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Portrait de femme : Le quai de Ouistreham de Florence Aubenas

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Florence Aubenas a incontestablement du talent. On  s’aperçoit très vite, à la lecture de son livre – reportage qu’elle a appris, le long d’une carrière de grand reporter où elle a connu le risque d’être otage en Irak, à saisir en quelques traits incisifs une situation ou un personnage.

Ce portrait d’une femme en galère, encore une, est un autoportrait en forme de quête et se place finalement un peu dans le même monde que celui du Havre de Aki Kaurismäki. Sauf qu’ici il n’y a pas de miracle, pas de couleurs pastel, mais le monde du chômage, des emplois précaires, de la course aux temps partiels, de la réalité française aujourd’hui, de la réalité de la crise là où elle frappe vraiment méchamment. Une situation que connaissent aussi les jeunes Grecs, les jeunes et moins jeunes Italiens et Espagnols et je ne parle pas des Portugais et de quelques autres citoyens des pays européens d’Est en Ouest. Tous ceux dont les parents ont connu les « trente glorieuses », un peu plus tard ou un peu plus tôt, selon que la dictature s’est ou non poursuivie jusque dans les années soixante-dix et dont les enfants connaissent les « trente piteuses » et la culmination de l’absurdité économique de 2008.

Florence s’est donné un challenge : prendre une année sabbatique, prétendre se réfugier dans le calme marocain pour rédiger un roman…et changer de vie en s’inscrivant à « Pôle Emploi » pour trouver un job non qualifié avec seulement le baccalauréat dans son CV. Autant dire en se mettant une pierre au cou et des boulets aux chevilles. « C’est la crise. Vous vous souvenez ? Cela se passait jadis, il y a une éternité, l’année dernière. La crise, on ne parlait que de ça, mais sans savoir réellement qu’en dire, ni comment en prendre la mesure. On ne savait même pas où porter les yeux. Tout donnait l’impression d’un monde en train de s’écrouler. Et pourtant, autour de nous, les choses semblaient toujours à leur place, apparemment intouchées »… « J’ai décidé de partir dans une ville française où je n’avais aucune attache pour chercher anonymement du travail. L’idée est simple. Bien d’autres journalistes l’ont mise en œuvre avant moi, avec talent : un Américain blanc est devenu noir, un Allemand blond est devenu turc, un jeune Français s’est même transformé en SDF, une femme des classes moyennes en pauvre, et je dois en oublier. »… « J’avais décidé d’arrêter le jour où ma recherche aboutirait, c’est-à-dire celui où je décrocherais un CDI. Ce livre raconte cette quête, qui a duré presque six mois de février à juillet 2009. »

Chapeau pour le défi et pour l’écriture ! Le livre se lit dans un  souffle, le temps d’un aller et retour en train à Saint Jean d’Angély. Il comporte pourtant plus de deux cents pages. Mais il cerne de près ce que l’on nomme une spirale infernale, celle qui entraîne une « population » – comme on dit – de plus en plus importante, piégée dans les cercles les plus effrayants de l’enfer de Dante. Une population ! Des gens, quoi : plutôt jeunes, plutôt de sexe féminin, plutôt non qualifiés, mais pas seulement. Des amis que l’on connaît et puis tous ceux, de plus en plus nombreux, qui s’enveloppent dans des cartons, à Strasbourg, comme ailleurs et qui à chaque fois nous surprennent par leur diversité et leur ressemblance à la fois. Combien de chômeurs déjà en France ? Plus de deux millions le 25 janvier 2009. Bientôt 3 millions aujourd’hui. Voilà malheureusement un livre qui n’a pas perdu de son actualité.

Il se lit comme un souffle parce-que on y est. « Mauricette se rue hors du cabinet de toilette. Dans une cabine, elle époussette tout ce qui peut l’être, fait briller les miroirs, ramasse les papiers (trente seconde). Dans le même temps et le même espace, s’agitent au moins deux autres employés, qui changent les draps des couchettes (on dit « faire les bannettes ») et passent l’aspirateur (on dit « être d’aspi »). Tous réussissent à s’éviter, les bras et les jambes se croisent au millimètre près, le drap s’envole au ras des têtes sans les frôler, à un rythme parfait, que la frénésie déployée par chacun à sa tâche et l’étroitesse des lieux rendent particulièrement spectaculaire. Une fille chante « il jouait du piano debout », d’autres rythment le refrain d’un coup de hanche. »

Un soap opéra, une comédie musicale, quoi ! Mais pour laquelle il faut faire à l’aube une heure de transport dans une voiture déglinguée, attendre sur le quai de Ouistreham l’arrivée du ferry, monter sans gêner les passagers endormis, jouer les fourmis et redescendre au plus vite, après avoir respecté le temps que le prestataire a accepté par contrat et celui qui va justifier un salaire millimétré comme les gestes. Enfin, un salaire à temps partiel, un contrat à durée déterminée, des heures découpées en tranche dans la journée avec plein de temps morts ou d’autres chantiers aussi misérables ! « Tout doit être impeccable. Faites surtout attention à ne laisser aucun cheveu, n’oubliez pas de prendre un chiffon de couleur différente pour les waters, d’éponger chaque goutte dans la douche surtout si elle a servi récemment, de ne laisser aucun savon usagé, de jeter tous les rouleaux de papier-toilette entamés. »… « Moi, le mois où j’ai débuté, j’avais des crampes dans tout le corps. J’ai perdu au moins six kilos. »

Parler ? Pas question ! Par contre trouver des formes de solidarités ? Certainement. Ou alors se jeter à la mer.

Après avoir vécu presque six mois à l’hôtel, dans plusieurs hôtels, je n’ai vu que le côté le plus rose de ce travail en saluant les petites équipes qui s’occupaient de mon confort quotidien. Mais combien d’autres équipes avons-nous croisées, sortant de l’avion low-cost au dernier moment, ou des toilettes de la gare ? Qui sont-ils ? Sitôt aperçus, sitôt disparus !

En fait, la réalité c’est aussi celle d’une autre population : celle des personnes chargées d’accueillir ce flot croissant, de l’endiguer, de le canaliser en partie vers la sortie – des statistiques – en partie vers la direction la moins dégradante possible. Mais que faire en effet ? Il y a des quotas, des heures à caler, des formulaires à remplir, des stages à nourrir, des rendez-vous absurdes. Des gens quoi, eux aussi ! Qui se trouvent de l’autre côté du miroir et qui essaient de trouver des formes de solidarité… jusqu’au renoncement. Ou alors qui décident de se jeter par la fenêtre.

Voilà ! Il faut lire !  Cela fait écho à un fameux discours de 2007, en campagne présidentielle. Qui a dit : « Je veux être le président du pouvoir d’achat », « je veux permettre à ceux qui veulent travailler plus pour gagner plus de pouvoir le faire » ?

Florence Aubenas. Le quai de Ouistreham. Point. Editions de l’Olivier, 2010.

Michel Thomas-Penette
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