Au départ, il y en effet un couple, étrange, transgressif, toujours sur le fil de la vie, deux êtres fusionnels mais indépendants, se vouant une admiration réciproque sans bornes et enterrés ensemble dans le cimetière d’Ivry où elle avait tenu, dès qu’elle a pu disposer d’un peu d’argent à Paris, à acheter une concession commune plutôt qu’un atelier.
Ils eurent chacun de leur côté des compagnons, mais ils se rencontraient tous les jours pour déjeuner dans un café parisien. Ils se marient en 1955, sans pour autant s’imposer l’un à l’autre. Ils sont séparés par la maladie et meurent séparés. Ils se trouvent aujourd’hui réunis sous une pierre de granit poli.
Natalia Gontcharova. Le Cycliste.
Au début du XXe siècle, Natalia le suit lorsqu’il est renvoyé de l’école d’art de Moscou. Il la suit à Paris où elle se rend, attirée par l’extraordinaire créativité des Ballets Russes et de Serge de Diaghilev pour qui elle préparera le décor du Coq d’Or de Rimski-Korsakov et celui des Noces d’Igor Stravinski. Elle peint d’extraordinaires compositions postimpressionnistes, puis des inspirations fulgurantes venues des icônes traditionnelles, des coqs issus des arts populaires, mais se transcende dans le Futurisme et le Rayonnisme, s’implique dans le Valet de carreau et le Blaue Reiter avec Kandinsky. Elle atteint sa 81 éme année dans un après Seconde Guerre mondiale oublieux des artistes vedettes des années 30.
Au début du même siècle Michel met le feu à toutes les poudres. Il l’attire vers les cieux inconnus. Il côtoie Malevitch, travaille la couleur de manière plus fauve que les Fauves, décide de quitter la toile pour le théâtre ou le cabaret avec elle et Maiakovski, puis de peindre sur la peau, sur son visage et celui de ses collègues et sur le corps de ses modèles. Des toiles en mouvement où les poissons d’or s’animent autour des seins, bien avant qu’Yves Klein fasse des pinceaux de ses modèles. C’est lui qui mène la danse du Rayonnisme et l’y entraîne, sous la bénédiction d’Apollinaire. Comme d’autres de ses amis, il rejoint la Révolution russe, participe à la Grande Guerre et en revient étrangement détruit, comme Apollinaire sur un autre front, vaguement cassé dans son corps qui se répare peu à peu et encore plus choqué dans sa tête. Lui aussi bascule du côté du théâtre et abandonne complètement l’expression d’avant-garde.
Bien difficile souvent de savoir qui est qui, tant les deux silhouettes se confondent, s’exaltent, se poursuivent, se font la courte échelle, cherchent chacune à gravir un barreau de plus !
Au début des années soixante, un peu avant leur mort et juste après, ils font l’objet de rétrospectives. Leurs œuvres sont nombreuses, séduisantes, impressionnantes, fulgurantes. Dommage qu’il faille aller chercher dans les archives des galeries et des musées pour les y trouver aujourd’hui, derrière les grandes ombres des Cubistes, des Fauves parisiens et des Futuristes italiens.
Je les avais découverts il y a trente ans quand je me suis intéressé aux dessinateurs textiles de la Révolution russe. Je ne les retrouve qu’aujourd’hui grâce à un documentaire qui est présenté pendant trois semaines au cinéma Odyssée de Strasbourg dans le cadre de la 11eme édition consacrée au cinéma russe. Le film intitulé de 2005 « Mascarade russe », en référence à Lermontov, est de Youli Lourie et a été produit par Maria Sementsova qui est également intervenue dans le film en y introduisant, entre les phases d’un remarquable travail de présentation des archives, une paysanne vivante, doublée d’une poupée qui rappelle l’inspiration rurale de ces peintres qui renversèrent les tables et poussèrent les lois picturales vers les décharges. Une source champêtre donne de la fraîcheur à ces images un peu fanées et venues d’un temps disparu. La séquence de peinture corporelle réalisée en studio est également d’une très grande sensibilité.
Femme sur fond d’arbres. Michel Larionov.
La productrice était présente hier soir, responsable également du second court métrage de la soirée intitulé : « Les fenêtres ouvertes », une présentation documentée du festival de cinéma russe d’Honfleur, un film dont elle est l’auteure à part entière. Une partie du travail de mémoire qu’elle effectue de manière systématique doit servir à retrouver ce qui reste de l’éparpillement d’un cinéma fortement charpenté – et fortement contrôlé – qui, au moment de l’éclatement du grand empire, a laissé les créateurs libres, mais désemparés et les studios déserts.
Dans ces années zéro d’une nouvelle période créative où les moyens ne sont pas à la heuteur des espérances et de l’effervescence, elle s’intéresse plus spécifiquement aux rapports entre la Russie et la France et entre les créateurs des deux pays, mais se fait également un devoir de rassembler les mémoires des différentes républiques de la Fédération et des voisins, devenus indépendants. Elle a réalisé en 2006 « Appelez-moi Picasso » et dans la série le cinéma de A à Z, elle a exploré le cinéma arménien et géorgien.
Grâce à ce festival, une base de données sur le cinéma russe a été créée. Peu illustrée, elle témoigne néanmoins d’une richesse exceptionnelle, actualisée en permanence par des hommes et des femmes de bonne volonté.