Proust est un monument de la littérature française et en lisant ce roman « Un amour de Swan », deuxième épisode de la saga« Du côté de chez Swann », on comprend pourquoi la lecture de Proust est un moment unique et exceptionnel… Une histoire d’amour dont on ne sort pas indemne
«Comme je le dis toujours, il ne faut jamais discuter sur les romans ou sur les pièces de théâtre. Chacun a sa manière de voir et vous pouvez trouver détestable ce que j’aime le mieux. » Muni de ces recommandations de Proust lui –même, je voudrais malgré tout parler de ma dernière lecture, car, c’est bien de ma lecture que je veux parler et non de l’œuvre, on a déjà tellement écrit sur cette œuvre dont je n’ai lu en fait qu’un petit morceau. Et que dire, même d’une partie de l’œuvre, si on n’en connait pas le tout. Dans ce deuxième épisode de « Du côté de chez Swann » qui en compte trois, et que certains jugent comme un élément un peu à part, introduit dans l’ensemble a posteriori, écrit à la troisième personne contrairement à la quasi-totalité de « A la recherche du temps perdu » qui est écrite à la première, Proust raconte l’histoire de l’amour d’un riche dandy pour une cocotte qui a peut-être été, auparavant, une femme entretenue. Swann, ce dandy un peu anachronique, cherche à se faire introduire dans un salon pour courtiser une demi-mondaine qu’il a repérée dans un théâtre. Il aime les femmes mais ils les préfèrent un peu plus vulgaires et sensuelles que les aristocrates qui le courtisent. « La profondeur, la mélancolie et l’expression, glaçaient ses sens que suffisait au contraire à éveiller une chair saine, plantureuse et rose. » Son assiduité est rapidement récompensée et la belle succombe bien facilement aux charmes de ce riche séducteur qui prend goût à ceux de cette Vénus qui pourrait être sortie tout droit d’un tableau de Botticelli. Et quand l’amour de la belle s’évente quelque peu, que son assiduité perd de son intensité et que le doute s’installe, le coureur de jupons souffre et se sent pris au piège de l’amour qu’il n’avait pas envisagé. Et le lecteur pourra découvrir la suite de cette banale histoire d’amour qui n’a pas dû apporter grand-chose à la légende de son auteur. « A la fois chronique mondaine d’un siècle finissant, vaste et cruelle analyse psychologique, et formidable exercice de style », selon le préfacier, cette bluette mondaine évoque bien la fin d’une société, son déclin et sa décadence, comme certaines œuvres de Schnitzler et Musil annoncent la fin de l’empire des Habsbourg à Vienne. Dans ce texte, Proust nous raconte l’histoire de ces gens riches qui n’ont pour seul soucis que de gaspiller leur argent pour faire croire qu’ils sont encore plus riches qu’ils ne le paraissent au risque de consommer leur avenir au présent. Si la satire sociale ne manque pas d’intérêt, on a même parfois l’impression qu’une goutte de vitriole a coulé dans l’encrier, par contre l’analyse psychologique m’a semblé bien peu convaincante et bien banale mais il est difficile d’en dire plus sans risquer de dévoiler l’issue de cette grande aventure amoureuse qui n’a pas pour ambition de bouleverser les lecteurs mais seulement de fournir un cadre, un support matériel, à l’auteur pour y exercer son talent d’écrivain car c’est bien dans l’expression de ce talent que réside tout l’intérêt du livre. Même, si parfois on peut avoir l’impression que Proust introduit des digressions ou des commentaires pour pouvoir étaler son immense vocabulaire et, surtout, utiliser l’intégralité des signes que possède la langue française, il faut considérer que son art est au sommet de l’écriture, la phrase, même longue, est toujours rythmée, les mots sont justes, les expressions font mouches et jamais la longueur des phrases n’a été un obstacle à ma lecture. Donc, pour reprendre la phrase du préfacier, c’est bien d’un exercice de style dont il s’agit et de quel style ! Mais derrière cet exercice, derrière cette bluette, derrière cette satire sociale, il y a aussi un peu de l’auteur que je ne connais pas suffisamment pour le débusquer dans l’ordonnancement architectural de son texte. J’ai tout de même senti, entre les lignes, un être d’une grande sensibilité artistique qui écrit des pages merveilleuses sur la musique et la peinture notamment, un homme d’une époque déjà dépassée qui aurait la nostalgie de ce romantisme qui a donné tant de belles pages à notre littérature. J’ai eu aussi un peu l’impression que Proust a comme une pointe de nostalgie pour ces temps où les dandys couraient les salons pour courtiser duchesses, comtesses, marquises et autres belles aristocrates, comme une pointe de nostalgie pour l’époque où il suffisait d’avoir du talent pour briller dans ces salons et séduire ces belles aristocrates. Et, Proust ne serait-il pas un peu ce Swann brillant mais un peu faible, coureur de jupons, un peu pleurnichard, adulé des femmes, vivant au gré des humeurs et rumeurs courant les salons à la mode, écrivant la chronique des médisances et autres petites « vacheries » de ces chères amies qui passent leur temps à s’inviter pour mieux se détester.