Avec l’essai Romain Gary, l’enchanteur, Myriam Anissimov rend hommage par des textes, des photos et des documents à cet écrivain longtemps boudé par l’intelligentsia française et pourtant si passionnant. Un regard sur l’homme et son univers autant que sur l’auteur et son oeuvre…
Les admirateurs de Romain Gary, disparu il y a tout juste trente ans, trouveront probablement leur bonheur dans un album richement illustré qui vient d’être publié par Myriam Anissimov sous le titre Romain Gary l’enchanteur (Textuel, collection Passion, 190 pages, 49€). Le principe de ce livre s’assimile à celui des « albums Pléiade » de Gallimard, lesquels n’ont, à ce jour, consacré ni l’auteur des Racines du ciel, ni Marcel Jouhandeau – deux écrivains majeurs du XXe siècle dont l’œuvre, curieusement, ne figure pas au catalogue de la prestigieuse collection. Mais, contrairement aux célèbres albums, celui des éditions Textuel se présente au format d’un livre d’art, plus favorable à la mise en valeur des illustrations.
Myriam Anissimov connaît bien son héros ; elle en a publié une volumineuse biographieen 2004 (Romain Gary, le Caméléon, Denoël) qui fait autorité, même si elle fut en son temps très critiquée par Paul Pavlowitch. Ici, elle n’offre qu’un texte biographique synthétique, mais qui permet de se forger une idée assez fidèle de cet homme de lettres génial et fantasque, qui fut aussi l’un des plus grands mystificateurs de son siècle. En dépit de quelques redites dont l’auteur aurait pu faire l’économie, il faut saluer l’habileté avec laquelle elle a su dresser entre la vie de Gary et ses œuvres des passerelles aussi utiles qu’éclairantes.
Longtemps, Romain Gary fut boudé par l’intelligentsia. Ces lumières si peu éclairées lui reprochaient son gaullisme à une époque où il était de bon ton de proclamer : « Il vaut mieux avoir tort avec Sartre que raison avec Aron ». Fin lettré, le Général appréciait les romans de son compagnon, héros de la France libre. Mais à droite, cette droite « Tante Yvonne » conservatrice et chrétienne, l’écrivain n’était guère en odeur de sainteté, car son atypisme, les sujets de ses livres, ses nombreuses conquêtes féminines, son sens de la formule qui tue et son mode de vie plutôt libertaire le rendaient suspect, sinon infréquentable.
Gary n’avait rien d’un homme du passé ; son regard le portait vers le futur avec une capacité presque inquiétante de visionnaire. Il avait ainsi écrit un merveilleux roman consacré aux dangers d’un désastre écologique (Les Racines du ciel, 1956) à une époque où ce thème restait ignoré et où les « khmers verts » d’aujourd’hui n’étaient pas encore nés. En 1974, il avait également publié un ouvrage prémonitoire sur les dictatures islamistes (Les Têtes de Stéphanie). La même année, dans un chapitre de La nuit sera calme, il avait encore écrit ces lignes saisissantes, d’une actualité toujours aussi brûlante : « Pour le contenu politique, c’est le viol permanent d’un grand rêve humain. L’ONU a été dévorée par le cancer nationaliste. Le nationalisme, surtout quand il est jeune, frais et pimpant, c’est d’abord le droit de disposer sans appel d’un peuple – par tyrannie intérieure – au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. C’est le droit de couper les mains ou le clitoris des filles, de lapider les femmes adultères, de fusiller, d’exterminer, de torturer, au nom du droit du peuple à disposer de lui-même. »
Cet écrivain français qui, comme il se plaisait à le rappeler, n’avait pas une goutte de sang français dans les veines, mais entretenait avec la France une relation passionnelle, fut encore, lui qui avait, depuis son enfance, été victime de l’antisémitisme, l’auteur qui parla le plus justement du racisme, en en soulignant autant la face hideuse que le caractère universel, bien loin des exercices d’autoflagellation contemporains.
Romain Gary, l’enchanteur permet, par l’image, de suivre l’homme (et son double, Emile Ajar) dans son (ou ses) univers, de sa ville natale de Wilno à son dernier domicile parisien de la rue du Bac, en passant par Nice, l’épopée de la France libre et Los Angeles. On trouvera dans ces pages de nombreux documents inédits ou peu connus, photographies, manuscrits originaux (dont, p. 113, une curieuse autodédicace sur un exemplaire de tête des Racines du ciel), coupures de presse dont certains proviennent des archives de Diego Gary. La plupart des reproductions sont en noir et blanc, qui nous livrent, par exemple, de très beaux portraits de Gary à tous les âges de sa vie, et d’autres de Jean Seberg. Pourtant, par un parti pris « esthétique » difficile à comprendre, l’éditeur a aussi choisi d’imprimer certaines illustrations dans des nuances de bleu assez indéfinissables – une faute de goût qu’on aurait pu épargner au lecteur. Cette couleur incongrue rend peu lisibles les coupures de presse, dénature les photos et donne aux autographes, aux affiches et aux couvertures de livres (notamment la collection Blanche de Gallimard) un aspect artificiel et, pour tout dire, assez piteux, là où le noir et blanc eût fait merveille. Heureusement, cette fantaisie ne touche qu’une partie des documents présentés !
On semble désormais redécouvrir Romain Gary ; c’est une chance qu’il faut saisir, car lire ou relire cet écrivain est une véritable source de délices littéraires. Il s’était défini comme un « terroriste de l’humour » et rien n’est plus vrai ; sous sa plume, l’humour, omniprésent, devient même une arme de destruction massive pointée sur l’imbécilité, d’hier comme d’aujourd’hui.
Illustrations : Romain Gary et Jean Seberg pendant le tournage du film “Les oiseaux vont mourir au Pérou”.
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