On avait récemment redécouvert Doisneau sous un nouveau visage; cette exposition de Willy Ronis à la Monnaie (sous l’égide du Jeu de Paume; jusqu’au 22 août) est, par bien des égards, l’occasion de le redécouvrir aussi . Ne vous fiez pas à l’affiche avec son très beau, et hyper-connu Nu provençal de Gordes.
Certes la première salle reprend la plupart des icônes de Ronis, ses images les plus connues, les mettant en correspondance de pilier à pilier avec intelligence et humour. C’est ainsi que scènes d’adieux et retrouvailles se célèbrent dans ces trois magnifiques photos, d’abord le Départ des morutiers de Fécamp (1949) où le landau bourgeois contraste avec les habits du marin caressant sans vergogne le sein de sa femme en l’embrassant, ensuite une autre scène de tendresse volée, les Adieux du permissionnaire (1963) : Ronis raconte que ces deux amoureux se séparaient juste devant sa fenêtre et que, voyeur impénitent, il se tapit dans l’ombre pour saisir cet instant de bonheur triste. Enfin, cette photographie qu’il ne publia que bien plus tard, Le retour des prisonniers (1945) où une femme, nurse en uniforme (ou bonne soeur sans cornette ?), étreint avec tendresse un homme de retour des camps, photo intime, au-delà des bornes de l’indiscrétion, si émouvante.
Ronis sait capturer les instants photogéniques, parfois par hasard, souvent en prévoyant, en se positionnant là où il faut, en étant prêt pour le ‘kairos’, en attendant ce qui, immanquablement, va arriver.
Ainsi de ce Pub à Soho (1955), enfumé et glauque, où il a patiemment attendu que la serveuse se place dans les rais de lumière du dehors, et en soit nimbée comme une sainte du Quattrocento. Ainsi de cette ouvrière des filatures FTB dans le Haut Rhin (où trame et chaîne, plis et stries, sont pour lui des vecteurs de composition formelle, abstractisante) : il s’arrête soudain, raconte-t-il devant cette ‘harpiste’ renouant un Fil cassé (1950), devant cette madonne agenouillée en attente d’annonciation, devant cette figure éternelle, petit miracle de beauté qu’il se doit de recueillir.
Les alcoves présentent ses voyages à l’étranger, son admiration devant la R.D.A., ses pélerinages en U.R.S.S. ou à Prague, empreints d’une ferveur toute stalinienne, mais aussi ses découvertes de Londres, de la Hollande traditionnelle, de Bruges, de New York, de l’Italie ou de La Réunion. Partout ou presque, il sait capter quelque chose de simple et d’unique; il ne transporte pas, ou rarement, son regard de Français en voyage, il s’imprégne, il communie, il s’assimile. Regardez ces quatre garnements napolitains qui en trimbalent un cinquième, suivis d’une petite fille admiratrice timide, voyez leur gouaille, leurs trognes, leurs ombres : ces voyoux en graine n’ont rien à voir avec ses petits Parisiens plutôt sages (Petits Napolitains, 1938).
Enfin, Ronis est un photographe de femmes. D’abord la sienne, Marie-Anne, du Nu à Gordes jusqu’à la fin de sa vie : en 1988, Marie-Anne à Nogent sur Marne n’est plus qu’une petite tache, à peine discernable au milieu du tapis de feuilles mortes, du fouillis de branches et de feuillage, si fragile, si ténue et toujours aimée. Des nus aussi, souvent célèbres et glorifiés. Et des passantes, comme cette cousette patiemment guettée Place Vendôme (1947), pour être saisie au moment où le reflet phallique de la colonne dans l’eau s’inscrit entre ses jambes, l’une fixe, l’autre floue. Ronis aime raconter comment il a pris telle photo, quelles étaient les circonstances, comment il l’a tirée : ces petits récits accompagnent la visite.
Belle occasion de se forger une image de Ronis plus complète que celle transmise par ses photos les plus connues, d’avoir un regard plus riche sur la photographie dite humaniste, de se dépouiller de quelques idées reçues.
Toutes photos © Ministère de la culture et de la communication & Stéphane Kovalsky / dist. Agence Rapho.