C’aurait pu être une tragédie grecque ou le livret d’un opéra avec un homosexuel noir dans le rôle du baryton, une Portugaise blanche dans celui du ténor et un jeune et mignon moussaillon dans celui de la soprane, mais ce n’est une banale tragédie comme les journaux en dévoilent chaque jour, ou presque, qui se déroule dans un quartier de Rio de Janeiro à la fin du XIX° siècle.
Bom Crioulo, le Noir, navigue sur une vieille goélette de la marine brésilienne prise dans la « pétole » en rentrant au port, à Rio de Janeiro, il figure parmi les punis que le capitaine fait fouetter pour leurs manquements à la discipline. Bom Crioulo est un ancien esclave, une force de la nature, qui a été enrôlé de force quand il a été repris après une tentative d’évasion dans le sertao. Dans un premier temps, la mer est, pour lui, comme un grand espace de liberté où il se sent revivre, redevenir un homme qu’il n’était plus dans les plantations.
Mais, bien vite, ne supportant plus le mépris des officiers, le marin bosseur et docile qu’il était devient arrogant, fainéant et désobligeant à l’endroit de ses supérieurs qui ne connaissent que le fouet pour faire plier les fortes têtes. Et, quand le jeune et mignon moussaillon monte à bord, tout bascule, il tombe amoureux et devient jaloux et agressif mais supporte les châtiments avec courage pour impressionner l’éphèbe.
Quand il rentre à terre, il emménage alors avec le mousse dans une petite chambre qu’il loue chez une ancienne prostituée qu’il a, un jour, sauvée des mains de violents agresseurs. Mais la logeuse, n’est pas, elle aussi, indifférente aux charmes du jeune homme. « D’où la haine, cette haine qui le soulevait, sourde, remâchée, sauvage comme la colère d’Othello, contre le mousse ». Et, ainsi, le trio infernal est formé, les tensions peuvent s’exercer et le drame se mettre en place pour l’explosion finale.
Dans cette tragédie d’un grand classicisme, Caminha, hors l’amour et la haine, traite avec courage et audace, et il en fallait certainement à cette époque, des relations interraciales, de l’homosexualité, de l’amour charnel et même de l’onanisme sans jamais sombrer dans la vulgarité ni la grossièreté mais en restant, bien au contraire, toujours dans une grande pudeur et une fine sensualité. Et, plus au fond encore, il évoque le racisme, les ravages de l’esclavagisme et la fatalité qui en découle, privant les Noirs d’un bonheur possible car toujours le destin maudit rattrapera Bom Crioulo, Othello ou Negao. , Sergio Kokis a certainement lu cet ouvrage avant d’écrire « Negao et Doralice ».