée Honda. Ces premiers kilomètres sont agréables, le Sud Lipez aurait-il usurpé sa terrible réputation ? Ne vendons pas la peau de l’ours prématurément ! Effectivement, la suite va nous prouver que non, la réputation du Sud Lipez n’est pas usurpée. En effet, l’état de la piste se dégrade, sable et lave pulvérulente  l’envahissent, et seront nos compagnons au cours des huit heures qui viennent. Nous ne pourrons pas enfourcher nos montures, et nous nous engageons dans une longue séance de poussage de huit heures.

Tout d’abord une longue et large plaine à peu près plate  nous donne le ton de la journée. Une fois que nous l’avons traversée en poussant, nous marquons une pause vers treize heures à l’abri d’un rocher pour nous restaurer. Puis nous reprenons notre progression en direction d’une gorge. Nous espérons que le changement de topographie va entraîner une modification de la structure du sol. Il n’en est rien. Le seul changement provient que du plat nous passons à une pente raide, demandant d’autant plus d’efforts. Par endroits de grosses pierres nécessitent des détours sur cette piste défoncée et instable.

 

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Un motard nous rattrape. Nous discutons un bon moment. Il se dénomme Julien, est français. Il voyage depuis deux ans et demi avec sa Yamaha. Il a déjà traversé plusieurs continents, l’Europe, l’Asie, l’Australie et l’Afrique.  Ces rencontres improbables au milieu de nulle part sont toujours des moments privilégiés de communication On apprend toujours auprès d’êtres passionnés qui sont hors norme. Mais le temps court et il nous faut repartir et nous laissons Julien, qui termine son pique-nique. Lorsqu’il a terminé il nous double rapidement et nous dit au passage : « vous avez une drôle de manière de faire du vélo, d’habitude on est dessus ! »

 

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Nous continuons à monter, le vent devient très violent, la piste disparaît quasiment dans des champs de lave. Nous sommes le long d’un long plan incliné dont on ne voit pas la fin. Mon GPS indique 4700 mètres et ça monte toujours. Cela fait déjà au moins cinq heures que nous poussons dans ce terrain  inconsistant. Parfois nous devons soulever la roue avant qui s’enfonce profondément et qui se met en travers. On pourrait se décourager, mais voilà nous n’avons pas d’alternative. En effet, il n’est pas concevable de s’arrêter à un endroit aussi hostile, alors on pousse, on pousse à deux à l’heure mais on avance. Cependant engagés dans une telle entreprise, l’esprit tendu vers la réalisation de notre traversée, nous mobilisons toutes nos ressources physiques et mentales pour persévérer. Dans ces conditions je comprends bien Saint-Exupéry lorsqu’il dit que seule la démarche compte et non le but.

Un véhicule 4X4 s’arrête à notre hauteur. Nous lui demandons des indications pour rejoindre l’hôtel del Desierto. Le chauffeur nous les donne  et nous dit qu’il viendra voir où nous en serons à la tombée de la nuit. Dans une situation difficile, il est toujours réconfortant de savoir que l’on peut compter sur une aide.  Nous repartons. Flora caracole en avant, ouvrant la voie tel un bulldozer. La côte prend fin, devant nous une longue descente s’amorce.  Nous pensons que notre calvaire va prendre fin. Il n’en est rien, impossible de monter sur nos vélos, nos roues restent enfoncées dans un sable profond et inconsistant, mélangé à une poussière à la consistance et couleur du talc. Il nous faut donc continuer, alors que la descente est raide, à marcher arcboutés sur nos guidons à traîner nos lourds équipages sur plusieurs kilomètres. Cette étape semble ne jamais finir, alors que le jour décline. Enfin une indication, l’hôtel n’est plus très loin. À ce moment le 4×4 revient et nous demande si nous avons besoin d’aide. Nous lui répondons que non, mais le remercions. Encore deux petits kilomètres et nous serons arrivés. De plus comme par miracle la piste devient dure et c’est en pédalant que nous terminons cette étape qui se révélera la plus difficile de notre traversée. En effet, en douze heures d’efforts soutenus nous avons parcouru uniquement trente et un kilomètres. Je n’ose calculer la moyenne.

L’hôtel est un véritable havre de paix après cette journée en plein air. Au cours du repas nous entendrons de la part de personnes qui nous ont dépassés en véhicule une remarque du style : « il faut être un peu inconscient pour venir à vélo dans des coins pareils ». Je ne pense pas qu’ils aient raison. S’ils pouvaient imaginer ce que cela procure comme sensations de lutter contre l’adversité. D’autant que jamais nous nous sommes sentis dépassés et que s’il l’avait fallu nous aurions été en mesure de bivouaquer. En effet, notre tente nous la montons en une ou deux minutes maximum et lorsque nous sommes à l’intérieur nous y sommes très bien. La perception que l’on a des éléments n’est pas du tout la même lorsqu’on descend de son véhicule chauffé et lorsqu’on y est exposé depuis déjà de longues semaines. Dans ce second cas, le corps s’est aguerri et endurci. On a l’impression de retrouver les qualités de résistance et d’adaptation de nos ancêtres, qui vivaient dans des conditions beaucoup plus rudes que les nôtres. Cela procure un immense bonheur  pour le corps et l’esprit. Le vélo au long court de par la durée de l’effort est un sport unique. Une grande ascension difficile s’étire sur quelques jours voire un peu plus pour certains sommets de l’Himalaya, alors que le vélo vous permet de vous engager dans des coins reculés de la planète et d’affronter les éléments durant un périple de plusieurs mois. Ce qui doit s’apparenter le plus au vélo en termes de préparation à la durée, ce sont les grandes traversées en voilier. Mais je ne m’aventurerais pas trop sur le sujet, car la voile est un domaine que j’ignore, bien que des navigateurs m’aient déjà fait l’immense plaisir de m’emmener sur l’Atlantique par gros temps.

 

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5ème Jour  hôtel del Desierto à Arbol de Piedra  31 km

Nous démarrons ce matin d’un point surélevé et nous voyons à nos pieds la grande vallée qui constitue la première partie de notre étape du jour. La couleur nous inquiète, en effet elle révèle la présence de résidus de lave, ce qui constitue un terrible ennemi pour le cycliste. Les premiers kilomètres nous surprennent par leur facilité. Mais cela ne dure pas. Nous retombons sur les sols que nous avons eus hier. Durant une dizaine de kilomètres et trois longues heures nous allons pousser une fois de plus nos vélos. Dans ces moments, alors que l’on n’a aucune idée de ce que nous réserve la suite, on essaie de ne pas penser qu’il nous reste encore deux cents kilomètres à parcourir entre  grands volcans et larges lagunes.

 

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Nous arrivons là où la multitude de traces converge en une piste unique, qui semble beaucoup plus  consistante que le champ de lave que nous venons de traverser. Effectivement, enfin nous remontons sur nos vélos et reprenons des vitesses de l’ordre de huit à l’heure, ce que nous trouvons très bien. Nous sommes dans un cadre gigantesque. Tout autour de nous, aux limites lointaines de la plaine de lave, de grands volcans se découpent sur le ciel. Être au beau milieu de ce désert, alors que nous sommes venus par nos propres moyens physiques, nous semble presque irréel. Le voyage extrême à vélo ou considéré comme tel, fait naître des sensations et des sentiments, qui font oublier les difficultés et les incertitudes. Plus que jamais nous ressentons que sans adversité il n’y a pas de réel accomplissement. La difficulté est l’un des ingrédients indispensables pour une bonne alchimie du voyage.

Nous arrivons à Arbol de Piedra, gros rocher qui monte en s’évasant, sculpture naturelle, façonnée par le vent, universellement connue. Elle représente l’une des stars de cette traversée du sud Lipez. Le nombre de photographies qu’elle a généré doit être gigantesque. Il n’est pas tard, vers les quatorze heures, nous installons notre tente à l’abri d’une petite falaise, afin que le vent ne nous secoue pas trop. Il ne nous reste plus qu’à attendre tranquillement la venue de la nuit en regardant défiler les 4X4 qui s’arrêtent à proximité et dont les passagers s’empressent de fixer sur la pellicule la multiplicité des roches aux formes étranges qui fleurissent tout autour. Nous discutons avec quelques personnes étonnées de voir des vélos ici. Nous, nous sommes  étonnés par le nombre de personnes parlant français. On en profite pour demander un peu d’eau que l’on nous donne de bon cœur.  Par moments j’ai l’impression de ressembler à un singe quémandant quelques cacahuètes. Je plaiderais ma cause en disant que les conditions particulières justifient le comportement.

 

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Au soir, tous les véhicules ont déserté le lieu, et nous nous retrouvons seuls dans ce gigantesque décor d’altitude balayé par un vent furieux. La nuit s’installe et les étoiles envahissent la voûte céleste. La tente est large et confortable, ce qui est promesse de nuit douillette. Dans un cadre aussi fantastique le vent, le froid et la fatigue sont malheureusement  des freins insurmontables à la contemplation des astres dans ce ciel d’une pureté absolue. Alors que pouvoir observer le ciel dans ces conditions exceptionnelles de pureté de l’air sans aucune pollution lumineuse constitue un privilège rare, nous restons affalés dans nos sacs de couchage, trop contents de rester bien au chaud sans bouger.

 

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6ème Jour Arbol de Piedra à la laguna Colorada 18 km

La nuit a été très froide mais dans nos duvets nous avons bien résisté. Au matin cependant la partie inférieure de mon matelas est couverte d’une couche de glace. Nous attendons bien sagement que les premiers rayons du soleil atteignent le tissu de la tente pour mettre le nez dehors. Effectivement, dès que la chaleur arrive la température monte à une vitesse incroyable. Alors nous sortons et préparons notre petit déjeuner dans un décor grandiose. La ronde des 4X4 reprend. Tout naturellement les gens voyant que nous sommes à vélo et que nous avons dormi sur place viennent nous parler. Je suis encore une fois surpris de voir le pourcentage de Français. Les chauffeurs boliviens nous rassurent sur l’état de la piste. Nous partons donc confiants. Mais rapidement nous constatons que les critères pour un véhicule tout terrain ne sont pas les mêmes que ceux pour un vélo ! La piste est horrible, ça ne roule pratiquement pas.  Heureusement notre étape de la journée est courte. Nous roulons tellement peu, que nous nous écartons de la piste à la recherche d’un terrain stable. Mais nous ne le trouvons pas, c’est même pire ! La piste a cette couleur grise, qui nous indique que nous n’avons d’autre alternative que de pousser le vélo. On ne sait jamais si cela va durer cinq cents mètres ou dix kilomètres. On m’a toujours dit que le Sud Lipez nécessitait une grande qualité, la patience. On ne peut pas dire que je suis patient, loin de là. Mais je me suis bien imprégné  du conseil. Je me dis que ma journée est consacrée exclusivement à atteindre le but fixé, et que j’arrive à treize heures ou dix-huit heures cela n’a pas d’importance. L’esprit du lieu me pénètre, la distance le temps et la fatigue disparaissent de mon esprit. Plus de stress, je pousse en contemplant le décor gigantesque et d’une incroyable beauté qui nous entoure en ne cherchant pas à regarder en permanence ma montre. Les yeux ne cherchent plus le compteur kilométrique à guetter avec impatience les centaines de mètres qui défilent, voire seulement les dizaines. Pour ma part je ne peux plus  avoir les yeux rivés sur le compteur, car je me le suis fait voler il y a une dizaine de jours à la frontière bolivo-chilienne à Tombo Quemado. Mais j’aurais pu le remplacer par le GPS, qui a aussi cette fonction. Eh bien non ! Il est bien sur mon guidon, mais il reste éteint. Ça fait un bien fou, mais c’est un peu hypocrite car j’ai un topo qui donne précisément les distances. J’ai lu un livre d’un accompagnateur montagne, qui a fait une traversée en solitaire des Pyrénées, en fin d’automne, en passant par nombre de sommets. Il a décidé de ne prendre aucun appareil de mesure, boussole, altimètre, podomètre, montre. Le soleil et  sa carte étaient ces seuls éléments de repères. J’aimerais bien être capable de l’imiter. Effectivement,  je me sers du GPS pour me diriger vers un point lorsque j’ai un doute, mais suivre une trace je trouve que cela nuit à l’esprit du voyage. J’ai un ami lorsqu’il fait des balades en montagne, il ne regarde pas le spectacle de la nature, mais reste les yeux rivés sur son écran pour coller au plus près du parcours. Je trouve cela aberrant, mais ce n’est que mon sentiment, et chacun fait bien comme il veut. Cependant, au cours de mes voyages à pied ou à vélo, souvent j’ai fait de très belles découvertes alors que je m’étais perdu. Donc il est important de pouvoir se perdre. Mais je reconnais que dans l’Atacama, ça fait peur de ne plus savoir où l’on se situe !

 

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La laguna Colorada apparaît, elle semble loin, d’autant plus loin que nous poussons en descente pour la rejoindre. Mais nous en prenons l’habitude, et nous nous étonnons même de parcourir de telles distances à pied doucement mais inéluctablement. Il faut dire que Flora garde une constance  d’humeur et une forme physique indestructible, il n’y a plus qu’à essayer de l’imiter ! La piste perd sa teinte grise et devient meilleure. Une fois sur le bord nous arrivons rapidement au point de contrôle à l’entrée du parc. Nous payons la taxe et partons à la recherche d’un logement. Nous le trouvons facilement. Il n’est pas tard, 11h30.  Nous en profitons pour faire un peu de lessive, comptant sur le soleil de l’après-midi pour sécher nos affaires. Nous voyons arriver deux cyclistes qui traversent dans le même sens que nous. Le premier Ron est américain, le second Daniel, allemand. Ils sont lancés dans la descente de l’Amérique du sud, et roulent ensemble depuis Cusco.

Nos provisions diminuent lentement, car nous avons jusqu’à présent trouvé le gîte et le couvert assez fréquemment.  Après avoir englouti notre gamelle de riz, nous partons admirer la lagune Colorada à partir du point haut situé au nord. La vue est époustouflante sur un monde étrange, où les couleurs de l’eau sont surprenantes, le rouge domine rehaussé par des touches de vert. Le nombre de flamants roses est important, ils se regroupent en colonies nombreuses. À l’arrière-plan un immense  volcan à la forme pyramidale parfaite domine cette vaste lagune. Nous avons du mal à quitter ce spectacle grandiose, malgré le vent qui souffle en rafales rageuses.

 

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7ème Jour laguna Colorada à Sol de Manana  37 km

Comme tous les matins avec Flora dès le lever du jour nous sommes sur nos montures. Nos deux camarades Ron et Daniel, désirant comme nous aller bivouaquer à proximité des geysers ont décidé de partir plus tard. Les seize premiers kilomètres le long de la lagune sont particulièrement mauvais. Cailloux et sable sont présents en permanence et il nous faut jongler d’un côté à l’autre de la route pour espérer rester sur nos vélos. Nous n’y arrivons pas toujours et il nous faut encre pousser. Un pick-up s’arrête et nous propose de nous prendre. Je suis sur le point de céder, Flora s’y refuse. Voilà comment grâce à elle je traverserai le Sud Lipez sans aucune aide extérieure, un grand merci à Flora ! J’ai failli craquer car j’ai eu peur de la longueur de l’étape de 37 kilomètres, alors que les jours derniers nous avons effectué des étapes de l’ordre de la vingtaine de kilomètres seulement.

 

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Enfin nous arrivons au bout de la lagune et la route d’après nos informations s’améliore. Effectivement le sable et les cailloux disparaissent. Va-t-on pouvoir rouler ? Nous commençons par manger, puis nous remettons en route. Le revêtement est incontestablement meilleur, mais la pente est terrible. Nous voilà donc repartis dans une longue séance de marche dans une côte qui va nous conduire pratiquement à 5000 mètres d’altitude. En trois heures à côté de nos vélos nous progressons de 12 kilomètres et montons de 700 mètres. Quelques 4X4 et camions nous doublent. Ces derniers comme souvent en Amérique du sud contrairement aux bus sont toujours prudents lorsqu’ils nous dépassent et nous gratifient de grands bonjours par signes de la main ou par coups de klaxon.

 

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Nous arrivons à l’altitude de 4700 mètres et manifestement nous ne sommes pas au bout de nos peines. Nous marquons l’arrêt en un endroit où le point de vue sur tout ce que nous venons de parcourir depuis ce matin, nous démontre que bien que nous ayons passé pas mal de temps à pousser, nous avons fait un sacré bout de chemin, presque trente kilomètres. Après avoir grignoté quelques petits gâteaux nous repartons en roulant. Après un « super-poussage » c’est très bon pour le moral. Nous arpentons un vaste plateau, au bout duquel nous savons qu’il va falloir monter jusque vers 5000 mètres. Ron nous rattrape. Il a un bon coup de pédales. Avec Flora ils me laissent vite en arrière. Je les vois s’engager dans la dernière côte, Flora pousse, Ron non. Il faut dire que Flora a un petit plateau d’au moins trente dents, alors que Ron comme moi en possède un de 22 dents, ce qui permet de monter aux arbres. Le vent commence à souffler avec force et il nous est contraire. Je suis un peu perdu, je vois mes deux compagnons partir dans une côte  raide. Je fais un point GPS, je suis à plus de 4900 mètres. Ils sont en train de passer les 5000 mètres. Un 4X4 s’arrête à leur hauteur et leur indique le chemin de Sol de Manana. Je commence à sentir sérieusement la fatigue. Flora redescend à pied et vient me pousser pour passer le dernier petit raidillon qui conduit à un carrefour, d’où démarre la piste pour notre but du soir. En trois kilomètres en légère descente nous rejoignons cette cuvette extraordinaire, au milieu de laquelle des quantités de fumerolles se dégagent.

Il nous faut nous préparer au bivouac à 4850 mètres, dans ce site que l’on nous a dit glacial. Pour le moment le froid n’est pas très violent, il y a encore du soleil. Mais quand il va disparaître il faut s’attendre à une chute brutale et de grande amplitude de la température. Des points de bivouac nous n’en voyons pas vraiment. Il y a une ruine, avec Flora nous installons notre tente à proximité de l’un de ses murs, bien qu’il n’abrite pas vraiment du vent. En effet,  ce dernier est si violent qu’il crée sur l’obstacle des turbulences rageuses, qui nous secouent sérieusement. La tente est vite montée et dès que nous sommes à l’intérieur c’est le calme. Je suis vraiment content de mon choix, j’avais hésité entre plusieurs modèles.

 

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Daniel nous a rejoints. Nos deux amis cherchent un emplacement pour monter chacun sa tente. Ce n’est pas facile. Nous les aidons à construire un mur protecteur. Après ces trente-sept kilomètres difficiles effectués en 8 ou 9 heures, porter des gros cailloux à cette altitude dans les rafales de vent est assez éprouvant. Nous réussissons à ériger un joli ouvrage qui les protégera. Nous allons voir les geysers. Un dernier 4X4 se prépare à partir. J’en profite pour demander des renseignements pour la suite au chauffeur. Comme toujours c’est très gentiment qu’il me renseigne. Puis nous regagnons chacun nos tentes, car les conditions de température deviennent  sévères. On va même allumer notre réchaud à l’intérieur en mettant une couverture de survie en protection.

 

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8ème Jour Sol de Manana à la Laguna Chalviri  21 km

La nuit n’est pas très bonne, non qu’il fasse froid, mais le manque d’air m’handicape. J’essaie de lire un peu, mais nous passons Flora et moi une partie de la nuit à discuter. Je ne me souviens pas quels étaient les sujets, mais cela nous a aidé à passer le temps. Mais rien que de se trouver dans ce coin extraordinaire, malgré les difficultés à respirer j’éprouve un immense plaisir. Nous finissons par sombrer dans le sommeil bien après minuit.

Comme tous les matins l’air est immobile, les jets des geysers ne sont pas perturbés par le vent et montent très haut en grands panaches blancs qui se découpent sur le ciel bleu profond. Se réveiller avec le bruissement des gaz et émerger de la tente devant ce spectacle est tout simplement merveilleux. Dire que j’étais venu en ce lieu en véhicule il y a quatre ans. Je n’en garde pas cette impression féerique, qui me subjugue aujourd’hui. J’invite tout le monde à sauter sur un vélo et venir  bivouaquer ici et vivre cette aventure du Sud Lipez !

Dès que le soleil nous touche nous sortons et étalons nos affaires de bivouac et préparons notre petit déjeuner. Nos camarades ont moins de chance que nous, ils sont toujours à l’ombre et la différence de température est conséquente. Nous ne nous lassons pas de regarder ces grands jets qui pointent dans le ciel. Ce matin nous ne nous pressons pas, l’étape sera courte et en descente, et effectivement les différents chauffeurs boliviens nous l’ont annoncée « todo abajo ». Mais on se méfie quand même, même si d’après leurs dires ce sera très court. On table tout de même sur quatre heures. En partant vers huit heures on compte arriver à midi.

 

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Il nous faut rejoindre la piste principale qui passe quelques kilomètres plus bas. Les indications de la veille sont claires et rapidement nous sommes dans la descente qui doit nous conduire à la laguna Chalviri.  Effectivement, nous la distinguons nettement quelques centaines de mètres plus bas. La piste n’est pas très bonne mais nous pouvons rester sur le vélo, donc tout va bien. Encore et comme toujours le spectacle est magnifique. On ne se lasse pas de pédaler dans ce décor d’exception. Nous rejoignons le bord de la lagune et après quelques kilomètres les bâtiments des refuges font leur apparition au détour d’un mouvement de terrain. Nous trouvons de quoi nous loger et on nous propose aussi les repas. Nous n’en demandions pas tant, mais nous nous empressons d’accepter.

Nous déchargeons rapidement nos vélos et mettons nos sacoches dans notre chambre et partons nous baigner  en plein air dans une eau merveilleusement chaude provenant de l’activité volcanique. Cela procure un bien-être prodigieux ! Cette séance de thalasso nous a ouvert l’appétit,  nous rentrons et nous installons devant une belle assiette bien préparée. Le Sud Lipez c’est presque le paradis !

Ron et Daniel arrivent. Ron décide de ne pas s’arrêter, il compte rejoindre le refuge de la laguna Blanca. Cela fait encore beaucoup de kilomètres, une quarantaine et la chaleur commence à être forte. Daniel plus sagement reste avec nous. Nous passons l’après-midi à contempler cette magnifique lagune. Le temps est couvert, la pluie semble menacer. L’eau prend des teintes sombres sous les nuages noirs. Au cours de notre traversée nous aurons passé beaucoup de temps au bord des lagunes. Les étapes que nous avons effectuées nous ont permis bien souvent d’assister à la venue de la nuit sur ces surfaces liquides, et nous n’avons pas vu le temps s’écouler pris sous le charme de cette nature magnifique. J’imagine que les personnes qui traversent en 4X4 se disent que mettre dix jours pour faire ce trajet que l’on parcourt en 48 heures en véhicule, doit rapidement engendrer de l’ennui voire de l’impatience. Eh bien non ! L’esprit du lieu nous a pénétrés et la lenteur a été source de bonheur. Ne pas se soumettre aux  rythmes effrénés, qui nous Occidentaux nous réduisent en esclavage, toujours à la recherche de la rentabilité maximale, vite voir beaucoup de choses en peu de temps, eh bien casser ce cycle infernal du chronomètre donne accès à un autre mode de vie, qui procure beaucoup de jouissance et qui permet de vraiment s’imprégner de lieux aussi fantastiques que ceux que nous traversons. La planète reprend ses dimensions pour la plus grande joie de ceux qui ont décidé d’aller lentement.

 

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Nous sentons que l’expérience du Sud Lipez à vélo touche à sa fin. Demain nous effectuerons l’avant-dernière étape. L’ultime, ne comportant plus que 10 kilomètres de piste, ne sera que le point final de cette aventure. Presque à regret nous voyons arriver le terme de cette fantastique chevauchée, et nous n’éprouvons pratiquement aucune fatigue et la lassitude ne la piste ne s’est pas non plus installée. Cela fait déjà une vingtaine de jours que nous sommes partis d’Arica à la frontière nord du Pérou au bord de l’océan Pacifique et le plaisir de pédaler est toujours plus fort. Comme dit mon ami Jean, nous sommes en pleine vélo thérapie et les effets sont extraordinaires sur le corps et l’esprit. En me faisant ces réflexions je regarde la nuit venir sur ces immenses montagnes, qui prennent des teintes sombres évoluant vers le noir, quant à  la surface de la lagune elle prend une couleur argentée ou peut-être plomb fondu.

 

9ème Jour Laguna Chalviri  au refuge de la laguna Blanca  46 km

Comme presque tous les matins, départ six heures, c’est une bonne habitude que nous garderons jusqu’à Santiago. Effectivement, rouler dès le lever du jour permet d’effectuer des étapes dans de bonnes conditions de chaleur et d’arriver tôt, généralement en tout début d’après-midi. Entre six et neuf heures du matin, ce sont les meilleures heures pour rouler, et cela pas uniquement dans le Sud Lipez. Ici ce moment est privilégié car pas un souffle d’air ne perturbe la quiétude matinale.

Première partie de notre étape, le désert de Dali, étendue d’une vingtaine de kilomètres qui se termine par une belle côte qui culmine à 4726 mètres. Nous avons une bonne surprise, la piste sans être excellente est tout à fait « roulable » et nous n’avons pas à chercher désespérément et en permanence l’endroit de la chaussée où nous aurons une chance de rester sur le vélo. Le spectacle est une fois de plus grandiose. Des roches aux teintes étonnantes nous accompagnent  tout au long de ce désert. Il porte ce nom, en référence au grand peintre, dont certains tableaux rappellent le spectacle qui se déroule sous nos yeux dans ce monde minéral. La montée est effectivement sévère. Une fois au sommet, nous basculons en direction d’une autre lagune, plus formée de sel que d’eau. Nous sommes surpris à chaque détour ou mouvement de terrain par les couleurs qui se superposent, un sable rouge foncé qui tranche sur le blanc du sel, le tout se fondant dans le vert pâle de l’arrière-plan. Le Sud Lipez aura décidé de nous émerveiller jusqu’à son dernier kilomètre. Après cette lagune au nom oublié, le  volcan Licancabur, du haut de ses 5916 mètres, s’impose sur un décor magnifique. À son pied deux magnifiques lagunes s’étirent, le Blanca et la Verde. Cette dernière ne se découvre pas immédiatement.

 

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Nous longeons dans un premier temps la Blanca en direction du Licancabur. Le vent se met sérieusement de la partie. À l’abri d’une ruine en bon état nous faisons une halte pour midi. Bien protégés du vent nous mettons en action notre réchaud. Cette heure d’arrêt après trente kilomètres est très appréciée. Nous repartons face à un vent violent en direction de la laguna Verde, que l’on ne voit pas encore. Au détour d’un mouvement de terrain, elle nous saute littéralement à la figure ! Véritable bijou à la couleur vert émeraude, tapi au pied même de cet immense volcan à la forme géométrique parfaite. Malgré les très fortes rafales de vent nous restons au moins une demi-heure devant cette extraordinaire beauté de la nature. Nous sommes seuls. Nous essayons d’imaginer la voie d’ascension de ce cône qui nous domine. Puis nous enfourchons nos vélos et nous dirigeons vers la rive ouest de la laguna Blanca qui nous conduira onze kilomètres plus loin au terme de notre étape du jour, au refuge situé sur sa rive sud. Minuscules dans le lointain on discerne quelques bâtiments. Le vent cette fois va nous accompagner et c’est un plaisir immense de longer ce plan d’eau salée poussés puissamment par Éole. On pourrait penser que nous avons des vélos électriques. C’est presque sans difficulté que nous  avons effectué les 46 kilomètres de l’étape du jour. Le Sud Lipez c’est la surprise permanente. Un jour on parcourt difficilement trente kilomètres voire moins, et le suivant on pourrait faire le double. Au refuge nous retrouvons Daniel.   Nous ne sommes pas très nombreux, un groupe de Français en partance pour la traversée en véhicule en direction d’Uyuni y séjourne.

 

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10ème Jour laguna Blanca à San Pedro de Atacama  53 km

Je suis toujours étonné de la différence de sensation quant au poids du vélo avec ses bagages lorsqu’on le pousse ou lorsqu’on pédale. En effet le matin avant de se mettre à pédaler il faut sortir le vélo de l’endroit où on l’a rangé pour la nuit. Bien évidemment ces manipulations se font en poussant le vélo. À ces moments on le trouve effroyablement lourd et l’on se dit que jamais on va arriver à pédaler. Et puis le miracle s’accomplit, une fois les premiers mètres parcourus, les pédales tournent presque toutes seules.

 

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Ce matin nous sommes bien conscients que l’aventure du Sud Lipez va prendre fin. Au lever du jour sans empressement nous partons. Nous roulons lentement en cherchant à nous imprégner toujours plus de ce décor minéral, dont on ne se lasse pas. Les cyclistes qui ont effectué un tour du monde, disent presque tous que le temps fort de leur périple consistait justement dans cette traversée que nous sommes en train de terminer. Nous ne voulons pas terminer. Nous pensions que ces derniers kilomètres de piste nous les ferions comme une délivrance, heureux de quitter un enfer. Eh bien non ! Notre enfer nous aimerions qu’il dure encore et c’est à regret que nous voyons arriver le poste frontière, qui marque la fin  de l’aventure. Les douaniers boliviens sont particulièrement sympathiques. Ils ne nous font pas payer les 15 ou 20 bolivianos que nous avions conservés dans ce but. Ils se proposent même de nous prendre en photo tous les trois, car aujourd’hui encore nous roulons avec Daniel. Après avoir crié à leur intention, ce qui les fait rire, « Viva Bolivia » nous pénétrons au Chili. La piste se prolonge encore sur quelques kilomètres, au long desquels de nombreuses vigognes pas farouches du tout viennent nous donner un ultime salut du Sud Lipez. Un carrefour, le goudron est là. Nous sommes un peu tristes, un dernier regard en arrière sur ces dix jours qui nous laisseront des souvenirs merveilleux toute notre vie,  et nous nous lançons dans une gigantesque descente vers San Pedro de Atacama en faisant attention de ne pas nous laisser entraîner au-dessus de 80 kilomètres/heure, car les patins de frein risqueraient de chauffer plus que de raison.

 

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Ce que nous ne savons pas encore c’est que dans deux jours, notre prochaine étape, de San Pedro de Atacama à Salta en Argentine par le Paso Sico sur 500 kilomètres,  va nous réserver une aventure au moins aussi intense et plus sauvage que celle que nous venons de vivre. Mais c’est une autre histoire !

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