Sebastian ou la perdition d’Eilahtan … Un roman est souvent destiné à donner l’illusion du réel. Etabli et reconnu, le réel donne aux événements et aux personnages une crédibilité dont joue l’imaginaire. Le roman d’Eilahtan procède d’une manière inverse : l’imaginaire est le fond sur lequel se dessine le réel.
Sebastian ignore son âge, il a peut-être seize ans. Enfant sans origine, il est manipulé par une société victorienne qui le châtie et l’honore : prostitué par ceux-là mêmes qui l’ont adopté, il porte une malédiction que l’on rattache rapidement au nom de Sodome.
C’est la condamnation qui traverse le temps et trouve cette réalité que l’Angleterre de la fin du XIXe siècle sut si parfaitement organiser. Sebastian est donc, avec ce prénom légendaire, un voyageur incarné, c’est-à-dire un être imaginaire qui prend une forme provisoire dans un lieu historiquement déterminé.
C’est une femme qui raconte les événements : amoureuse de Sebastian, Mathilde tente, par les moyens maladroits de l’amour, de percer son énigme. Après avoir fui Sebastian, elle prend le ton du mythe et celui du réalisme.
Elle était vouée, pensait-elle, à l’ordinaire : trop d’échecs l’avaient détournée d’amitiés et d’amours idéales. Elle ne prévoyait ni ses échecs ni ses idéaux. Sebastian est-il condamné à la prostitution ? Sebastian a-t-il choisi d’aimer les hommes exclusivement ?
Mathilde croit, parce qu’elle aime immédiatement Sebastian et parce que leurs gestes d’amour échappent à toute contrainte, que leur plaisir et leur reconnaissance les isolent d’un monde d’ordre, de fatalité et de médiocrité.
Mais Sebastian ne porte pas sur lui-même et sur leur relation le regard affranchi que Mathilde espère. Les maquereaux poursuivent Sebastian qui prétend les rechercher lui-même.
Apparaît Kenneth qui les emporte dans un autre exil. Mathilde n’est pas alors le simple témoin de ce nouvel amour, mais participe au risque de leurs trois vies. Chacune des trois peut faire remonter sa rencontre avec les deux autres au plus loin : car si Sebastian se retourne toujours sur un passé qui exclut et accueille Kenneth, Kenneth lui-même n’appartient pas seulement à ce Londres du XIXe siècle et Mathilde découvrira, dans sa propre histoire, de quoi s’inscrire dans un destin de condamnation et de salut.
Ce livre n’est pas le simple récit de l’amour élu et perdu d’une femme et de deux hommes dans l’Angleterre qui devait produire et détruire Oscar Wilde. Les bouges des docks de la Tamise, les échos des opéras de Covent Garden, les éclats trompeurs des salons aristocratiques, les églises désertes, des baraques foraines et surtout un lit constituent le décor d’une aventure hors du temps et dans le temps.
■ Editions de la Différence, collection Ligne droite, 1993, ISBN : 2729100814