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Portrait de femme : une année studieuse, Anne Wiazemsky

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La photographie du bandeau qui entoure le livre présente une jeune fille un peu boudeuse. Son profil n’est pas si différent de celui de la petite fille qui protège l’âne dans le film de Bresson. Mais dans celle qui la montre, à côté de Jean-Pierre Léaud avec un arrière-plan de « Petits Livres Rouges » écroulés, elle ne peut pas cacher que la vie lui a apporté un cadeau : l’amour.

En proposant son dernier livre au public, Anne Wiazemsky continue à faire œuvre de biographe. Sa famille, ses amis, son amant Jean-Luc Godard, devenu son mari dans la cocasserie d’une cérémonie suisse éloignée des journalistes, les cinéastes qui tournent autour des « Cahiers du Cinéma » et Jean Vilar, sont bien là. Et aussi Françis Jeanson, le philosophe engagé qui sait si bien apaiser les conflits, après avoir épousé avec courage la révolte des Algériens.

Mais pourtant il s’agit bien d’un roman. Et je peux comprendre la gêne, sinon l’énervement qu’elle montre lors de la présentation de son ouvrage le 31 janvier dernier à la Librairie Kléber. Elle s’attend à parler de littérature, ou au moins à répondre à des questions sur son style, son approche littéraire. Et, sans doute comme en 1967, le mythe Godard la submerge toujours, plus de quarante années après. C’est de cette relation « orageuse » dont l’auditoire aimerait l’entendre parler, dans la mouvance des amours de Gala.

Les plus sensibles des auditeurs présents évoquent le visage de sa mère, météorite transcendant qui se jette par solidarité dans les lendemains de la Guerre et y trouve un amour grandiose, sujet de « L’enfant de Berlin ». Son voisin de table, Gilles Leroy qui vient présenter lui aussi un  livre sur la naissance de l’amour, avec un jeune homme rencontré dans l’aéroport de Bucarest, choisit de lire le moment où Anne décrit les rapports entre le cinéaste au parfum de scandale qu’elle va épouser, peut-être, et son grand-père, devenu son tuteur légal, l’écrivain François Mauriac, pétri de traditions et capable de transgressions courageuses. Le premier viendra demander sa main au second. « Devenir le grand-père de Jean-Luc Godard, quelle consécration » lance-t-il. Comment ne pas aimer cet homme-là ?

Et puis, c’est le même Gilles Leroy qui, évoquant une extraordinaire interview de Pierre Dumayet en 1959, rappelle un jugement sans appel de Mauriac sur l’autobiographie : « J’avoue que j’ai toujours reculé devant cette sorte de résurrection forcée que l’on impose aux morts de la famille. » et d’ajouter « Les miens m’ayant détourné d’être poète, je me suis en quelque sorte vengé sur la Bête, en écrivant des romans sur la bourgeoisie française. » Et Gilles Leroy remarque si justement : « …à mieux l’écouter on entend la souffrance de l’enfant qu’il fut et qui sans doute a écrit tous les livres de Mauriac. »

De la littérature donc. Et la plus belle. Faite d’un déroulement linéaire qui enlace la prose délicate et discrète avec les émois d’un amour naissant. Nous sommes en 67 – pardonnez-moi, je m’en souviens. Anne fait son entrée à Nanterre et y rencontre le rouquin Cohn Bendit, Dany le Rouge, qui continue de nous défendre encore aujourd’hui à Bruxelles, lui aussi quarante années plus tard, contre l’absurdité des pouvoirs absolus. Pardonnez-moi, je me souviens là encore de sa harangue depuis une fenêtre de Jussieu, début mai 68.

De la littérature faite de souvenirs qui me touchent, mais qui, étrangement se vivent parfaitement au présent. Comme si le coup de foudre avait eu lieu il y a quelques heures. Comme son grand-père, Anne écrit dans le présent. Le présent de la jeune fille qui s’échappe de sa famille, pour mieux affirmer,  sans en avoir vraiment conscience, qu’elle sera la troisième génération à prendre son indépendance sans aucune concession.

Voilà donc le miracle de l’écriture dont Anne aurait peut-être aimé entendre parler. Cette fraîcheur magnifique des sentiments, à voix nue. Elle écrit tout simplement : « Le lendemain, je reçus trois longs télégrammes. Jean-Luc reprenait calmement ce qu’il m’avait déjà dit, un jour, dans un café du Trocadéro : nous nous aimions autant l’un que l’autre, de cela il était convaincu.  Presque vingt ans nous séparaient qui le rendaient mieux armé que moi face aux petites et grandes souffrances de la vie, c’était donc à lui de patienter, de m’attendre. Il ajoutait qu’il ne souhaitait pas me mettre en cage, mais construire quelque chose de sérieux avec moi, « d’être deux sur la route, de dire et penser nous. » Ainsi disent parfois les artistes, avec  la plus grande sincérité de leur inconscience.

Mais cet amour-là, je veux dire cette qualité d’amour, il n’existe rien de mieux, en effet. Et Anne, a bien dû apprendre, son écriture en témoigne, que le roman et la vie se mélangent. Ainsi, les décors du film absorbent les paroles des acteurs, en leur donnant l’accent de la vérité. Mais ces paroles-là peuvent parfois flamber un peu vite.

Juste avant le tournage de « La Chinoise » Godard lui ouvre la porte de l’appartement où il va tourner, où elle va jouer. Et qui sera leur futur appartement commun après le tournage. Inconscience ou confusion des genres ? Plutôt naïveté !

« L’appartement avait été refait à neuf et sentait bon le propre. Les murs d’un blanc immaculé mettaient en valeur les portes et les volets peints en rouge, bleu ou vert. C’était artistiquement très beau et d’une surprenante gaieté. La chambre était blanche, avec, comme il l’avait souhaité, des rideaux, une moquette, une porte et un grand lit dans différentes gammes de bleu….Nous étions dans le bleu, blanc, rouge, souhaités pour le décor du film et une phrase de Mao s’alignait en lettres noires sur le mur du fond : « Il faut confronter les idées vagues avec les idées claires. » Malgré cela, l’atmosphère de la chambre était intime et chaleureuse. Comment imaginer que d’ici quelques heures une équipe de cinéma allait l’envahir ? Je me rappelai alors que Jean-Luc avait exigé que tous ses techniciens portent des pantoufles.

–         On essaye le lit ? proposa Jean-Luc. »

Merveilleux, non ?

Souvenez-vous. Cette déclaration d’un jeune homme à une femme plus âgée :

« Vous étiez en bas, dans l’antichambre, prête à sortir, sur la marche ; – vous aviez même un chapeau à petites fleurs bleues ; et, sans nulle invitation de votre part, malgré moi, je vous ai accompagnée. À chaque minute, cependant, j’avais de plus en plus conscience de ma sottise, et je continuais à marcher près de vous, n’osant vous suivre tout à fait, et ne voulant pas vous quitter. Quand vous entriez dans une boutique, je restais dans la rue, je vous regardais par le carreau défaire vos gants et compter la monnaie sur le comptoir. Ensuite vous avez sonné chez Mme Tuvache, on vous a ouvert, et je suis resté comme un idiot devant la grande porte lourde, qui était retombée sur vous.

Mme Bovary, en l’écoutant, s’étonnait d’être si vieille ; toutes ces choses qui réapparaissaient lui semblaient élargir son existence ; cela faisait comme des immensités sentimentales où elle se reportait ; et elle disait de temps à autre, à voix basse et les paupières à demi fermées : — Oui, c’est vrai !… c’est vrai !… c’est vrai… »

Et Anne Wiazemsky.  D’une jeune femme à son amoureux plus âgé :

« Jean-Luc avait retiré ses lunettes. Je découvrais ses yeux, très beaux, grands ouverts qui fixaient les miens. Son regard était si doux qu’il en était presque triste. Il semblait s’offrir sans rien demander en échange, se donner complètement et pour toujours. Sans lunettes, il montrait quelque chose de caché, quelque chose de très intime. »

Michel Thomas-Penette

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