Il faut arrêter de se voiler la face, sinon on nous obligera un jour à la voiler. La Thaïlande se targue d’être à 95 % bouddhiste ! Elle se voile la face elle aussi. Volontairement. Pour se rassurer ? Pour s’en convaincre ?
Bouddhisme en Thaïlande : se voiler la face
Il y a quelques jours, j’écoutais d’une oreille distraite et néanmoins critique un court documentaire sur la Thaïlande (sur TV5 Asie). La « fille » dont on ne voyait pas la face, mais seulement les pieds, commentait (oh ! je n’ai pas dit qu’elle commentait avec ses pieds. Quoique !), elle commentait donc son propre reportage avec une voix agaçante, genre « je vous la fais moderne, tout ça n’est pas sérieux », ce qu’on entend habituellement sur Canal + (finalement c’était plutôt condescendant), si agaçante que j’ai vraiment été tentée de lui « couper le sifflet » « Ouais grand-mère hin, elle fait du kitio la (kwaï thiaw reua) hin, c’est fort hin grand-mère, oh lalala qu’est ce que c’est intéressant la Thaïlande et la nourriture hin hin…et puis y’a du monde hin dans ce pays bouddhiste à 95 % » Là, j’ai appuyé sur le bouton. Y’a des limites, enfin j’ai mes limites.
Moulin à paroles, lieux communs, poncifs éculés (oui, ça va presque toujours ensemble), clichés….
Je ne connais pas les chiffres exacts du bouddhisme en Thaïlande (et ce n’est pas le TAT qui va me les transmettre), mais 95 % c’était sans doute avant la venue de monseigneur Pellegeois, l’abbé de Choisy, Phaulkon, les missionnaires jésuites, les mahométans persans et plus récemment, les évangélistes américains de tous bords (mormons, adventistes, saints des derniers jours etc etc). Ils ont (encore) des sous ces derniers et enseignent gratuitement l’anglais avec leur bible dans les montagnes tout le long de la frontière birmane, de Mae Saï à Hat Yaï où chaque village a son église. Donc minorités en majorité (khon suan noy pen khon suan yaï) chrétiennes.
Ensuite il y a les trois provinces du sud : Yala, Naratiwat, Pattani, on peut ajouter Songkhla aussi… ces provinces qu’on appelle tantôt « deep south » (sud profond… Je ne sais pas pourquoi ça me fait toujours penser à « gorge profonde » dont parlait si bien Muriel Cerf dans « l’Antivoyage »), tantôt « far south ». Sud profond ou sud lointain…. Lointain, pour mieux se rassurer ? Provinces qui sont, elles à 95 % musulmanes.
Contrairement à ce qui se passe en Birmanie, ils ne sont pas victimes des bouddhistes, « but lets’ say, it’s just the contrary ». Plus de 5000 morts depuis 2004 : soldats, profs, moines, étudiants, passants…. Attentats, attaques à main armée, incendies, égorgements, décapitations, bombes….
Dans ce sud lointain – mais aujourd’hui tout est proche – on ne veut plus d’écoles d’état, donc thaïes (nation, roi, bouddhisme = Chat, Sassana, Phra mahakassat) ), mais des écoles coraniques où l’on n’enseignerait que le coran. « Pas de culture thaïe » ils disent, mais la culture Melayu » !
Les thaïs appellent ces gens du sud des « khaek »*. Joli mot qui veut dire « invité » mais dont le sens s’inverse en l’occurrence.
« Nous vivions tous ensemble « avant » (avant 2004) dit Mrs Jiaw (dont je raconterai l’histoire plus tard). « Bouddhistes, musulmans, nous nous soutenions. Maintenant ils – les khaek – nous veulent tous dehors. Bouddhistes et musulmans séparés. Mais on est où à Pattani, Yala, Narathiwat ? En Thaïlande ou en Malaisie » ?
Alors toujours 95 % de bouddhistes en Thaïlande ? Combien de mosquées dans la province de Chiang Mai (plus de 12 je crois) à Paï, en pleine montagne, lieu chéri des touristes backpackers….des femmes thaïes voilées jusqu’aux yeux…
Je ne porte pas de jugement mesdames-messieurs les détracteurs systématiques, je fais un constat. Celui d’aujourd’hui comparé à hier.
Des musulmans sont massacrés par des bouddhistes en Birmanie
Des bouddhistes sont massacré par des musulmans en Thaïlande.
Première fois que je vois ça au Night Bazar de Chiang Mai !
*Hong rap khaek : « salon » en thaï (« pièce, prendre, invités »)
La dernière bouddhiste d’un village devenu musulman
Traduire c’est parfois prendre le risque de trahir, c’est prendre le risque d’interpréter… Je vais donc traduire littéralement (mais pas en entier, l’article est trop long), l’histoire d’une veuve de 81 ans parue il y a quelques jours dans SPECTRUM, le supplément du journal le ‘Bangkok Post »
« Aucune pilule ne pourrait être plus amère à avaler pour la Thaïlande que cette histoire » précise Srisompob Jitprisomsri, observateur à l’occasion des pourparlers de paix dans la « région », c’est-à-dire « le sud profond » ou « le sud lointain »… à quelques heures de voiture de Krabi ou de Phuket.
« Jiaw Pongthawil a vu tous ses voisins quitter le village de « Baan Ga Doh », village situé dans la « red zone » de la province de Narathiwat. Elle est maintenant seule bouddhiste parmi les 1200 musulmans. »
Ça ne devrait, en principe, pas poser de problème (là je reprends la main). Un musulman parmi 100 000 bouddhistes ne poserait sûrement pas de problème en Thaïlande (c’est un peu différent en Birmanie aujourd’hui, mais restons sur la Thaïlande, je ne fais pas un check-list des problèmes religieux en Asie !). Ici chacun est libre de pratiquer sa religion. Hier au Doï Suthep, nous sympathisions mon ami et moi avec un couple de thaïs catholiques de Bangkok. Lui technicien de haut niveau, elle, « khru », prof. Pas si courant, ils cherchaient une église pour aller à la messe le soir….
« Libre » est une obsession ici et libres les thaïs pensent qu’ils le sont, mais dans des limites bien établies qu’ils prennent bien garde de ne pas transgresser. Ce sentiment de liberté est ancré dans leur esprit et leur culture depuis toujours. Il n’y a pas meilleur exemple que celui du roi Naraï autorisant, mieux, offrant des terres pour construire leur église aux premiers missionnaires jésuites débarquant par accident au royaume de Siam alors qu’ils se rendaient en Chine. C’était au 18è siècle.
« J’ai peur, avoue la vieille dame, j’ai beau être protégée par la police, j’ai déjà été attaquée trois fois. La dernière, c’était une grenade lancée dans mon jardin. Mais ici, c’est ma terre. Je n’ai pas d’autre endroit où aller.
5700 morts depuis le début du conflit. Tués directement ou indirectement. Les 400 000 thaïs de la région sont partis au cours de ces 9 dernières années de conflits marquées par des attaques journalières contre les représentants de l’ordre et leurs « prétendus » supporters, y compris de nombreux musulmans.
Toutes les tentatives ont échoué ( Je reprends la main) Ne me prenez pas pour une idiote, cher lecteur, je n’ignore pas l’histoire de la mosquée « Krue Se » par exemple – entre autre – Réactions violentes de Thaksin envers les premiers insurgés qui avaient tué des profs et des moines)
« Rien ne marche donc, ni violence, ni contacts ou pourparlers de paix, signes d’ouverture du gouvernement. Les sentiments de compassion des autorités pour ce peuple sont en train de s’émousser (La reine avait dit un jour : « les musulmans sont aussi mes enfants », pas sûre qu’ils aient eu envie d’entendre ça)
Cette mère de 6 enfants, veuve depuis 2007, vit dans sa maison entourée de sacs de sable et de photos du roi accrochées partout autour d’elle. Les soldats qui la protègent admirent son courage.
Donc dans la violence ambiante – des deux côtés – les relations entre communautés paraissent impossibles et la réconciliation n’est pas pour demain.
Les soldats gardent aussi les temples, cibles des musulmans, et des patrouilles lourdement armées circulent en permanence. Le pluralisme n’est pas complètement mort dans les plus grands centres, mais en dépit de cela, les thaïs-chinois, depuis longtemps implantés dans la région, ont revendu leur business et sont partis eux-aussi.
Quant aux « khru » (maîtres mais plus souvent maîtresses d’école) envoyés là-bas, volontaires avec un port d’arme autorisé, ils risquent leur vie, pour un « sawaïdeekaan » un peu plus élevé que celui distribué aux autres enseignants des autres provinces du royaume.
L’Histoire se raconte aussi avec des petites histoires.
Soeur Anne, ne vois-tu rien venir ? je vois des soldats couverts d’armes, tout prêts à mourir et à tuer etc etc…
- Bangkok, plus qu’une ville, un symbole à préserver - Oct 27, 2021
- Désert berbère au Maroc : un appel irrésistible - Jan 14, 2020
- Etre femme nomade au Maroc berbère : hymne à la liberté, « mes »nomades - Oct 26, 2019