On entre dans un rêve. Une montagne qui resplendit en plein été. Des sommets encore enneigés, une rivière qui bouillonne de plaisir et où on souhaite se plonger. On écoute religieusement la vibration des mouches et des abeilles et on devine le cri discret des oiseaux perdus dans les bois ou l’impérieux appel de ceux qui planent bien au-dessus, comme des anges protecteurs. Le chalet de bois, relais de chasse, petite maison perchée avant la pente qui atteint les alpages est parfaitement accueillant, on dirait même cosy s’il était situé dans des montagnes écossaises. Les provisions sont abondantes car les amis qui ont accompagné cette femme en voiture ont prévu de rester là quelques jours pour une partie de chasse. Tout exhale le bien-être. On pourrait même parler de bonheur. Seule inquiétude, le fait que ces amis qui sont allés se promener jusqu’au village voisin ne sont pas revenus au coucher du soleil. Mais la solitude est comblée par le chien qui n’a pas voulu accompagner ses maîtres et a même tenu, étrangement, à rester. La nuit est magnifique et le jour se lève tôt sur une aube enchantée. On imagine aisément les odeurs du bois qui sèche, le sentiment âcre de l’arnica et le vent qui caresse timidement les tiges des gentianes jaunes.
Mais les amis ne sont toujours pas revenus. Il faudrait certes aller voir si rien de fâcheux n’est arrivé.
Voilà exactement ce que nous découvrons avec l’héroïne. Et pendant tout le film, la beauté mortelle de la montagne sera présente, enveloppante, supérieure à tout, saison après saison. Dans la brume qui fait ondoyer les images de fantômes échappés et dans les nuages piégés en contrebas qui contrefont un tapis de coton ouaté. Dans la prison blanche qui enveloppe toutes les formes, comme dans la gelée qui fait craquer la vie en la pailletant de givre. Mais aussi dans la fonte du renouveau qui ouvre un nouveau chapitre. Une beauté à distance, d’une force invincible, mais si douce quand le soleil délivre la fragilité des papillons. Nourricière aussi par ses fruits, ses herbes, la vache qui paisse calmement et les chevreuils abattus brûtalement en pleine course.
Mais cette beauté est un piège. Lors de la première nuit, une bulle transparente et infranchissable s’est déposée à quelques kilomètres, tout autour du chalet, figeant dans une éternité étrange tout ce qui est resté au-dehors, en ne laissant le temps défiler que dans l’enclave strictement délimitée où elle se trouve inexorablement enfermée.
Ce film est une allégorie, mais qui n’est jamais ressentie comme telle. C’est un conte philosophique, qui ne délivre pourtant jamais de morale. C’est une admirable leçon de vie, de résistance, d’épreuve de force avec ce qui sera toujours plus fort, mais à quoi il faut cependant s’affronter. C’est aussi un extraordinaire film d’amour, même si le mot paraît étrange, d’amour entre une femme et un chien, une femme et une vache, une femme et deux chats et finalement une femme et l’énergie vitale qui subsiste autour d’elle et dans laquelle elle va se perdre et se confondre, comme dans le corps d’un amant. Un récit étrange sur ce qui permet de construire la solitude sans s’y abandonner, mais en finissant par s’offrir.
Il s’agit enfin d’un film littéraire au meilleur sens du terme, fondé sur le roman éponyme de Marlen Haushofer, dont la seule voix off et les sons de la nature racontent le drame et l’emprisonnement, au fur et à mesure que le texte s’écrit au crayon sur de vieux calendriers ou des papiers d’emballage, jusqu’à ce qu’il ne reste plus aucun support pour écrire.
Die Wand (The Wall, Le mur invisible).
Puisqu’il s’agit d’un film en compétition dans le cadre du Festival européen du film fantastique de Strasbourg, il ne sortira dans les pays de langue allemande qu’en octobre et en novembre en France. J’espère qu’il recevra un prix ce soir au cours de la réunion du jury.
Ne le confondez pas avec le film d’Elia Kazan de 1947 avec Gregory Peck. Die Wand a été tourné par Julian Roman Pölsler avec l’admirable Martina Gedeck.
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