“Just three more days till Christmas and there’s Just one thing on my wish list I don’t care If the snow doesn’t fall or if there’s no holly To deck the halls but if you were wrapped in Ribbons of red and if you forgot what I had said And if you were wearing Santa’s hat and grabbed My hand and took me back well the snow would fall And we’d deck the halls and the candy canes they Would fall like rain and you’d dance under the tree With me just two more days til Christmas and I still Haven’t seen a package on that stands about five foot Tall with little airholes in the sides I would throw The wrapping to the sides and you’d be standing there All smiles just one more day til Christmas and I still Feel so powerless, downtown you can hear the bells And if I had reindeer and I had elves I would fly To your rooftop and bring you presents and we’d Make up and then you would see my Christmas dreams All come true in front of me.”
Le marché de Noël de Strasbourg venait d’ouvrir. Il faisait froid et le cinéma, ce soir-là, était plein. J’ai été très étonné des réactions du public de la salle de l’Odyssée le mercredi 28 novembre dernier à l’issue de la projection du dernier film de Radu Gabrea. Il n’y a pas eu vraiment une minute de silence, comme lorsqu’on est saisi d’effroi, de joie ou de douleur intenses. Plutôt de l’admiration assez générale pour un film « utile » – je n’ai pas dit un grand film – et un profond respect pour la qualité du jeu des acteurs : Constantin Cojocaru et Victoria Cocias, tous deux familiers de la scène théâtrale. Cette dernière était présente et s’est exprimée à plusieurs reprises, y compris sur la période qui, en Roumanie précède les épisodes du film et accompagne les trois jours dont il est question. Elle a regardé durant des heures les archives télévisées à sa disposition avant de jouer le rôle d’Elena Ceauşescu au théâtre, puis dans ce film. Son jeu est en effet fascinant, proche des attitudes de la « savante ignorante » et empreint d’humanité personnelle envers un monstre qui remonte sans cesse son foulard sur sa tête.
Le metteur en scène lui-même était éloigné de la Roumanie depuis le milieu des années soixante-dix et n’y est retourné qu’après les « évènements ». Il n’est pas entré dans les détails de sa vie, ni même au fond sur ses sentiments durant les trois jours et les trois nuits de décembre, loin de son pays, n’exprimant qu’un pessimisme général sur la qualité de la démocratie en Roumanie, non seulement hier, mais aujourd’hui. Et en soulignant à plusieurs reprises une certaine médiocrité des personnels politiques.
Tous deux ont cependant beaucoup insisté sur les provocations qui ont laissé de nombreux morts dans les rues de Bucarest, durant ces trois jours-là où nous étions nombreux, au loin de la capitale roumaine, à essayer de comprendre de quel étrange pays il s’agissait et à quelle pièce de théâtre nous assistions en direct, même si nous regardions le plus souvent un différé truqué. Le Roi se meurt devant nous ? Aucun provocateur n’a jamais été retrouvé. Mais un chef d’état tout neuf, issu d’un moule qui n’est toujours pas cassé, oui et il est resté là longtemps !
Le public, donc. De nombreux citoyens roumains travaillant à Strasbourg, dont plusieurs appartenaient bien entendu aux cercles qui entourent la représentation permanente auprès du Conseil de l’Europe et le consulat roumain, ainsi que quelques « émigrés » installés en Alsace pour y travailler et des étudiants. Un public plus général entourait ce noyau central, dont certains demandèrent à ce que ce film soit projeté aux jeunes Roumains et aux jeunes Européens, en général.
Pour eux, même si le film est, comme l’on dit, un docu-fiction, j’ai eu l’impression qu’ils avaient le sentiment d’avoir assisté à une série d’actes théâtraux et en tiraient les mêmes leçons que devant Britannicus ou Jules César. Une leçon de citoyenneté ? Le Président de l’Odyssée, c’était son rôle et sa conviction en tant qu’ancien juge français de la Cour Européenne des droits de l’homme, a longuement insisté sur l’importance de respecter le droit et sur l’importance d’un jugement équitable quels que soient les personnes à juger. Certes, c’est toujours le moment de le rappeler, mais est-ce bien le propos ?
Bien que je me sois agité sur mon fauteuil en mordant ma langue, il me paraissait déplacé de prendre la parole, même s’il m’est arrivé de côtoyer certaines des personnalités que l’on aperçoit dans la partie documentaire et de discuter de ces épisodes-là avec des amis en Roumanie, ou même d’avoir regardé comment la télévision roumaine « fêtait » fin 2009 avec gêne les vingt années du jugement. Je n’ai pas voulu choquer le représentant permanent de la Roumanie assis un rang devant moi. Je me suis tout autant abstenu de déclarer que si le cinéma Odyssée participe d’un effort considérable pour faire connaître les cinémas du monde entier, dont le cinéma roumain, en présence et avec la bénédiction des autorités diplomatiques, il n’en est pas partout de même. J’aurais voulu préciser que ce soir-là à New York se déroulait parallèlement un évènement important. Un festival du cinéma roumain organisé par l’ancienne directrice de l’Institut Culturel Roumain, avec ses propres forces, suite à l’annulation des crédits qui auraient dû être affectés à l’évènement et surtout en raison de la « reprise en mains » de l’Institut à Bucarest et de ses représentations dans un certain nombre de pays du monde. L’évènement intitulé « Making waves » aurait pu aussi s’intituler « Cold waves » du nom d’un autre film documentaire sur l’histoire de la radio libre roumaine.
Ce film n’était donc pas pour moi seulement un film d’histoire, d’une histoire qui fait déjà partie d’un passé révolu, mais un film radicalement contemporain. Il parle d’aujourd’hui et même de ce matin, ou encore de ces trois jours avant Noël qui viennent en Roumanie et en France à la fin de 2012. Il n’évoque donc pas seulement, avec grandes précisions, les journées qui sont advenues il y a vingt-trois ans dans la capitale et dans la campagne roumaine, tout comme dans ma banlieue parisienne où je regardai fasciné et sans rien comprendre les images de charniers mis en scène et d’un procès de théâtre.
Mais il s’agit d’un film qu’il faut bien entendu considérer d’un point de vue esthétique. « Il y a deux ans, The Autobiography of Nicolae Ceauşescu de Andrei Ujică marquait les esprits. Ce documentaire est monté à partir d’images d’archives utilisées par le dictateur roumain pour sa propagande. Jacques Mandelbaum qualifiait le film de « précieux viatique pour qui voudrait comprendre de quel roman des origines part l’extraordinaire nouvelle génération du cinéma roumain » (Le Monde). L’ère Ceauşescu s’illustre en effet par une imagerie traumatique que le cinéaste Radu Gabrea est cependant allé puiser plus loin encore » a écrit Guilhem Caillard dans un blog rédigé pendant le dernier festival de Cannes lors de la première représentation du film.
Je suis bien d’accord avec lui. Les cinéastes roumains – jeunes ou âgés – que nous avons appris à découvrir depuis dix ans ne constituent pas une école mais une véritable famille qui raconte, chacun à sa manière, une même histoire des origines, comme peut l’être celle des ancêtres communs et de leur souffrance, dont on s’estime les héritiers.
Après un film d’archives qui imagine la parole d’un mort que l’on vient d’exécuter, commentant des images filmées qui le montrent de manière permanente en représentation pour son peuple et pour le monde entier, comme les rois dont les repas étaient ouverts à la vision admirative des courtisans. Après le court métrage montrant le petit conducator que des journalistes trop zélés coiffent d’une chapka qui le grandit à hauteur de son collègue venu de l’Ouest, le Président français, en oubliant qu’il tient déjà sa chapka dans sa main. Après le récit délirant du « coup d’état » dans le roman de Mircea Cărtărescu où les héritiers du chaos font l’amour à la baudruche qu’est devenue la république roumaine. Après la dénonciation de l’absurde dans cette petite ville à l’Est de Bucarest où on se demande toujours vingt ans après si la population a ou non participé à la « Révolution ». Après d’autres films encore qui montrent la misère, le sordide, la spéculation, la débrouille d’un pays qui, comme le disent si bien les diplomates « cherche la voie démocratique dans une période de transition » à quoi peut donc bien servir en effet de documenter et d’imaginer, en remplissant les vides dus aux absences de témoignages, le sort misérables de deux minables mal dégrossis que le Mal absolu a porté au pouvoir, comme avant eux Hitler, ou après eux Sadam Hussein, Kadhafi ou Bachar el-Assad ?
Nous ne savons que trop que les uns se sont suicidés ou que les autres ont été supprimés avant de pouvoir dire leur version de la vérité, comme Kadhafi abattu en sortant d’un tuyau d’évacuation d’eau et comme El Assad le sera sûrement sous un tas de gravats ou sur la route de l’exil. Sans procès, ou avec un procès qui ne cherchera pas à faire la part du rôle de tous ceux qui ont construit le Mal avec eux et en gardent encore le secret, en attendant de trouver la prochaine incarnation parfaite, s’il en survient une, pour lui en transmettre les recettes !
Mais Nicolae et Elena Ceauşescu incarnaient-ils finalement le Mal majuscule ? Ou bien n’étaient-ils que les acteurs comiques temporaires d’une géopolitique devenue complètement folle ? Comment puis-je répondre à la place de ceux qui en ont subi l’opacité maléfique jour après jour ? Comme beaucoup, j’écoute et tente de comprendre et si possible de partager. Comme beaucoup j’attends que la réalité et l’imaginaire se croisent pour m’aider à comprendre l’incompréhensible.
Radu Gabrea et Victoria Cocias ont semblé surpris lorsque plusieurs personnes dans le public leur ont demandé pourquoi ils avaient choisi de rendre les deux monstres sympathiques ou à tout le moins humains. Comme s’ils n’étaient pas les incarnations d’un mystère éternel qui les dépassent, comme il a dépassé Créon, mais un couple que la peur de mourir, le besoin de médicaments, la nécessité d’uriner et l’incroyable dérision d’une situation qui, de leur point de vue, devient incompréhensible, finit par réunir dans les bras l’un de l’autre. Qui a pu les trahir ? Et pourquoi justement ce petit Iliescu qu’Elena a nourri dans son sein ? Et quand donc les vraies forces populaires et ouvrières viendront-elles enfin les sauver, les défendre et les remettre en place ? Absurde, jusqu’à la fin !
L’incompréhension qu’ils manifestent devant ceux qui osent dire timidement aux deux êtres déchus dont ils ont la garde qu’ils ont souffert à cause d’eux et que les slogans qu’ils continuent de mâchonner n’ont jamais eu aucune réalité. Trouver du lait, du pain, de la viande, ou tout simplement un emploi décent sans être obligés de baisser la tête…Au fond, ce sont ces soldats-là – je parle des simples militaires de garde – dont je découvre l’existence et les témoignages grâce aux interviews, pris entre le devoir de protéger deux témoins importants et le poids de la hiérarchie qui veut s’emparer d’eux pour les faire taire, auxquels le film rend d’abord hommage.
De vrais héros d’une révolution des consciences, bien plus forte que celle à laquelle croient participer des intellectuels de grands talents qui se laissent berner en ouvrant les portes d’institutions dont les bureaux convoités avaient été rendues inaccessibles et où ils deviendront à leur tour des fonctionnaires zélés.
Alors oui, en ce sens il s’agit bien d’une leçon de citoyenneté !