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Quête d’Istanbul : Le Ramadam

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Le Ramadan suit son cours à Istanbul. L’occasion pour moi de vous raconter deux images très fortes liées à ce temps de jeûne séparées par 14 années mais qui auraient pu être contemporaines.

En 1993, année de mon arrivée à Istanbul, le ramadan était en plein hiver. J’étais intriguée car je sentais bien que cela correspondait à temps fort et particulier, même pour les non croyants. J’habitais chez ma famille d’accueil, une mère et sa fille, Canan et Asli, à Tesvikkiye. Ceux qui connaissent ce quartier élégant savent qu’il est traversé par une longue rue très en pente qui dévale de Nisantasi à Besiktas, la Husrev Gerede Caddesi. L’appartement de Canan, au 6ème étage, surplombait cette avenue et permettait de l’embrasser du regard dans toute sa longueur. Une nuit, je me suis réveillée. Tout était noir et pourtant de la rue montait un bruit sourd et régulier. J’ai cru que je rêvais, mais le bruit était perceptible et bien réel. Je me suis collée à la baie vitrée, cherchant à comprendre. Et c’est là que j’ai vu un homme, seul, qui descendait lentement l’avenue, entre deux rangées de voitures, sous la clarté jaune des réverbères … Les ombres masquaient son visage. Calé sur son ventre était un énorme tambour, ses bras faisaient d’immenses moulinets à chaque battement et ses pas se réglaient sur le rythme de l’instrument … Poum … Poum … Poum … Le son était sourd et lourd. Dans un autre contexte, il aurait presque fait peur. J’étais fascinée et me suis demandée si je n’avais pas fait un voyage dans le temps. Mais non, ce sont eux, cet homme et son tambour, qui avaient traversé les siècles pour accomplir ce rite de réveiller la population avant les rayons du soleil. Sans allumer la lumière, Canan m’avait rejointe et elle sourit de mon étonnement. Puis elle dressa la table pour un copieux petit déjeuner « C’est le davulcu ! ». Asli, alors étudiante, se leva aussi, ses longs cheveux blonds tout ébouriffés et les yeux gonflés de sommeil. Après avoir grignoté un peu avec elles, je me recouchais et jamais n’oubliais la vision de cette silhouette solitaire au tambour.

L’autre souvenir est bien plus récent car il date d’il y a … juste 15 jours, en fait ma dernière soirée à Istanbul. Un ami français vivant depuis longtemps sur les bords du Bosphore, m’invita à un repas d’iftar (rupture de jeûne) un peu particulier. Il avait lieu à la mosquée de Sisli, au coeur d’Istanbul, quartier cosmopolite s’il en reste, où un immeuble se partage entre familles arméniennes, grecques et musulmanes.

Après nous être garés dans un parking voisin, nous traversons le parvis, le soleil se couche, la lumière est belle et la rue se calme car la circulation se raréfie. A l’angle de la place, la distribution d’un repas chaud dans un emballage thermoplastique par une fourgonnette de la mairie suscite un petit attroupement.

Nous arrivons dans la cour de la mosquée où déjà une longue queue s’est formée. La mosquée se dresse sur la gauche, nous entrons dans les bâtiments réservés à l’imam et sa famille, sur la droite. Dans la salle à manger, grande et sobre, une table est dressée pour recevoir une dizaine de convives. Le mur du fond est barré d’un très long cadre renfermant un tissu brodé d’un noir de jais : un morceau de la tenture noire qui habille la Kaaba de la Mecque et qui, changée chaque année, est distribuée parmi les mosquées.

Je m’éclipse pour aller observer ce qui se passe dehors. Il me reste juste 15 mn avant le coucher du soleil. La file est encore plus longue, tous des hommes, jeunes ou moins jeunes, dignes et patients. Les quelques femmes présentes se sont assises de l’autre côté, leur plateau déjà servi sur les genoux : elles n’entrent pas dans la queue car elles sont servies les premières … Près de 1000 repas sont servis chaque soir. En fait, près de 700 personnes se présentent mais certains reviennent ou prennent des repas pour des proches qui n’ont pu se déplacer.

Dans la salle à manger, les convives se sont rassemblés : un père franciscain vivant à Istanbul après 25 ans de service pastoral en Afrique noire musulmane, agé et fatigué mais d’une vivante volonté, un père italien en « stage » pour quelques mois en terre turque, l’imam de la mosquée de Sisli, dynamique quadragénaire, le Dédé, maître spirituel de la confrérie des mevlana, la soixantaine cheveux blancs comme neige et barbe assortie, une voix douce et des yeux vifs derrière ses épaisses lunettes, son épouse et deux autres personnes, elles aussi de la confrérie. A la rupture du jeûne, l’imam prononce des phrases rituelles que je ne comprends pas. Sur la table quelques assiettes seulement : des dattes, du pastirma, de la charcuterie (halal) et quelques pâtisseries au miel. Nous buvons du thé ou des jus de fruits. On nous servira plus tard un plat à base de viande et haricots blancs. Tout au long du repas, les commentaires du Coran nous accompagnent, prononcés en turc par l’imam adjoint devant les fidèles en prière. L’imam nous explique qu’en période de Ramadan, le sous-secrétariat aux cultes envoie chaque jour le thème ou parfois le texte des commentaires à prononcer. Il s’absentera plusieurs fois au cours du repas pour rejoindre l’assemblée en prière.

Le père franciscain a une requête : en Octobre, son ordre tiendra une réunion importante à Istanbul et il souhaiterait clore ce séminaire par une cérémonie œcuménique : recevoir les derviches tourneurs dans l’église de St Louis des Français à la fin du mois d’Octobre. Cela lui tient à cœur car c’est aussi l’anniversaire du rassemblement d’Assise. Le Dédé acquiesce : ils seront rentrés d’une tournée en Allemagne et il accepte l’invitation au nom de son groupe. C’est la seconde année consécutive qu’a lieu une telle manifestation œcuménique. Les échanges sont simples et mon ami regrettera plus tard qu’ils ne soient pas plus poussés sur le plan théologique. Peut-être a-t-il raison … Mais moi, j’en suis heureuse car, d’une part j’assure les traductions ( !) et d’autre part, l’écoute entre ces hommes de foi est bien vivante et très réelle.

A la fin du repas, l’imam prononce une prière de remerciements, le père franciscain, une bénédiction rappelant l’amour de Dieu, vivant au travers de chacun. Nous nous quittons à l’ombre de la mosquée, illuminée de mille feux en cette nuit claire de Ramadan. L’air est très doux dehors.

Marie Antide

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