Si on ne lisait pas la presse, on pourrait presque ignorer le conflit qui oppose le gouvernement et les chemises rouges depuis deux semaines, sauf bien sûr si on a eu la malchance de « booker » un hôtel du côté de Ratchadamnoeun, Government house, Democracy Monument… périmètre sinistré sur le plan touristique avec ses 6000 chambres vides. Pour l’ensemble du pays, soixante dix pour cent des touristes « auraient » annulé leur voyage en Thaïlande en raison des problèmes politiques.
Les chemises rouges face au gouvernement ; rumeur ou intox?
25 mars 2010.
Personnellement j’ai ressenti hier, une étrange différence entre les gros titres des journaux et l’atmosphère dans laquelle je me suis baignée pendant plusieurs heures. Il faut quand même souligner que c’était mardi et qu’une partie des rouges étaient rentrés chez eux pour revenir en force, paraît-il, ce prochain week-end. Bref, j’étais donc à Ratchadamnoen…..
Après être passée par la fouille de mon sac (quelques grenades ont éclaté hier), et sous l’œil débonnaire de 4 jeunes policiers, j’entrais dans le périmètre – interdit à la circulation – des chemises rouges. Remonter Ratchadamnoen, c’est comme pénétrer dan une gigantesque foire. Mêmes musiques, mêmes marchands ambulants, mêmes stands de nourriture, mêmes vendeurs.
Les discours des leaders sont ponctués du crépitement de ces gadgets qui font fureur …et beaucoup de bruit : des jeux de mains en plastique qui applaudissent lorsqu’on les secoue. Applaudissements secs, répétitifs, plus efficaces que les applaudissements de mains qui exigent, eux, une plus grande énergie. Après tout il fait très chaud, et les participants sont sans cesse sollicités !
En tant que rare européenne égarée – non par mégarde comme certains touristes attirés par la musique depuis leur guest-house de Khao San Road toute proche – on me regarde avec sympathie. Les sourires éclatent sur les visages. Des visages à la peau foncée des travailleurs de rizières ou de chantiers. Depuis la scène, les orateurs filmés en quasi permanence par une gigantesque louma (grue de prise de vues à laquelle est fixée une caméra), chauffent la foule, réveillent quelques endormis qui se mettent automatiquement à agiter leur « gadget à applaudissements »
« Daeng maï daeng ? » (Rouges ou pas ?), « Sou maï sou ? » (On se bat ou pas ?) Le nom d’Abbhisit revient toutes les 30 secondes jusqu’à cette apothéose verbale que l’un des leaders lance, mais en anglais, tant l’invective en thaï est brutale. « Abbhisit go to hell ! ». Traduit littéralement, c’est « va en enfer », mais qui croit encore à l’enfer en France ? Alors ça veut plutôt dire « Abbhisit va te faire f… » Des paysans rouges autour de moi n’ont pas compris. Je leur traduis : « Paï narok ! » Ouah ! Explosions de joie. Éclats de rire complices.
« Abbhisit vient d’une famille riche ». « Sa famille possède l’un des plus grands hôpitaux privés de Bangkok ». « Il ne fait rien. Rien que des discours ». « Il n’a jamais travaillé ». « Thaksin vient d’une famille pauvre, il a dû travailler pour être riche » Voilà ce que j’entends ça et là.
On m’offre nourriture et boissons glacées. Je me fonds dans la foule qui a mis toute sa ferveur, sa foi, ses rêves en un seul homme. Leur sauveur, leur idole, leur père. Et tant pis si la rumeur – sans doute colportée par les journaux, comment savoir ? – se répand que la grippe H1N1 est en train de faire des ravages parmi les rouges. Tant pis si les journaux disent qu’une pandémie risque d’éclater et qu’il va falloir vacciner toutes les chemises rouges ! S’il n’y a pas assez de vaccin, «Y’a qu’a » demander a Roselyne !…
Partout des écrans géants pour transmettre les discours. Et Thaksin ? C’est pour quand sa vidéo conférence ? Ce soir ! Mais ça fait deux jours qu’il n’a pas parlé à son public chéri. Un mal de gorge a-t-il fait savoir… Ce qui tendrait à confirmer la rumeur (encore une ?) qu’il ne serait pas à Dubaï comme il l’avait annoncé. Mais alors où ?
On me demande parfois : « vos romans sont-ils pure fiction ? Sont-ils inspirés de personnages réels ? » Je répondrai que « l’imagination – donc la fiction – y chevauche la réalité – donc l’Histoire actuelle de la Thaïlande – »
Réalité des faits en toile de fond. Ancrage d’une histoire d’amour improbable enracinée dans un quotidien brutal dont on ne parle quasiment pas – voire jamais – en France. Rigueur absolue des évènements et faits puisés dans la presse, dans mon blog écrit au jour le jour et à la lumière de ma propre expérience de terrain. Témoin d’évènements en mai 2010 à Bangkok par exemple, où je m’étais rendue par trois fois à l’exception de l’assaut final (je ne pouvais changer une fois de plus mon billet d’avion) et c’est probablement une chance, car « armée » de mon appareil photo, je me serais sûrement approchée dangereusement au plus près des évènements qui se sont soldés par un massacre. Plus de 100 manifestants assassinés, sans parler des photographes et journalistes. L’armée récuse toujours la responsabilité de cette tuerie. Possible. L’armée c’est qui ? L’armée exécute. Les gradés aujourd’hui évoquent les « men in black » en fait les « Tahan phran », ces mercenaires dont je parle dans mon roman. Eux aussi ont des chefs invisibles.
Mon compagnon, qui a fait partie de l’armée du roi et a différents postes du pays (Il était Phan Tho, l’équivalent de capitaine), m’expliquait que les « Tahan phran » reçoivent des ordres (exécutions parfois) de personnes dont ils ne savent pas le nom, dont ils ne connaissent pas le visage, reçoivent des enveloppes pour des « opérations spéciales » et ponctuelles, souvent le long des frontières dites sensibles. A votre avis comment expliquer l’exécution de 2000 trafiquants ou présumés tels sous Thaksin ?
Si je me suis inspirée de personnages réels ? Parfois. Somchaï, par exemple, qui traverse ces deux romans, est un peu la sublimation de mon compagnon. A tel point de confusion parfois, que je lui en veux de ne pas être à la hauteur de mon personnage. Dur dur pour lui parfois.
Extrait de LA OUS ‘ARRETENT LES FRONTIERES *: « La beauté ne se raconte pas et Marie aurait été bien en peine de décrire celle de Somchaï : ni virile, ni efféminée, un mélange bien dosé des deux avec juste ce qu’il fallait d’irrégularités propre à la vraie beauté, celle qui dérange et surprend et, donc, celle qu’on garde en mémoire »
* « Theatre d’ombres » – » La ou s’arretent les frontieres » – Les editions de la Fremillerie
**************
La terrible
semaine qui vient de s’écouler à Bangkok va rendre – si le gouvernement n’allie
pas force et vertu – va rendre donc les divisions de la société thaïe encore plus
dures et irréductibles.
Les rouges ont
maintenant leurs martyrs et des centaines d’anecdotes sur la violence de l’armée,
pour alimenter leur ressentiment et leur esprit de vengeance.
Le gouvernement
et ses adeptes, pointeront du doigt les dégâts causés au pays et à son économie,
comme autant de preuves que les “rouges” sont des sauvages et ne méritent pas qu’on
les prenne au sérieux.
Le gouvernement
d’Abbhisit se montrera t-il fort et vertueux ? J’en doute…
Si un tel gouvernement existait de par le monde,
ça se saurait… et on chercherait tous à obtenir un visa pour aller y habiter.
La photo n’est pas de moi,.Elle symbolise un espoir possible……??????????????????
Par qui est dirigé la Thaïlande ?
Par qui est dirigé la Thaïlande ? on peut légitimement se poser la question lorsque le gouvernement, paralysé, indécis, (ou pas suivi), est incapable de régler les problèmes de sécurité dans Bangkok ; lorsque des « rouges » – qui ne le sont plus, du moins en apparence – se conduisent comme des sauvages (épisode de l’hôpital Chulalongkorn) ; et que l’armée, dont le chef suprême semble ne pas vouloir se résoudre à obéir au gouvernement en place, reste spectatrice d’une situation qui pourrit sur place faute de pourparlers, d’accords, de compromis, d’ouvertures.
Dans cet état de paralysie, d’économie touristique en train de plonger dans le rouge, ne reste plus qu’a faire courir les rumeurs les plus folles : celle de la mort de Thaksin par exemple, avec photomontage à l’appui !! L’intéressé lui-même a démenti en parlant à un journaliste du « Nation » : « Non, non, vous ne parlez pas à un fantôme, je suis bien vivant ». Le journaliste dit avoir reconnu la voix de l’ex Premier Ministre. Une autre rumeur circule, la pire de toutes celle-là : l’accusation du crime suprême, celle qui vous envoie en prison pour vingt ans sans que même les ONG n’osent ouvrir la bouche, la simple critique du…. euh…de la famille de Ségolène. Il faut savoir que n’importe qui, ici, sur simple dénonciation, peut vous envoyer en prison, pour des paroles qui nous paraîtraient – à nous, occidentaux, et surtout français à la langue bien aiguisée – lisses, inoffensives. Je me suis risquée un jour à dire : « Lorsque le cousin de Ségolène aura disparu… », j’ai vu les personnes devant moi pâlir, et me répliquer (parce que nous étions amis, mais plus pour longtemps si j’avais persisté dans cette voie) : « On ne peut pas évoquer ça ». Pardon Ségolène !
Lu dans le magazine « Spectrum » (je traduis) : « Depuis plus d’un mois, la Thaïlande est le témoin de violences et de bouleversements, mais surtout, elle voit le retour de cette terrible tactique, toujours utilisée lors des précédents conflits qu’a connu le pays : les accusations d’anti monarchisme proférées contre ceux qui seraient contre le gouvernement en place, sans considérer, ou se souvenir, qu’elles ont conduit au massacre des étudiants de l’Université Thammassat en octobre 1976 ». Un point de l’histoire récente pas très connu des jeunes thaïs qui préfèrent les épopées guerrières glorieuses et romanesques, du genre de celles que l’on voit au cinéma.
Pendant ce temps, les hôpitaux qui se trouvent le long des frontières (Cambodge et surtout Birmanie), crient au secours car leurs services ne peuvent plus faire face aux vagues de migrants illégaux qui viennent se faire soigner en Thaïlande. « Nous essayons de donner les mêmes soins aux thaïs et non thaïs » disent les médecins, « mais nos hôpitaux sont en déficit et des maladies contrôlées jusqu’à présent, sont en train de se répandre à grande vitesse, comme la tuberculose par exemple. Avec des infections aggravées par la résistance aux antibiotiques, en raison du non suivi des traitements. La malaria sévit également tout le long de la frontière birmane, principalement dans la province de Tak et le district de Mae Sot, proche de Myawaddy. Le « Mae Sot général Hospital » doit faire face à un déficit de cinquante millions de bahts ».
Pendant ce temps, plusieurs dizaines de millions viennent d’être alloués à l’armée. Une armée aux ordres de qui ?
Thaksin, dans ses résidences dorées et multi passeports en poche, doit rigoler. Sans doute se voit-il en sauveur d’une situation qu’il a largement contribué à créer et qu’il doit sûrement (je suppose) continuer à entretenir. Grâce à son immense fortune (la sixième d’Asie). Et parfois, je me demande….
Ne reste plus qu’a méditer, guetter, ou comme lui, attendre des jours meilleurs. En Birmanie comme en Thaïlande. Ou rêver tout simplement. Avant-hier, l’homme dans cette position était diffèrent.
Thaïlande : Chapeau Excellence !
Il y a des jours où rage et émotions se disputent la scène. Les événements qui ont réveillé ces sentiments ce matin, ne sont pas du tout contradictoires, mais doivent cependant être manipulés avec précaution, comme de la nitroglycérine. C’est donc la raison qui va l’emporter. Avec beaucoup d’admiration pour un homme qui a osé parler dans ce désert assourdissant de silence.
Il s’appelle Antonio Venus Rodriguez et c’est sa voix que je vais me permettre d’emprunter ici. Il est ambassadeur des Philippines en Thaïlande, en poste depuis presque 7 ans déjà. Il se trouvait aux premières lignes lors des événements qui ont ensanglanté le pays il y a quelques semaines, lorsque le gentil garçon élevé à Oxford a donné l’ordre à l’armée de tirer pour chasser les chemises rouges. Avait-il lui-même reçu un ordre de plus haut ? Tirer…Non pas avec des lances à eau, ce qui pourtant aurait été possible et faisable dans la mesure où l’armée venait juste d’acquérir a grand frais, ce genre de matériel, mais avec de vrais fusils et de vraies balles
Comment appelle t-on un ambassadeur déjà ? Pour une fois, je ne le dirai pas en me moquant, comme il m’est arrivé de le faire quelques décennies plus tôt, lorsque je me trouvais à la table d’un autre ambassadeur, lui aussi venu des Philippines, un peu vieillissant, un peu « bagousé » et diamanté, et… beaucoup dragueur… C’était à Kuala Lumpur, chez mon ami Dato Musa Hitam, alors ministre des « industries primaires » de Malaisie. Une autre époque.
Son excellence Antonio Venus Rodriguez aujourd’hui, a avoué au « Bangkok Post » qu’il s’était trouvé dans une bien meilleure position que celle de beaucoup d’autres diplomates étrangers en poste en Thaïlande, car, disait-il : « Je me suis rendu moi-même plusieurs fois sur les lieux de protestations des « rouges ». Et si vous vous êtes compromis en vous promenant parmi ces « chemises rouges », Excellence, c’était à la demande de votre ministre des affaires étrangères, curieux de connaître l’évolution de la situation au jour le jour, car – je vous cite, excellence – « On ne pouvait faire confiance aux médias locaux, trop partisans d’un côté ou de l’autre ». Votre ministre des affaires étrangères ajoutait lui aussi : « On ne peut obtenir de point de vue objectif sur ce qui est en train de se passer en Thaïlande, ni par la presse ni par la télévision ».
Sur les manifestants, Antonio Venus dit encore : « J’étais intrigué par le mélange que je constatais : vieilles femmes, enfants, gens simples, fermiers…une population politiquement peu active d’habitude. En fait, des gens que vous ne vous attendriez pas à voir dans des endroits comme ceux-là. Beaucoup de gens rejoignent ce genre de manifestations, parce qu’ils sont payés. Aux Philippines aussi, mais en général, ils se montrent, participent chaque jour, encaissent leur argent et s’en vont. Ici, ceux qui assistaient aux démonstrations, écoutaient attentivement et même avec ferveur, tous les discours. Ils claquaient des mains et répondaient avec enthousiasme aux exhortations des leaders. Ce n’était pas ce que j’imaginais. Il était impossible que ces gens ne soient là que pour des raisons financières. Certains venaient de loin, donc on avait dû payer leur transport et leur nourriture. Je ne suis pas sûr qu’ils ne fussent là que pour l’argent. Ils avaient « accepté » l’argent. Ce qui est un peu different ».
Ces commentaires de l’ambassadeur philippin ont suscité la colère des « tee-shirts jaunes », convaincus que ces stupides rouges n’avaient fait ça que pour le fric. « Mais », reprend son excellence, « Nous devons pourtant les respecter pour le sacrifice qu’ils ont fait et – texto – « waving a red flag at a bull » (traduisez-vous-mêmes) » Il a encore ajouté avec – ce que je considère comme une belle audace : « Le gouvernement a mal jugé ces protestataires et a donc réagi de façon inconsidérée ».
Je dois signaler que seul le NPA et le FN en France ont condamné les actes – « inconsidérés », pour reprendre les termes de son excellence – du gouvernement thaïlandais. Étrange. Pourquoi ? Il y aurait du pétrole et du gaz en Thaïlande ?
De la Belgique à la Thaïlande : et la politique demain?
Vers une fin de crise en Thaïlande ?
Si dans un combat ou une guerre, il y a toujours un gagnant, donc un perdant, en Asie, l’essentiel est avant tout de ne pas « perdre la face. » (« Sia nhaa » litt. : face foutue). La confrontation « Gouvernement/Chemises rouges » semble, sinon s’apaiser, du moins en passe de trouver une voie de règlement – provisoire – Vers une solution « win/win », « gagnant/gagnant » ? A mon humble avis, les compromis que les uns et les autres semblent vouloir proposer et accepter, « sauvent la face », donc les apparences. Les violences vont se calmer, peut-être, mais au bout du compte… est-ce que ce n’est pas, finalement, qu’un provisoire « loose/loose », « perdant/perdant » ?
Après le putsch de 2006 fomenté – paraît-il – par… hummm (la famille de Ségolène a des conseillers….), avec le général Sonthi à sa tête et la destitution de Thaksin. – Après la mise en place d’un gouvernement provisoire avec le général Surayud, – Puis après le renversement par les « jaunes », de Samak puis de Somchaï (beau-frère de Thaksin), Abbhisit a donc été élu en 2008,( résultat d’une laborieuse coalition). Vous suivez toujours ? et pourtant je vous ai fait grâce des noms complets des protagonistes…
Donc, Abbhisit, chef du party « Démocrate ». (Un mot qui n’a pas le sens que nous lui donnons, nous….j’allais écrire « européens », mais comment peut-on être européen quand flamands et wallons veulent la division de la Belgique en deux, et même en trois si on compte Bruxelles ? Pardon de toutes ces digressions… ) Abbhisit ne dispose d’aucune vraie majorité.
Face a lui, les Rouges, avec leurs trois leaders principaux que je qualifierais de « modérés », comparés à quelques agitateurs furieux qu’on accuse – à tort ou à raison – de vouloir renverser la monarchie. Eux non plus ne font pas l’unanimité du peuple thaï, ils sont juste plus nombreux. Alors ? Leaderships fragmentés des deux côtés. Ni l’un ni l’autre ne dispose d’une vraie majorité. « Une situation qui risque de produire les pires dégâts collatéraux », pour reprendre les termes d’une journaliste du Bangkok Post, qui trouve bon d’expliquer « dégâts collatéraux » (termes inventés après les interventions malheureuses des guerres « propres » américaines) signifiant ici : « le pire pour nous, citoyens thaïs ordinaires ».
Allez ! Anticipons : Les rouges gagnent aux prochaines élections… On peut difficilement imaginer que ceux qu’on appelle « élite », « ammart », « jaunes », « citadins », « éduqués », acceptent d’être gouvernés par des « buffalos », « khwaais », « phraï », « bouffeurs de somtam »… J’allais aussi écrire « bouffeurs de sauterelles, de criquets et autres délicatesses grillées » que j’efface virtuellement car les gens de la ville en « dégustent » aussi. Et apres ? Tout recommence ?
Les discussions à la maison sonti animées. Le fait de ne pas être entièrement POUR l’un ou l’autre, c’est déjà être CONTRE. Chaudes et pimentées les discussions donc.J’ai appris quelques insultes thaïes que je decline avec mon plus charmant sourire et avec un ton deuxième degré qui ne peut échapper à mon ami. Pas de nom d’oiseau, mais plutôt de cette charmante bête à quatre pates et deux cornes. Heureusement mon ami a de l’humour et tout se termine en chanson (il connaît tout le répertoire du nord et du nord-est)
Je ne connais pas grand-chose à la vraie politique, observatrice tout au plus dela façon de vivre des thaïs depuis une dizaine d’années, j’ai même un modèle ultra traditionnel à la maison. Ici on vit au jour le jour. Culture de l’instant. Très agréable pour les passants. Philosophie de l’immédiateté. Refus de penser à demain.
Me revient en mémoire l’anecdote d’un de ces auteurs (ils pullulent à compte d’auteurs en Thaïlande), racontant ses déboires conjugaux avec sa femme dont il est le senior de quelques décennies… (« Elle me trompe » « Elle a un amant thaï », « Qu’est-ce que je fais, j’ai mis toutes mes économies dans l’achat d’une maison qui est maintenant à son nom ? », « Sa famille me chasse, je ne sais plus où aller »… J’exagère ? C’est que vous n’avez pas – comme moi, au fil de ces 10 dernières années, tout lu, sur la question.Donc l’un de ces brillants auteurs écrivait : « Lorsque je donne 100 bahts à ma femme pour faire le marché, elle dépense tout. Que je lui donne 500 ou 1000 bahts, ce sera pareil tout sera dépensé ».
J’ai, moi aussi, un souvenir personnel. Je filmais alors un documentaire en Isan (« Un jour, trois mois, trois ans »). Je donne un billet de 1000 baths à mon assistant pour qu’il aille m’acheter… des chewing-gums. Il est revenu avec un sourire radieux, une paire de jumelles, mes chewing-gums et quelques satangs qu’il s’est empressé d’empocher (les farangs ne ramassent pas les pièces c’est bien connu).
Difficile de résister à la tentation de l’instant. C’est en cela que les thaïs sont charmants ou insupportables – selon que l’on est marié ou pas, touriste ou résident, amoureux ou jouisseur. Moi je suis amoureuse, pas mariée, et pas plus touriste que vraie résidente… alors ? Eh bien, ca dépend des jours…
Et la politique demain ?
Réalité et fiction… lorsqu’elles rejoignent l’Histoire
On me demande parfois : « vos romans sont-ils pure fiction ? Sont-ils inspirés de personnages réels ? » Je répondrai que « l’imagination – donc la fiction – y chevauche la réalité – donc l’Histoire actuelle de la Thaïlande – »
Réalité des faits en toile de fond. Ancrage d’une histoire d’amour improbable enracinée dans un quotidien brutal dont on ne parle quasiment pas – voire jamais – en France. Rigueur absolue des évènements et faits puisés dans la presse, dans mon blog écrit au jour le jour et à la lumière de ma propre expérience de terrain.
Témoin d’évènements en mai 2010 à Bangkok par exemple, où je m’étais rendue par trois fois à l’exception de l’assaut final (je ne pouvais changer une fois de plus mon billet d’avion) et c’est probablement une chance, car « armée » de mon appareil photo, je me serais sûrement approchée dangereusement au plus près des évènements qui se sont soldés par un massacre.
Plus de 100 manifestants assassinés, sans parler des photographes et journalistes. L’armée récuse toujours la responsabilité de cette tuerie. Possible. L’armée c’est qui ? L’armée exécute. Les gradés aujourd’hui évoquent les « men in black » en fait les « Tahan phran », ces mercenaires dont je parle dans mon roman. Eux aussi ont des chefs invisibles.
Mon compagnon, qui a fait partie de l’armée du roi et a différents postes du pays (Il était Phan Tho, l’équivalent de capitaine), m’expliquait que les « Tahan phran » reçoivent des ordres (exécutions parfois) de personnes dont ils ne savent pas le nom, dont ils ne connaissent pas le visage, reçoivent des enveloppes pour des « opérations spéciales » et ponctuelles, souvent le long des frontières dites sensibles. A votre avis comment expliquer l’exécution de 2000 trafiquants ou présumés tels sous Thaksin ?
Si je me suis inspirée de personnages réels ? Parfois. Somchaï, par exemple, qui traverse ces deux romans, est un peu la sublimation de mon compagnon. A tel point de confusion parfois, que je lui en veux de ne pas être à la hauteur de mon personnage. Dur dur pour lui parfois.
Extrait de LA OUS ‘ARRETENT LES FRONTIERES *: « La beauté ne se raconte pas et Marie aurait été bien en peine de décrire celle de Somchaï : ni virile, ni efféminée, un mélange bien dosé des deux avec juste ce qu’il fallait d’irrégularités propre à la vraie beauté, celle qui dérange et surprend et, donc, celle qu’on garde en mémoire »
* “Theatre d’ombres” -” La ou s’arretent les frontieres” – Les editions de la Fremillerie
Plus royaliste que le roi !
L’expression a été utilisée la première fois par Chateaubriand, dans « De la monarchie selon la Charte » et son usage métaphorique s’est répandu. C’est défendre quelque chose avec plus de zèle que la personne concernée.
Je lis dans le ‘Bangkok Post’, au sujet du crime de Lèse-Majesté que Surachai, en prison depuis neuf mois, face à trois accusations de LM (je n’ai pas dit SM) avoue que, face aux poursuites, le mieux est « d’avouer en espérant une « grâce royale ». Il a déjà bénéficié d’un pardon royal il y a dix ans alors qu’il était considéré comme insurgeant communiste. Surachai dit qu’il est inutile de s’entêter, car alors on risque de passer le restant de ses jours en prison. Surachai aurait offensé la monarchie sur la scène des « Chemises Rouges » (UDD) en décembre 2008
Daranee (célèbre responsable d’un website) est enfermée depuis trois ans déjà et attend toujours un verdict. Elle a nié toutes les accusations portées contre elle. (Du danger d’abriter des propos non contrôlés de blogueurs)
L’anniversaire du roi qui aura 84 ans, c’est dans quelques jours. Le 5 décembre.
Actuellement 101 « Chemises Rouges » sont détenues dont 70 à 80 seront probablement libérées sous caution.
En France, les ultras royalistes apparaissent dans le contexte des idées révolutionnaires de la Révolution Française. On disait alors que le système politique reposait sur la volonté divine. « C’est dieu qui « prépare les races royales » (Joseph de Maistre). Le peuple ne pouvait qu’accepter les lois promulguées par l’élu de Dieu.
Un parallèle avec la France d’avant la révolution et la Thaïlande aujourd’hui ? Je m’en garderai bien, je me contente d’un petit rappel historique.
En Thailande, David Streckfuss, universitaire qui a étudié la loi sur le crime de LM dit qu’il y aurait différentes façons, pour le nouveau gouvernement d’aborder cette question de LM ainsi que celle sur la liberte d’expression. L’article 112 du Code Pénal pourrait être amendé afin de prévenir tout abus. Sans changer les termes de cet article, en y ajoutant simplement des conditions comme celles requérant l’accord du Ministre de la Justice ou celui du « Bureau of Royal Affairs », avant de procéder à des jugements.
Dam = Dam : God Dam !
Dam = Dam : God Dam ! (Traduction : Dam (barrage en anglais) contre « au grand dam de… « au grand regret de… » « God dam » = Bon dieu de bon dieu ! )
Thant Myint U, (petit-fils de U Thant, secrétaire général de l’ONU de 1961 à 1971 où il suscita l’admiration par son intégrité et son talent de négociateur patient et subtil), et auteur de « When China meets India, Burma and the new crossroads of Asia », interviewé dans « The International Herald Tribune » confesse : « Il y a 6 mois, il etait difficile d’être optimiste après les élections birmanes dont on a dit qu’elles furent tout sauf libres et honnêtes. Le vieil autocrate général Than Shwe a démissionné, un gouvernement civil a remplacé la vieille junte militaire mais avec les mêmes généraux. Personne n’attendait de réelles reformes. U Thein Sein, le nouveau président, lui-même ex général, a surpris tout le monde au cours de son discours d’investiture en disant qu’il fallait combattre la pauvreté, éradiquer la corruption et faire cesser les multiples conflits armés et enfin travailler à la réconciliation politique dans le pays » ! Un programme de rêve !
Le 19 juin, Aung San Suu Kyi était invitée a la cérémonie de commémoration des martyrs, en souvenir de l’assassinat de son père, considéré comme l’architecte de l’indépendance birmane. Ce jour-là, 3000 supporters eurent l’autorisation de marcher dans les rues de Rangoon. Et des portraits de la Dame, commencèrent à faire la « une » des journaux, ce qui était impensable une année plus tot.
Depuis aout, des débats se sont tenus au sujet des prisonniers politiques et de leur possible relaxation, sur de nouvelles lois concernant la micro finance dans les zones rurales les plus pauvres et la possibilité de création de syndicats !! Et surtout U Thein a évoqué des « pourparlers de paix » avec les « groupes de rebelles ethniques ». Il a même eu une conversation en tête a tête avec la Lady, a l’issue de laquelle elle aurait confié à Thant Myint ; « Je crois en la sincérité du président et à sa volonté de changement. Nous sommes peut-être à l’aube d’une ère nouvelle en Birmanie ».
L’une des premières mesures serait l’incroyable décision d’arrêter momentanément la construction du barrage (dam) géant sur le fleuve Irrawaddy (voir ma note : « Barrage sur l’Irrawaddy ») « au grand dam » des compagnies chinoises engagées et qui attendent l’électricité pour leur province proche. God Dam ! Une victoire pour les mouvements écologiques Kachin,
« Que le président mette un arrêt à un tel projet engagé avec les chinois, est le signe que quelque chose se passe réellement en Birmanie ». Le peuple est maintenant en attente de la relaxation des prisonniers politiques.
Pourtant, en dépit des promesses de cessez-le-feu, les combats mortels continuent toujours le long des frontières, aussi bien à l’est qu’à l’ouest. Difficile d’imaginer une transaction démocratique tout le temps que continueront ces massacres. Alors, effet d’annonce ou réel tournant ? Thant Myint rêve-t-il lorsqu’il dit « qu’il faut maintenant une rapide intervention du président Obama, le soutien des Etats-Unis avec des conseillers techniques dont le pays manque désespérément et enfin l’arrêt de l’embargo sur le commerce. L’Amérique doit aider le Myanmar à rompre son isolation. Urgemment.
Du sang sur les mains
Je peux virtuellement tremper ma plume dans l’encre ce matin, sans me tâcher les doigts. D’autres pourront toujours se frotter les mains et avec tous les détergents de la terre, le sang qui les tâche ne partira pas de si tôt.
« Mais où est donc Abbhisit, le Premier Ministre jeune premier ? » je demande à mon ami au téléphone à peine sortie du dessous de ma couette. « Jeune premier ? Petit garçon, oui. ! Il dit oui aux ordres de Suthep, son Vice Premier Ministre » ! C’est un thaï qui le dit….
« Le gouvernement thaïlandais aurait banni les reporters des zones de conflit », c’est ce que clame un leader rouge. « Pour leur propre sécurité ». Tu parles ! « La véritable raison : pour cacher la brutalité des actions militaires. Est-ce que les tirs sur les journalistes hier étaient intentionnels ? Je me le demande… » écrit un bloggeur, pour le compte d’un journal américain (Trois blessés hier, dont un journaliste du journal populaire thaï « Matichon », un reporter de télévision 24). « Aujourd’hui, je ne me pose plus la question, cela semble être un fait » continue le bloggeur. « Pour les empêcher de filmer le carnage. Seize morts et cent cinquante sept blessés ce samedi ».
– A 9 h.20 ce matin, le conducteur d’un camion qui transportait du coca a été pris dans un feu croisé de tirs.
– Des « rouges » ont mis le feu à une cabine téléphonique et ce feu s’est propagé à un immeuble commercial voisin
– Silom Road la plus animée des rues de Bangkok est transformée en rue fantôme avec seulement quelques 7/11 encore ouverts.(Les « seven-eleven » sont des petits supermarchés ouverts 24 h sur 24).
– « Seua Daeng », le général rebelle est toujours à l’hôpital, entre la vie et la mort, son cerveau est gravement touché.
– Wallop, un ex sénateur et secrétaire d’une fondation pour enfants, prie instamment les leaders rouges de faire évacuer immédiatement les enfants et les personnes âgées de la zone Rajaprasong. Il a offert de prendre lui-même les enfants à sa charge.
– « En dépit de cette nuit traversée par des tirs et des grenades, nous continuerons de nous battre » a dit Kwanchai, un des leaders rouges.
Les « rouges » ont blessé l’amour propre des autorités en place, en leur tenant tête pendant des semaines. Avaient-ils raison de le faire de cette façon ? Sûrement pas, mais ce n’est pas a moi de répondre et ce n’est pas le problème. Blessure d’amour-propre ne se laverait donc que dans le sang ?
Présidents, Premiers ministres de tous les pays dits démocratiques, élus par le peuple, c’est lui que vous représentez, pas vous-mêmes, ou alors il ne faut pas parler de démocratie. Si vous représentiez vraiment le peuple, votre amour propre ne serait pas si gravement touché. Et pourquoi tant de candidats se battent-ils pour arriver à ces postes, sinon pour le pouvoir. Le pouvoir de dominer et non le pouvoir de défendre.
« En Thaïlande, le mal est si profond qu’il ne se réglera pas de si tôt. En 1976, les affrontements s’étaient terminés par un coup d’état militaire. En 1992, c’est l’intervention royale qui avait mis fin au conflit entre les généraux Suchinda et Chamlong. Aucune chance cette fois-ci pour que l’une ou l’autre de ces interventions ne fonctionne ». (dixit un professeur d’universite, spécialiste des affaires politiques dans le Sud-est Asiatique)*.
*lire mon « Theatre d’Ombres » Editions de la fremillerie
LORSQUE LA RÉACTION PREND LE PAS SUR LA RÉFLEXION….
Lorsque les mots commencent à se charger de poison et que les
haines s’aiguisent ; lorsque ouvrir la bouche devient dangereux ; lorsqu’émettre
une opinion – même modérée – peut faire
mal à l’autre; lorsque les susceptibilités sont à leur paroxysme ; lorsque
plaindre l’un, c’est accuser l’autre ; lorsque les plaies sont si vives qu’un
simple soupçon de remarque attise la
douleur comme un souffle venu de l’enfer ; lorsque le chagrin est trop violent
et qu’il ne reste plus que le désir de prendre les armes pour crier vengeance…enfin,
lorsque la réaction a pris le pas sur la réflexion et que le fond du problème
est tabou….. Alors oui, ça ressemble fort au chaos.
Je voudrais faire taire tout sentiment partisan en moi, est-ce
possible ? Je voudrais ne rien ressentir pour ce pays envers lequel je me
sens en dette puisqu’il m’a donné un enfant…est-ce possible ?…
Alors quelques faits relevés dans des journaux :
Dans le MATICHON (thaï) : Une téléconférence a eu lieu
entre 55 sénateurs (sur les 140 que compte le pays), à l’issue de laquelle il
ressort « qu’il faut arrêter les
violences. Le gouvernement ayant prétexté la présence de terroristes parmi les
protestataires pour tirer à balles réelles, et « tant pis s’ils y a des
morts », est-ce que cela va dans le sens de la loi dans ce
pays ? »
Madame Naruemol, sénatrice de Uttaradit, a appelé au retour aux
négociations, et à propos des groupes de terroristes parmi les protestataires,
elle s’étonne : « S’il y en a
vraiment, pourquoi tous ceux qui ont été tués sont des civils » ?
« BBC world news » montre sur leurs vidéos, des
soldats visant et tirant sur les manifestants en train d’élaborer des
barricades de pneus. « Le
gouvernement est en train de livrer une bataille perdue d’avance pour les média. Alors qu’il a presque terminé les opérations de nettoyage de Rajaprasong,
les rouges ont développé d’autres foyers de résistance, jusqu’en province ».
Voir ce qui se passe en province et a Ubon.
Le THAI RATH (thaï) rapporte qu’à la suite de la réunion aujourd’hui,
de 64 sénateurs, le président du Senat propose :
1- Que
les 2 côtes arrêtent immédiatement toute violence ขอให้ทุกฝ่ายยุติความรุนแรงที่เกิดขึ้นทันที : Khaw hai thouk
faï yout khwaam roun raeng thee keut kheun tham thee.
2- Que les deux côtés négocient afin de trouver
une solution appropriée. Le sénat est prêt à agir en médiateur.
3- De refuser toute
implication d’une organisation internationale dans les négociations dans une
affaire purement interne. La Thaïlande doit pouvoir venir seule à bout de ces problèmes. ประเทศไทยสามารถดำเนินการได้ : prathet thai
samaart damnoenkaan dai.
Espoir ? Ou nouvelle illusion ?
Tournoi de milliardaires
J’ai écrit ce matin que « Poi Sang Long », l’ordination des enfants Shan, c’était pour demain. (En fait la cérémonie a déjà commence dans différents temples de la province de Chiang Mai).
La nuit dernière, mon ami thaï m’a assurée, d’un ton de victoire : « Ça y est ! C’est pour cette nuit » ! « Quoi » ? Lui ai-je demandé, harassée par 10 heures de voiture. « Le gouvernement Abbhisit. Renversé. Par les rouges ! » J’ai bien failli lui répliquer, tant j’étais fatiguée : « Eh bien, super ! Qu’on en finisse » ! Et puis je me suis endormie là-dessus, tandis que jusqu’à très tard dans la nuit, la télévision a continué de débiter ses images et ses commentaires sur l’évolution des événements dans la capitale.
Dans le « Sunday » de ce dimanche, le papier de Voranai Vanijaka a retenu toute mon attention ; je vais le traduire ci-après succinctement. Mais d’abord ces quelques lignes en exergue : « Tout ça n’a rien à voir avec la démocratie. Pas plus qu’avec une lutte des classes. C’est une bataille entre deux riches et puissantes factions. Purement et simplement ». « Ce serait tellement romantique s’il s’agissait d’une classe se levant pour ses droits. Une idée qui se vend bien auprès des media étrangers : le soulèvement du tiers-monde (si, si, on dit encore comme ça ici et non pas « quart monde » ou mieux, pour emprunter le langage bien pensant : « les pays en voie de développement »), donc le soulèvement du tiers-monde contre l’élite. Les petits contre les gros. Les pauvres contre les riches. C’est simplement la vieille élite contre les nouveaux riches. (Si vous me demandez de vous expliquer qui est la vieille élite, je répondrais volontairement de façon légère : les khunying et khunnang).
Les pauvres ? Ce sont juste des pions, et c’est ça la tragédie de toute cette merde. Des pauvres, financés (en fonction de leur grade), par un milliardaire et ses sbires pour le retour de celui-ci et son « corporate facism ». Une lutte des classes est vraiment nécessaire en Thaïlande, mais ce n’est pas là d’arriver tout le temps que les élites (anciennes ou nouvelles) se serviront de nous comme de pantins. Sur ! Thaksin joue le maître de marionnettes avec les pauvres, mais l’ordre ancien lui, utilise la classe moyenne de la même façon. Une classe moyenne qui devrait travailler avec les pauvres, car il n’y a pas si longtemps, elle était encore dans les paddies, ou alors fraîchement débarquée des bateaux en provenance de Chine. On ne devrait jamais oublier d’où l’on vient. Au lieu de cela la classe moyenne se pince le nez devant les rouges, alors que les « chemises roses », composées d’intellectuels et de businessmen essaient de contrecarrer la marée rouge près de Lumpini Park à Bangkok.
Aujourd’hui les « rouges » ont envahi le quartier chic de Central World, le shopping district chic de la capitale… C’est comme une revanche – Imaginez un week-end sans shopping pour les « shopping-addict » ! L’horreur ! Le seul moyen de guérir nos plaies et d’avancer ensemble vers une vraie démocratie, une responsabilité qui incombe à la classe moyenne qui devrait tendre la main aux pauvre, les aider à améliorer leur vie* et la prochaine fois qu’un « rose » croisera un « rouge », qu’il ne voit pas un ennemi en lui , mais le considère plutôt comme un voisin ». *tout plutôt que le travail dans la rizière, même la prostitution !
Si les riches ont mérité d’être riches, les pauvres ne méritent-ils pas, eux-aussi d’être pauvres ?
La violence de ces derniers jours risque de durcir durablement les divisions entre favorisés ( « Hi So » et « middle class ») et « rouges » dont la majorité sont des pauvres – « These people » comme les appellent avec un certain mépris les mécontents de Bangkok qui se sentent menacés et en situation inconfortable en raison de l’occupation du centre de la capitale depuis des semaines, un centre en train de se transformer en vrai champ de bataille. Quand on donne l’ordre de tirer à l’armée, elle tire, et sans état d’âme.
Les photos et vidéos qui circulent par centaines sur le net montrent assez bien dans quel état se trouve Bangkok aujourd’hui. Images violentes ou poignantes qui circulent, non seulement dans le monde entier, mais aussi dans les villages les plus reculés des provinces désavantagées. Alors oui, la violence pourrait se répandre et se déchaîner dans tout le nord et le nord-est. Je parle au conditionnel mais je sais déjà que ce n’est plus seulement qu’une probabilité.
Ce que demandaient les « pauvres », qui pour la plupart ne savent pas lire, ce n’était pas un « programme » politique ou social, ils ne savent pas ce que cela veut dire – Et puis est-ce qu’on n’a pas toujours pensé pour eux ? – Ils voulaient plus de justice et un peu de partage de cette richesse dont le pays pouvait jusqu’ici se vanter de posséder. Jusqu’à l’arrivée de Thaksin, les Isans pensaient que c’était leur lot d’être pauvres. Leur karma. Ils se taisaient et courbaient le dos en travaillant comme des buffles (« khwaai », surnom insultant dont on les affublait souvent). Le système culturel qui tient depuis des décennies en Thaïlande, grâce en partie au bouddhisme, assignait à chacun un statut hiérarchique précis dont on ne pouvait espérer sortir qu’en faisant le bien (tham boon). Mérites récompensés par une vie future meilleure. « Il faut respecter les riches, ils le méritent ». Combien de fois en dix ans, ai-je entendu cette réflexion ! Encore naïve, je demandais : « Pourquoi choisissez-vous des hommes politiques véreux (Jao Phaw) qui ne connaissent rien à vos problèmes » ? « Tu crois qu’un pauvre pourrait faire quelque chose pour nous »? était la réponse systématique. C’est pour cela qu’ils ont cru en Thaksin Shinawattra (Si celui-ci croit en la loi du karma, je le plains dans sa prochaine réincarnation).
Il faut être pauvre pour donner son enfant à des étrangers
Il faut être pauvre pour envoyer sa fille se prostituer à Pattaya, Patpong ou Patong.
Il faut être pauvre pour abandonner des enfants en très bas age à une grand-mère trop vieille. Certains villages Isan ne sont peuplés que de la génération des grands parents et de celle des petits enfants, la génération intermédiaire étant à Bangkok pour gagner des salaires souvent minables.
Il faut être pauvre pour s’exiler au Japon, en Arabie Saoudite, en Israël.
Il faut être pauvre pour partir le matin, armé de bâtons, pour une chasse improbable au rat, une viande protéinée comme une autre pour les Isans.
Nommez-moi un seul village où je ne serais pas allée en Isan. J’ai tout filmé, des heures et des kilomètres de ces vies misérables et pourtant jamais tout à fait tristes, car j’y ai appris le partage. (Baeng pan). J’ai filmé la chasse aux rats, la mère qui pleure en mettant sa fille dans le bus pour Pattaya, la grand-mère qui envoie son petit-fils se faire moine, sinon pas d’éducation possible, les démunis absolus qui « donnent » leurs enfants à des étrangers avec ces pathétiques : « avec eux, ils auront tout, avec nous, ils n’auront rien ».
Je ne suis pas pro rouge. Je ne sais pas de quel droit, (pourtant je le prends), je peux dire que je n’aime pas Thaksin qui, je l’espère, ne se réjouit pas du chaos dans lequel il a mis son pays, mais cela serait probablement arrivé tôt ou tard avec l’ouverture sur le monde, grâce à internet, facebook et twitter, jusque dans les villages les plus isolés. Je ne suis pas jaune. Je ne me revendique d’aucune couleur. Je ne suis ni pro-gouvernement, ni anti-gouvernement. De quel droit ? Je vis depuis dix ans en Thaïlande où j’ai souvent été « volontaire » pour enseigner l’anglais et le français dans de nombreux villages du nord, du nord-est et le long de la frontière birmane et dans des conditions parfois « limites ».
Mon hôtesse Karen
Aujourd’hui, je ne réagis pas en spécialiste, mais en témoin de longue date d’un pays que j’aime et que j’ai choisi, avec une sensibilité lucide et pas « gnagna ». Mon ami thaï pense même souvent que je suis anti-rouge, c’est dire nos discussions ! Alors je ne recevrais jamais de leçons de personne. En revanche, je resterai curieuse et respectueuse de points de vue différents. Eh ! C’est ça aussi, l’idée de la démocratie, non ?
*Lire les livres de Pira Sudham – un Isan qui s’en est sorti, et qui a su exprimer la vie des pauvres de cette province.
** Écouter les paroles des chansons de Phongsit Khampi (chanteur phleeng pheua chiwitt originaire de Nong Khai
La « cabane au fond du jardin » ! « Hong nam » comme disent les Thaïs.
THAILANDE : A QUOI RÊVENT LES PREMIERS MINISTRES ? A QUOI RÊVAIT LA PETITE AMOU?
Les seuls vrais rêves, ceux qui vous projettent vers la réalisation de quelque chose d’agréable ou de merveilleux, sont les rêves éveillés. Les rêves inconscients relèvent davantage de la psychiatrie ou des chamans (avec une nette préférence pour ces derniers en ce qui me concerne !).
J’ai donc attrapé au vol, le mot qui allait faire démarrer la chronique de ce matin, mot cueilli dans le journal thaïlandais de langue anglaise, le « Bangkok Post » où Songkran Grachangnetara (diplômé de la London School of Economics & Columbia University) était, hier, « chroniqueur invité ». C’était à propos de la « feuille de route de réconciliation » lancée il y a quelques jours par Abbhisit, le premier ministre thaïlandais.
(TRADUCTION) : « Abbhisit doit encore expliquer au public le rôle que l’armée a joué dans le complot qui l’a mené au poste de premier ministre. A ce jour, le gouvernement a ordonné et organisé des comités pour enquêter à peu près sur tout, mais pas un seul comité sur la vérité concernant le coup d’état de 2006. Dans ces conditions, comment un premier ministre, assombri par des questions d’illégitimité, et considéré par la plupart des manifestants, comme l’incarnation même de la classe des privilégiés, peut-il revendiquer le rôle « d’Artisan de la paix » ? Monsieur Abbhisit doit cesser de rêver éveillé ».
Comme je n’ai pas l’esprit d’escalier, un mot chez moi, amenant tout de suite une idée, un concept, un souvenir, et plus souvent une émotion … je vous livre celle de ce mercredi :
C’était dans un village Akkha près de Chiang Rai. Une jeune adolescente. 14-15 ans pas plus. Elle était venue me chercher par la main pour me présenter à sa famille. Parents et grands-parents vivaient sous le même toit de feuilles séchées. Ils étaient tous journaliers sur des exploitations appartenant à des thaïlandais et partaient très loin chaque matin (on venait les ramasser en pick-up), travailler la terre pour une pitance ridicule. Pour mon plus grand plaisir, Amou avait revêtu la tenue traditionnelle de mariage Akkha, afin que je puisse la photographier. Elle était enfantine et espiègle, visage rond, yeux pétillants, fraîche et débordante de vie et d’envies encore inexprimés et sûrement la tête encore pleine de rêves d’enfant…..L’année suivante, je visitais à nouveau le village, comme je l’avais promis aux parents de Amou. Ma petite écolière espiègle s’était envolée.
« Elle est a Bangkok, placée dans une famille » m’explique la mère en me montrant des photos récentes de sa fille.
J’ai un choc. En l’espace de quelques semaines, la petite ressemble à toutes les filles des grandes villes : maquillage, tee-shirt moulants, chaussures à plate-forme. Mon cœur se serre, on me rassure : « Elle est servante dans une famille très riche »
Quelques mois plus tard, je décide de passer une soirée en compagnie des parents de Amou et l’on partage la nourriture que j’ai achetée à Chiang Rai. Je m’inquiète à nouveau pour la « petite ». Cette fois la réponse est plus évasive : « Elle est revenue à Chiang Rai »… Je me réjouis. Trop vite.
«La voir ? Euh…. Elle travaille maintenant dans un….euh, restaurant ».
Je sors déjà mon petit carnet d’adresses car j’ai bien l’intention d’aller la voir, mais devant moi, les visages se ferment. « Non, non, on ne connait pas l’adresse de son travail ».
Restaurant, travail… termes flous pour « bars », « salons de massage ». J’ai peur de comprendre. La petite écolière est sûrement dans une « maison de thé » et toute insistance auprès de ses parents serait inutile, pire, déplacée et blessante. Je les aime bien alors je me tais et change très vite de conversation pour ne pas leur faire « perdre la face ».
Un frisson de tristesse me parcourt aujourd’hui. Que sont devenus les yeux espiègles et les joues rondes de Amou ? Avait-elle des rêves la jeune adolescente joyeuse qui me prenait par la main en riant pour me mener à sa famille ? Et quels « agents » recruteurs sont venus auprès de ses parents pour leur proposer un poste de télévision ou une somme d’argent en échange de leur innocente gamine ? Le terme « tok kiauw » (récolte verte) désigne ce système de recrutement. De l’argent frais – vert – contre une fille innocente. « Le prix de la virginité ».
Aimer ce pays n’est pas simple et fait parfois mal. Adieu petite Amou qui a peine adolescente, a déjà dû renoncer à ses rêves d’enfant…
Et vous Abbhisit, réveillez vous ! C’est aussi cela votre pays !!!! Un pays où beaucoup de petites Amou n’auront jamais la chance de réaliser leurs rêves !
Amou et sa grand-mère, terrorisée par mon appareil photo
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