Je suis une lectrice friande de SF même si je n’en lis pas autant que je le souhaiterais. Lorsque « Dimension URSS », anthologie de nouvelles SF russes, est passé entre mes mains c’est avec avidité que je me suis lancée à la découverte des auteurs russes (je n’en ai lu qu’un seul: Asimov). Un univers, loin des conflits interplanétaires ou spatiaux, s’est ouvert au fil des pages, un monde où l’humanisme, la foi en l’Homme ou en la montée bénéfique des progrès scientifiques et technologiques, sont de mise malgré quelques critiques, sous-jacentes et savamment distillées à mots couverts, du système soviétique.
Certains auteurs revisitent le mythe de la femme parfaite, rêvée: la Galatée du futur, sublime androïde à la plastique irréprochable, après avoir comblé l’ego créateur de son Pygmalion, lentement use l’accable de son sourire toujours angélique, de son regard toujours attentif (quand il lui demande d’être avec lui) malgré l’absence de lumière dans ses prunelles, érode sa satisfaction de démiurge l’espace d’une rencontre avec celui qui l’enlèvera. La vacuité de la domination du Maître est à l’aune du monde mécanique qu’il a créé: un désert d’affection au coeur duquel l’oasis du souvenir de la femme aimée sur Terre n’est qu’un amer supplice. J’ai aimé la manière dont la légende grecque a été revisitée à laquelle l’auteur a apporté une dimension plus subtile: la maturité ouvre les yeux à notre Pygmalion et lui fait comprendre que programmer des sentiments humains à un robot, aussi sublime soit-il, ne peut remplacer l’être vivant, unique en son genre doté de ses contradictions, de ses impulsions et de son âme. L’être humain est une page vierge qui sans cesse se noircit, qui parfois s’efface pour mieux s’enrichir, une histoire qui ne ressemble à aucune autre. La poésie du regard désabué du démiurge au sommet de son art, imprègne la nouvelle d’une mélancolie sourde, prémice d’une méditation sur la vacuité des avatars programmables.
Le premier texte, une pièce de théâtre « La Terre, Scènes des temps futurs », m’a immédiatement transportée dans la caverne de Platon: une ville souterraine sombre dans lentement dans la nuit des connaissances perdues dans le labyrinthe d’une technologie inemployée, jusqu’au jour où une lueur appelle à monter vers la lumière naturelle de l’extérieur: doit-on briser les chaînes d’une ignorance confortable pour affronter le danger d’une vérité dérangeante? Cette lumière sonnera-t-elle le glas de l’humanité en voie d’extinction ou lui permettra-t-elle enfin un envol salutaire? Une société qui laisse une place trop importante à la robotisation risque, à long terme, de ne plus avoir prise sur le savoir-faire technique et technologique et d’oublier tout ce qui peut la faire vivre et survivre. La déshumanisation des tâches mécaniques est un leurre dont la société moderne ne semble pas prendre conscience.
Certes, le credo des années Rideau de Fer est là et bien là: l’amitié entre les peuples est un des thèmes récurrents ainsi que la peur d’une escalade des menaces guerrières (une des nouvelles « Vingt millards d’années après la fin du monde » de Pavel Amnouel) annonciatrice de la fin du monde; cependant, la vision à dimension humaine des futurs imaginés, entraîne le lecteur dans un univers presque connu. Les écritures sont efficaces, concises tout en apportant une dimension poétique et romanesques aux récits.
« Dimension URSS » est un voyage prenant dans l’espace fantastique d’une littérature soviétique où la SF était le seul imaginaire autorisé par Staline et ses successeurs…on se demande bien pourquoi d’ailleurs.
Lecture en partenariat avec Livraddict et La Rivière Blanche.
L’avis du cafard cosmique ICI
Une interview de l’auteur de l’anthologie LA