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René Depestre, une voix haïtienne qui s’enracine dans les douleurs

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René Depestre, un poète à découvrir, une voix qui s’enracine dans les douleurs de son île.

Haïti  possède des peintres et poètes de tout première grandeur. Si l’île est pauvre  sur le plan des richesses matérielles, elle est riche d’une culture qui a dessiné son visage, un visage unique dans la mer Caraïbe. Ainsi René Depestre est-il de ceux qui donnent chaque jour à leur terre ravagée de douleur ses lettres de noblesse. Son univers associe, à la manière antillaise, l’engagement et le lyrisme, la sensualité et la colère.

 

Les poèmes d’un érotisme heureux, presque extasié, qui composent la partie centrale de son recueil  « Odes au réel merveilleux féminin », sont-ils encadrés par deux mouvements aux tonalités plus graves où se côtoient une réflexion sur l’Histoire et l’évocation d’un monde en constante mutation. Les poèmes consacrés au « chaos haïtien », aux intempéries qui ont frappé le sud de la France, à l’éclipse du 11 août 1999 ou à la destruction des tours du World Trade Center enracinent cette réflexion dans le terreau de notre quotidienneté.
« Non-assistance à poètes en danger » peut être considéré comme le testament poétique de René Depestre. À l’heure des bilans, il ne se contente pas de rendre hommage aux écrivains qui ont jalonné son itinéraire poétique (Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Pablo Neruda) ; avec la verve qui est la sienne, il formule également ses «dernières volontés» et s’alarme du sort fait à la poésie dans un monde soumis à la rage consumériste.

Né à Jacmel, au sud-ouest d’Haïti, en 1926, son enfance est marquée par la mort de son père, de graves soucis matériels et l’émerveillement que lui inspirent la mer, la nature et le surréalisme mystique de la vie en Haïti. À dix-neuf ans, il publie « Étincelles », son premier recueil, qui lui vaut un succès immédiat et lui permet de rencontrer de grands intellectuels, parmi lesquels André Breton et Aimé Césaire. Il publie aussi plusieurs romans, obtient le prix Goncourt de la nouvelle en 1982, puis le prix Renaudot en 1988 pour « Hadriana de tous les rêves », ainsi que de nombreuses distinctions dans le domaine de la poésie, dont le prix Apollinaire pour son « Anthologie personnelle » parue aux Éditions Actes Sud en 1993. L’écrivain-poète vit aujourd’hui à Lézignan-Corbières, petit village de l’Aude, où il poursuit son oeuvre poétique auprès de sa seconde épouse, d’origine cubaine. A travers ses ouvrages, René Depestre apparait comme le chantre d’un merveilleux incarné, le témoin d’une enfance de coeur qui le réconcilie définitivement avec le monde et les hommes, et l’artisan éclairé d’un verbe incandescent qui ne se départit jamais de sa lucidité. Il use d’une langue foisonnante où il mêle mythes et souvenirs des Caraïbes, langue qu’il façonne à sa manière comme il le revendique dans « Libre éloge de la langue française » :  » De temps à autre, il est bon et juste / de conduire à la rivière / la langue française / et de lui frotter le corps / avec les herbes parfumées / qui poussent bien en amont / de nos vertiges d’ancien nègre marron « .

Près de quarante ans nous séparent
loin de mes racines j’ai su
tous les malheurs qui t’attendaient
j’ai été malade de tous les fléaux
qui te guettaient dans l’ombre
ils étaient derrière ma porte avant
de porter la hache au bois de ta santé
Hazel et Flora ont dévasté mes jardins bien
avant leur folle équipée dans ton ciel.
Mon âme s’est ensablée longtemps avant ton port
tout un courant d’espoir s’est tu en moi des lunes
avant que ta rivière eût cessé de chanter
chaque jour un facteur invisible m’apporte
les mauvaises nouvelles de la goyave
de la mangue de l’oiseau-charpentier du café
et surtout de l’homme-néant de mon coin natal
le cheval le plus désolé de ma poésie s’appelle Jacmel.


Ce n’est pas encore l’aube dans la maison
La nostalgie est couchée à mes côtés.
Elle dort, elle reprend des forces,
ça fatigue beaucoup la compagnie
D’un nègre rebelle et romantique.
Elle a quinze ans, ou mille ans,
Ou elle vient seulement de naître
Et c’est son premier sommeil
Sous le même toit que mon coeur.

La peine des hommes – Extraits de  LA RAGE DE VIVRE

Mon avenir sur ton visage est dessiné comme des nervures sur une feuille,
Ta bouche quand tu ris est ciselée dans l’épaisseur d’une flamme,
La douceur luit dans tes yeux comme une goutte d’eau dans la fourrure d’une vivante zibeline,
La houle ensemence ton corps et telle une cloche ta frénésie à toute volée résonne à travers ton sang,
Comme tous les fleuves abandonnent leurs lits pour le fond de sable de ta beauté,
Comme des caravanes d’hirondelles regagnent tous les ans la clémence de ton méridien,
En toute saison je me cantonne dans l’invariable journée de ta chair,
Je suis sur cette terre pour être à l’infini brisé et reconstruit par la violence de tes flots,
Ton délice à chaque instant me recrée tel un coeur ses battements,
Ton amour découpe ma vie comme un grand feu de bois à l’horizon illimité des hommes.

Extraits de MINERAI NOIR

Une autre oeuvre à découvrir Hadriana dans tous mes rêves…

Armelle Barguillet Hauteloire

1 commentaire pour “René Depestre, une voix haïtienne qui s’enracine dans les douleurs”

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