A découvrir et à dévorer cette passionnante histoire birmane… L’histoire de Michele Jullian qui partage ses impressions sur la Birmanie au fil de ses voyages et rencontres…
Une histoire birmane ordinaire
Il y a quelques années, je décidais de partir en Birmanie, voyage que j’attendais depuis très longtemps avec impatience. Le pays s’ouvrait et offrait un peu plus que cette unique semaine de séjour qu’il avait longtemps autorisée aux visiteurs.
Quatre semaines, c’est beaucoup et pas assez, mais c’était suffisant pour me faire une idée de ce pays dont certains disaient qu’il ne fallait pas y aller, car c’était enrichir la junte, tandis que d’autres, au contraire, encourageaient les visiteurs à se rendre compte par eux-mêmes. Personne n’était d’accord, tout comme pour la visite des villages-camps de Padaungs en Thaïlande, considérés comme des zoos par beaucoup, pourtant l’argent « taxé » aux touristes étrangers par les « rangers », est en partie redistribué aux familles du camp dont les femmes portent les anneaux. Et sans visiteurs, pas d’argent…
Je me rendais donc à Rangoon avec mon fils, depuis la Thaïlande, avec l’intention de louer une voiture avec chauffeur (pas d’autorisation de conduire soi-même), afin de circuler le plus facilement possible dans les zones autorisées par la junte. La voiture s’est vite révélée dater de l’époque coloniale, tandis que le chauffeur – Maw-Maw – jeune birman s’est révélé, lui, aussi discret que souriant et efficace étant donné les circonstances. Apres cinquante kilomètres sur la route de Pagan, on a commencé à crever, et le nombre de fois où l’on s’est fait remorquer, en charrette à cheval ou par d’autres moyens tout aussi folklo jusqu’aux villages les plus proches pour réparer… mes doigts de la main ne suffiraient pas à les comptabiliser. Voyage épique, plein d’imprévus et de rencontres fortuites.
Après trois semaines de pérégrinations, alors que nous nous apprêtions à rejoindre la capitale depuis le lac Inle, des soldats armés nous arrêtaient à quelques centaines de mètres de notre hôtel. Sûrement pas par hasard. J’avais commis l’imprudence de noter « photographe » sur la demande de visa, à la case « Occupation », et je trimbalais un matériel photographique impressionnant qui avait dû attirer l’attention. L’interrogatoire, dont le ton semblait très désagréable, s’engage entre les 4 ou 5 policiers armés et un Maw-Maw pétrifié. Dans mon sac, des dizaines de bobines de films dont certaines photos prises quelques heures plus tôt sur une route de traverse sur laquelle j’avais demandé à Maw-Maw de nous engager.
Ce gentil garçon – s’il comprenait l’essentiel de ce que nous lui demandions – avait pris le parti ne pas parler l’anglais. Ainsi la conversation n’avait pu, à aucun moment, glisser vers la politique, la critique de l’armée, la répression ou la misère. Nos échanges n’avaient été que pratiques, ce qui, en principe, aurait dû lui assurer une relative sécurité. Au cours de ce dernier arrêt avant de rejoindre Rangoon, j’avais repéré un groupe d’ouvriers (femmes et enfants en bas âge), travaillant sur la route à répandre, quasiment à mains nues, et sans autre protection qu’un foulard devant la bouche, du goudron aux fumées toxiques sur la chaussée. A ma demande, Maw-Maw s’est arrêté. Sans rechigner. A contre cœur ? Je ne le crois pas. J’ai eu, au contraire, l’impression qu’il avait accepté que nous soyons témoins d’autres choses que ces sublimes images d’Epinal que constituaient les temples de Pagan, les Bouddhas de Mandalay, et les pécheurs du lac Inle, pour lesquels l’agence officielle du gouvernement avait donné son autorisation.
Des enfants de 6 ou 7 ans (d’apparence en tout cas), et des femmes très jeunes, travaillaient sous le regard et la baguette d’un contremaître. Le soleil de ce mois de mars était de plomb et le goudron fumaient ses vapeurs suffocantes. Je ne pouvais croire que ces enfants et ces femmes étaient volontaires. Leur peau, couverte de thanaka – protection dérisoire contre le soleil – grillait sous le double effet de la chaleur du ciel et du goudron à l’état visqueux. Leur faible sourire et ces regards tristes et soumis, que je n’oublierai jamais, disaient sans qu’il ait été besoin de mots, à quel point leur condition était pénible, Avait-il seulement connu autre chose que cette forme d’esclavage ? Etaient-ils Karen ? Avaient-ils été amenés là, de force ? Je ne sais…Je shootais, c’est tout ce que je pouvais faire.
Et là, à quelques centaines de mètres de notre hôtel, les militaires continuaient de mettre notre gentil Maw-Maw sur le gril. Enfin, après une heure d’incertitude glaçante, dans la touffeur de la voiture, les militaires nous faisaient enfin signe de dégager, d’un geste que je trouvais peu élégant.
Un peu plus tard, alors que nous quittions l’hôtel pour aller dîner, nous faisions ce triste constat : la voiture de Maw-Maw était toujours devant le poste de police. Aux alentours de minuit, pas de changement, et le lendemain matin, c’était un autre chauffeur et une autre voiture qui venaient nous chercher à l’hôtel. Contrariée, je me fais conduire jusqu’à l’agence pour exiger des explications. Le responsable haussait les épaules et lâchait : « Oh Maw-Maw est toujours au commissariat… », comme s’il s’agissait d’une routine ordinaire. Alors j’ai compris qu’il y avait un problème. Nous avons renvoyé le chauffeur, fait nos bagages à toute vitesse et filé vers l’aéroport en taxi. Malheureusement nous n’étions pas prévus sur le vol en partance pour Bangkok, mais sur celui décollant deux jours plus tard. Alors, liste d’attente, et attente. Insupportable….
Alors que l’espoir commençait à faiblir sur nos chances de quitter le pays, alors que je serrais précieusement appareil photo et pellicules litigieuses contre moi, l’employé de la « Thaïe Airways » nous faisait signe : « Vous décollez ». Je l’aurais embrassé !
Ce n’est qu’une fois dans l’avion, que mon fils et moi-même, avons commencé à respirer, Ce qui est arrivé à Maw-Maw, je ne le saurai jamais. Il faut croire qu’il n’a pas parlé, sinon la police nous aurait rattrapés et aurait probablement intercepté mes pellicules.
Visages Karen, frontière birmane
« Le voyage en douce »
Voilà des jours que je tente de donner une colonne vertébrale à mon tout proche voyage en
Birmanie. Des retrouvailles après dix ans ! Et une situation qui a changé, sur la forme en tout cas, plus que sur le fond.
« Si des changements interviennent, ça ne sera pas par la grand porte mais par la porte de derrière» écrivait THANT MYINT-U dans « The river of lost footsteps » (la rivière des pas perdus) en 2007, après la révolution safran de cette même année.
« La Birmanie est réellement en train de changer, du moins en apparence » me dit Kwaw (prononcer dtchao), « la porte s’ouvre en grand et tout le monde s’y engouffre pour y faire des affaires, pour découvrir ou pour témoigner et Rangoon n’a pas la capacité hôtelière d’accueillir ce flot d’étrangers. Les prix des hôtels grimpent de jour en jour tandis que les lits se font rares »
Après avoir passé des heures et des jours sur internet, j’avoue que j’ai failli me décourager après ces « nous n’avons aucune possibilité correspondant à vos dates » à répétitions. Sans parler du silence des agences et guest houses locales auxquelles j’envoyais force emails. Et plus le temps passait plus la date des élections approchant, le problème se faisait de plus en plus cuisant.
Kwaw est birman et il a sa propre agence à Chiang Mai où il est arrivé il y a neuf ans. (Lucky – car rental & services 28, Chayaphoum Rd Chang Moi, A. Meuang Chiang Mai 50300) Ne me demandez pas pourquoi j’ai fini un jour par atterrir dans sa boutique, véritable fourre-tout de faux jade, de cartes postales, de chats paresseux qui s’étirent sans tenir compte de ma présence entre les téléphones des années 60, un ordinateur qui fonctionne, une poussière uniforme et définitive
et une grande carte de la Birmanie.
C’est surement cette dernière qui m’a fait franchir la porte de l’agence Lucky il y a quelques mois, alors que j’envisageais déjà un voyage en Birmanie. J’y engageais la conversation avec le patron et très vite, surprise par son accent, je lui demandais s’il était Karen (les Karen et Birmans ont un accent très particulier lorsqu’ils parlent anglais, c’est « roulé », rapide avec des mots « gobés » et finalement plus proche de l’Inde que de la Chine).
Evidemment cette conversation s’est poursuivie sur la situation en Birmanie. Je suis revenue plusieurs fois voir Kwaw sans jamais rien lui acheter. Cette fois, je venais « aux renseignements ». Je n’ai pas été déçue.
Il a passé deux jours au téléphone à tenter de me trouver un lit à Rangoon et dans quelques villes (état Shan, état Mon) à partir desquelles je rayonnerai. Il a même pu me retenir une place dans un bus VIP de nuit entre Rangoon et Mandalay. Avec une mise en garde : « Ne pas trop s’aventurer dans l’état Shan, car bien qu’ayant signé un cessez-le-feu, les combats ont repris de plus belle)
Hier, j’écrivais « La vraie Thailande ». On emmène toujours avec soi, ses rêves, ses illusions, toutes sortes d’idées fausses ou vraies sur un pays que l’on découvre pour la première fois… J’ai été mariée à un homme qui avait été le compagnon de quelques célèbres beuveries avec le sublime conteur Joseph Kessel ; heureusement, il n’a jamais fait comme lui : croquer à belles dents dans ses verres après en avoir avalé le contenu). Alors j’ai forcément des images d’or, de poussière et de rouge rubis plein la tête (« La vallée des rubis » de Joseph Kessel), images corrigées par celle de « Burma VJ » offert par mon ami le jeune moine Agga Nya Na qui vit et étudie maintenant à Brooklyn après avoir participé à la révolution safran de 2007.
Dans le passé, mes amies proches voyageaient par personne interposée grâce à mes récits de
voyages, cette fois, c’est un petit moine à bouille ronde et binoclard qui va vivre ce voyage à travers moi.
De la mer du nord à la jungle birmane
La beauté est partout, il faut juste aiguiser son regard et oublier la routine. Calais, après avoir été la capitale de la dentelle, le port de passagers anglais d’une journée, ces fameux « no passport », la ville du tunnel sous la Manche dont elle s’est enorgueilli mais qui avec le temps a vu presque tous ses voyageurs devenir souterrains… Calais ! Il faut être nostalgique pour emprunter, aujourd’hui, le ferry pour traverser le Channel. Je l’ai pris tant de fois, en passagère « payante » ou en passagère « payée » sur le « Princess An Christina », bateau-casino suédois sur lequel je travaillais et qui de ses cinq heures de traversée embarquaient ses voyageurs-joueurs cosmopolites jusqu’au port de Londres.
La ville sombre doucement dans le marasme. Les grandes surfaces ont drainé les petits commerces vers des plaines a éoliennes, près de cette gare de nulle-part qu’est Frethun.
Et la beauté dans tout ça ? A portée de main. A portée de vue.
La plage, le port « but et départ ».
« But » pour ceux qui prennent leur voiture et se plantent là devant la mer changeante et la contemplent, nostalgiques peut-être, sans vraiment la voir tant l’habitude est devenue une force. Au chaud. Ils viennent là comme on accomplit un rite, La mer changeante avec son ciel pommelé, son ciel immense ou son horizon plombé et si bas selon les jours, qu’il serait facile de se laisser glisser vers la mélancolie ou la déprime.
A chaque passage, je marche sur cette jetée où s’interpellent des pêcheurs du dimanche avec leur accent du Courgain, chômeurs sans doute, passionnés de canne à pêche à moulinets. Ils écoutent du Mike Brant ou du Herbert Leonard en se lançant des blagues de loin en loin tandis que les promeneurs aventureux enjambent leur canne à pêche.
« Eh fieu, t’as attrapé un carrelet ? »
Je les crois là simplement pour fuir la routine de la maison et les histoires de « bobonne » (si si on dit comme ça ici). Ils iront boire un coup après, avec leur panier vide, leurs doigts gourds de froid, leurs joues rouges du vif air marin.
C’est ma promenade obligatoire. Sans mélancolie. J’observe la mer et ses ferries, là où sont nés tant d’espoirs, tant de rêves de départs ou … de fuites. Cette mer m’a portée vers Folkestone, étudiante alors, dans une famille dont le père était colonel dans l’armée des Indes, à côté du Général Montgomery (j’en ai fait le colonel Andrew dans « THEATRE D’OMBRES »). Cette mer bienveillante ou monstrueuse m’a portée plus tard vers Londres bouillonnant d’idées, de musique rock, de mode, de révoltes, de transgressions. Ces rêves d’évasion se sont réalisés plus tard autour du monde. En Asie. Encore et toujours vers l’est.
Femmes de l’ethnie Hmong a la frontiere du Vietnam et de la chine
Avec déjà des projets pour une autre exposition à Mondiaphoto, et qui pourrait s’intituler : « De Brooklyn à Kyauk Padaung », le village natal de mon jeune ami birman, le moine Agga Nya Na. Expo portée par la voix de Marie, bout ’chou de 14 ans qui un jour sera notre Natalie Dessay. Retenez son nom : Marie Lombard.
Oui la beauté est partout pour qui sait être attentif : dans la lumière capricieuse du Channel, dans la voix de soprano et pourtant profonde et déjà sûre d’elle dans les graves de Marie chantant un lied de Mozart, dans le jeu subtile de Camille et Marie jouant Debussy ou Rachmaninov au piano, dans le choix des poèmes d’Aragon ou du Cantique des Cantiques lus tandis que tournaient mes photos d’Asie.
Est-ce que les souvenirs se perdent ? J’en retrouve parfois sur mon chemin en faisant le pèlerinage de Calais.
C’est parce que je suis née là que je suis partie et que j’ai chevauché des motos sur les routes de jungle.
C’est parce que je suis née au bord de cette mer là que j’aime aujourd’hui me perdre dans les villages des ethnies de montagne d’Asie du sud-est.
Et comme je suis un oiseau qui ne se pose pas souvent, je vais de ce pas faire ma demande de visa pour la Birmanie. Enfin le Myanmar. Ce pays d’or et de terreur. Ce pays de rubis et de crimes. Ce pays de promesses. Ce pays trop convoité par ses ogres voisins que sont la Chine et l’Inde.
Ce peuple puni, cette jungle honnie. Le pays d’une femme-fleur dont le nom évoque l’espoir infini.
L’espoir comme les rêves qui aident à vivre.
Mon amie Thoenda, refugiee birmane-musulmane a Paris
PS : l’espoir ? S’il y a la beauté il y a aussi le courage d’entreprendre à Calais. Dans ma quête de café matinal j’ai trouvé sur le boulevard Lafayette, « Le Fournil de la Tour », un salon de thé ouvert de 7 h du matin jusqu’à 20 heures le soir. Tous les jours. Dans une ville quasi morte le dimanche. C’est une lumière chaleureuse ou un couple jeune travaille sans relâche 7 jours sur 7. Accueillie par le sourire de la blonde Jennifer…. Voilà j’ai trouvé mon prochain point de chute à Calais. Après « Smoothie Blue » à Chiang Mai, après « Exki » à Paris… le « fournil de la tour » à Calais. Je suis un drôle d’oiseau qui ne se pose pas ? Si si, de temps en temps et dans des endroits qui me donnent envie d’écrire.
Chapitre 1 – A chacun son histoire
La Birmanie ! Je ne m’excuserai pas auprès des autorités birmanes en me corrigeant et en écrivant « Union du Myanmar » même si c’est le nom officiel du pays. Un jour peut-être, lorsque ce nom aura vraiment un sens – son véritable sens d’Union et de paix avec ses ethnies vivant au nord du pays et tout le long de la frontière thaïlandaise.
Birmanie donc, devenue l’une des dernières destinations à la mode ou, comme l’écrit je ne sais plus quel magazine féminin « La Birmanie, l’une des dix destinations « tendance » de 2012 avec le Bhoutan, l’Ukraine, l’Ouganda…
Pays dont la seule évocation fait rêver. « Myanmar, the golden land » comme le décrit le gouvernement de ce pays qui en a fait son appel aux touristes, pardon son appel aux dollars des touristes. Tout comme la Thaïlande avec son slogan : « the land of smiles ».
George Orwell, qui a écrit « Burmese days », avait succombé en son temps au poème de Kipling sur Mandalay (où il n’était d’ailleurs jamais allé !)
But that’s all shove be’ind me – long ago an’ far away
An’ there ain’t no buses runnin’ from the Bank to Mandalay
An’ I’m learnin’ ‘ere in London what the ten-year soldier tells
« If you’ve ‘eard the East a-callin’, you won’t never ‘eed naught else. »
No! you won’t ‘eed nothin’ else, but them spicey garlic smells
An’ the sunshine an’ the palm-trees an’ the tinkly temple-bells
On the road to Mandalay…
Mais tout cela est loin derrière moi, il y a bien longtemps et loin d’ici
Il n’y a pas de bus roulant entre Bank et Mandalay ;
Et j’apprends ici, à Londres, ce que disent les anciens:
« Si vous avez entendu l’appel de l’Orient, vous n’aurez jamais besoin de rien d’autre »
Non ! Vous n’aurez besoin de rien d’autre que ses fortes senteurs d’épices,
Et du soleil et des palmiers et des clochettes du temple qui tintent
Sur la route de Mandalay…
Mais revenons aux touristes d’aujourd’hui
Çà et là, j’ai toujours les oreilles qui trainent, et combien de fois ai-je entendu, dans les halls d’hôtels, sur les lieux touristiques : « tu te souviens c’était pareil au Chili ? » « Tu as fait l’Afrique du sud ? » « Tu es venu avec Kuoni ou Jet tour ? » « La Birmanie c’est un pays intéressant, la nourriture ça allait, mais le guide était vraiment mauvais, il rognait sur tout »
Bon je ne vais pas continuer la liste. Je ne juge d’ailleurs pas, je « rapporte »c’est different, comme je rapporte ce que j’ai entendu dans les bus avec les backpackers. Chacun raconte son trip, son histoire, la longue liste des pays parcourus « En 6 mois, faut bien ça pour faire le Cambodge, le Vietnam, la Thaïlande et puis l’Indonésie aussi ».
Scène volée : dans le bus Mandalay-Bagan (8 heures de tape-cul) un jeune norvégien aux longues jambes recouvertes d’un duvet blond, visage de Christ pas tragique, plutôt naïf. Il est tout excité par les photos qu’il a prises dans l’état Shan, des femmes Palaungs, des rizières vertes et qu’il montre à un espagnol. Je le sens en attente d’un verdict flatteur. Il est jeune et fier de ses cliches. Après quelques minutes et un déroulement à toute vitesse des photos, l’espagnol lui assène ses mots, plus douloureux qu’un coup de couteau : « Ouais, il y a quelques photos pas mal » « Pardon ? » bégaye le pauvre norvégien « Tu as fait quelques clichés intéressants avec la bonne lumière » cogne l’espagnol blasé à nouveau… Ils ne se reparleront plus de tout le voyage. Les backpackers peuvent etre cruels comme le sont parfois les enfants
Oui, moi aussi je suis touriste, moi aussi je fais des photos, moi aussi je voyage tantôt dans les bons hôtels tantôt en voiture privée tantôt en bus tape-cul. Touriste, voyageuse, curieuse avant tout pour la deuxième fois dans ce pays aux millions de temples, ce pays aux pagodes dorées et aux centaines de milliers de moines en robe couleur rubis, la même que celle des pierres précieuses de la région de Mogok.
La première fois c’était il y a 12 ans exactement, Moi qui voyage en solitaire depuis des lustres, j’avais offert le voyage à mon fils afin de ne pas être seule dans ce pays au double visage. Cette fois, je le suis. Le pays s’est ouvert, le flot des touristes coule, comme les eaux lourdes et sombres de l’Irrawaddy, les portes s’ouvrent surtout aux hommes d’affaires. Les hôtels sont pleins à Rangoon et c’est là que debute une suite d’évènements que je ne qualifierai que de « désagréables » maintenant que je suis rentrée en Thaïlande, mais qui auraient pu être graves. (D’où ce récit en forme de quasi roman)
Bref, j’emprunte cette porte ouverte aussi, mais parce que j’ai fait une promesse à quelqu’un, à un jeune moine du nom de U Agga Nya Na rencontré à New York. Un moine poursuivi par l’armée birmane, la « Tatmadaw », après avoir participé a la « révolution safran » de 2007
» de 2007
Chapitre 2 – Dans la gueule du loup
J’ai déjà remis ce voyage en Birmanie une première fois l’hiver dernier, mais une promesse est une promesse, cette fois je ne peux plus me dérober sous de fallacieux prétextes. En fait j’éprouve quelques craintes que le responsable de la Best Friend Library à Chiang Mai ne dissipe pas : j’ai enseigné l’anglais bénévolement durant une année à des refugiés Karen (des rebelles pour les autorités birmanes) à Mae Sariang, il est probable que mon nom ait été signalé aux autorités… (Les espions fourmillent tout le long de la frontière où sont réfugiés des centaines de milliers de Karen. Mon « chéri » été en poste à Mae Sot et m’a lui aussi expliqué).Le consul français à Chiang Mai me le confirme également.
J’attends donc mon retour en France pour faire ma demande de visa en passant par une agence spécialisée. Entre temps, sur mon passeport, je ne m’appelle plus Jullian, mais du nom de famille de mon père (va savoir !). Au-delà de cette crainte – fondée ou pas – de vieux souvenirs remontent à la surface : il y a un peu plus de dix ans, lors de mon premier voyage en Birmanie avec mon fils, j’avais imprudemment noté sur ma demande de visa : « photographe » ce qui correspondait à la réalité de l’époque, mes photos étaient publiées dans un journal suisse ainsi que dans un des suppléments magazine du Figaro, le « Figaro Méditerranée ». Ce premier voyage, passionnant, s’était terminé par une fuite en catimini à l’aéroport, notre chauffeur ayant été arrêté et retenu prisonnier toute une nuit (ou plus ?) par les militaires dès notre retour sur Rangoon.
Je prépare donc ce voyage avec le but de rencontrer la mère d’Agga et aussi l’envie folle de faire des photos comme toujours.
Comment j’ai connu Agga ? Sur Facebook où il m’a demandée en ami. Pourquoi ? Parce qu’il avait vu des photos de Mae Sot (ou il a été refugié), parce que j’habite en Thaïlande, parce que je m’étais déjà exprimée sur la Birmanie. (Google-translator a parfois du bon même si c’est du bon approximatif). Bref, nous correspondons via ce media depuis Brooklyn où je décide d’aller lui rendre visite en août dernier.
Agga, le moine lutin et sautillant me fait visiter New-York, cavaler dans les avenues de Manhattan et le métro de Brooklyn, vers la statue de la liberté aussi ! A chaque arrêt, il me raconte son odyssée en Birmanie, la révolution safran 2007, sa fuite en Thaïlande et l’accueil par les Etats-Unis. Il me parle de son pays, de la cruelle réalité derrière les clichés touristiques. Comment la révolution de 2007 est partie avec des milliers de moines marchant pieds-nus et chantant « Metta Sutra » (amour et bonté) applaudis par tout un peuple.
« Un vent d’espoir à travers tout le pays, une vague orange suivie par étudiants, célébrités et civils – bouddhistes et non bouddhistes – se répandant sur toutes les routes de Birmanie. Un « voyage » vers le changement et la liberté partagé par le monde entier ». Pas de slogans vengeurs, mais des chants d’amour et surtout des demandes : celle de relâcher les étudiants (de la génération 1988), Daw Aung San Suu Kyi toujours maintenue à résidence, et tous les prisonniers politiques. Enfin assurer un meilleur niveau de vie a tous les habitants.
Ce qui en résulta, on le sait : l’armée tire sur son peuple et sur les moines. Tortures, meurtres, emprisonnements. Une récidive de 1988. La junte établit le couvre-feu. Censure de tous les medias. Les moines sont battus. La junte fouille les monastères et arrête des centaines de moines. La junte déclare « no go zones » les monastères bouddhistes. Un journaliste japonais est abattu de sang-froid. Rangoon et Mandalay bloquées par l’armée. La Chine appelle au calme. Des crémations secrètes sont organisés pour camoufler les crimes. La junte arrête les étudiants dissidents. L’Union Européenne renforce ses sanctions.
J’ai fait le récit de Agga dans mes notes précédentes (Voir sur Google, Michele Jullian : « Histoire d’un moine »).
Aller en Birmanie n’était donc pas tout à fait innocent pour moi. J’avais été éblouie une première fois par les pagodes dorées, je ne risquais pas d’être hypnotisée une seconde fois même si mes appareils photos étaient « armés » pour « shooter ». Mais cette fois, sur mon visa je suis « professeur retraitée » et puis entre temps les portes se sont ouvertes avec son flot de touristes et surtout d’hommes d’affaires. Les journaux locaux parlent de problèmes d’hôtels à Rangoon, de touristes errant la nuit dans la ville ou trouvant refuge dans les temples ! Je ne peux me payer ce risque…
C’est alors que je décide d’aller voir un birman que je connais un peu et qui travaille pour une agence ou qui dirige sa propre agence à Chiang Mai. Et là, par désir de sécurité, dans la psychose générale de ne pas trouver un hôtel en arrivant à Rangoon, je me mets sans le savoir en danger et dans la gueule du loup.
Chapitre 3 – Etrange répétition
J’appellerai Jo, le birman à qui je confie le soin de me trouver un hôtel à Rangoon pour les 3 premières nuits… Finalement, après quelques échanges, lui avec moi, lui avec son correspondant en Birmanie, je décide de « booker » également les hôtels de Mandalay, Bagan, Taunggyi, Moulmein et 2 autres villes dont j’ai oublié les noms. Sur les conseils du correspondant birman, qui insiste sur la difficulté à trouver des hôtels dans les villes touristiques – je décide de régler la totalité de la somme avec ma carte Visa, ce qui me délivre de l’obsession d’avoir à « trimballer » des dollars avec moi (dollars en billets neufs je le précise pour ceux qui voyagent dans ce pays, les birmans refuseront tout billet légèrement écorné ou simplement un peu vieilli…)
Jo tape l’itinéraire et les hôtels retenus dont certains figurent sur internet, ce qui me rassure à priori. « Je vous donnerai les prix lorsque vous reviendrez de Mae Sariang » me dit-il. Mes appréhensions s’envolent quant à ce voyage, pas tant le côté rassurant de l’itinéraire prévu d’avance, mais plutôt soulagée à l’idée que mes dollars pourront servir, éventuellement, à autre chose qu’à payer les hôtels pendant ces 3 semaines.
La dernière fois qu’Agga a pu faire passer un message à sa mère, c’était en octobre dernier. Il lui faisait savoir qu’une amie française viendrait lui rendre visite en décembre. J’ai raconté plus haut mes réticences et le voyage de décembre reporté à ce jour.
Avant de me mettre en route pour Mae Sariang, je demande à Jo s’il a confiance en son correspondant. Il me répond : « Nous travaillons ensemble depuis plusieurs années. Je leur fais confiance, ils ont l’habitude de s’occuper de personnes importantes (sic) et ça vaut mieux dans le contexte actuel. Pas de problème »
De retour à l’agence quatre jours plus tard, Jo est supposé me donner les « vouchers » des hôtels plus celui du bus VIP de nuit entre Rangoon et Mandalay. A ma légère surprise, pas de « voucher » « On vous les donnera à votre arrivée à Rangoon. Quelqu’un viendra vous chercher à l’aéroport » me rassure-t-il… Mon inquiétude grandit cependant lorsque je constate qu’aucun des hôtels retenus précédemment ne figure sur la liste « Il a fallu les changer en catastrophe » dit Jo « car il y a tellement de mouvements là-bas, les chambres n’étaient plus libres. Mais vraiment, ils ont fait pour le mieux, soyez tranquille. »
Je voyage depuis des décennies. Le plus souvent seule et pas forcément dans les endroits les plus tranquilles de la planète. Sans appréhension jamais. Je fais confiance sans être naïve, ou plutôt je cultive cette part de naïveté en moi pour ne pas devenir une obsédée de la sécurité. Je laisse une chance à celui qui essaie de me « rouler », parfois avec amusement, lorsque l’arnaque n’est pas trop importante, parfois avec fermeté ou colère selon les circonstances. Je me suis toujours sortie de situations parfois épineuses, sans dommage sérieux autres que financiers. Pour tout dire, je suis mon instinct et ne m’aventure pas là où « je ne le sens pas »
Je fais confiance à Jo, refugié birman en Thaïlande (toujours cette tendance à faire confiance, à priori, aux opprimés !) J’ai aussi droit à la stupidité !
Je vais donc de surprise en surprise – les hôtels ne correspondent pas à ceux que je croyais. Pas de « voucher »… – et troisième surprise : le montant de la facture. Le correspondant de Rangoon m’a « bookée » dans des hôtels 4 étoiles ma parole ! Comme mon départ est prévu pour le lendemain : je paie.
Ce que j’appelle « surprises » ici à ce point de l’aventure, ne sont que légers désagréments que j’espère oublier très vite une fois que je serai sur la route. Je rassure Agga sur Facebook… Je le sens soulagé… il avait ressenti mes hésitations et m’avait même dit « ne te sens pas obligée, laisse tomber, si tu as des craintes ».
J’arrive à Rangoon le soir, en espérant qu’on n’aura pas oublié de venir me chercher car je ne dispose que d’une simple liste d’hôtels. Ouf ! Je lis mon nom sur une pancarte brandie par un birman de très belle allure, en longyi de soie grise et chemise traditionnelle. Accueil parfait. Presque « too much » car le comité d’accueil comprend aussi deux autres jeunes-femmes plutôt jolies, souriantes et discrètes qui s’inquiètent de savoir si j’ai fait un bon vol, si l’attente au guichet d’immigration n’a pas été trop long, si j’ai faim etc…Je me moque gentiment de Jo en sourdine, pensant qu’il a poussé le bouchon un peu loin sur l’importance de la voyageuse que je suis. J’oubliais de signaler, qu’en plus de ce comité d’accueil spécial, il y a aussi le chauffeur de la voiture. « Mon ami d’enfance » trouve moyen de dire mon hôte en longyi de soie.
vue de la fenetre de ma chambre
Arrivés à l’hotel « Panorama » le très mal nommé – hotel qui se trouve être le même que celui dans lequel je dormais dix ans plus tot avec mon fils – . « Longyi de soie » me rassure : « Il a été amélioré depuis dix ans vous savez.»… Ce que je ne constate pas à priori. Me revient aussitôt à la mémoire, cette première nuit où, horrifiée, je constatais en ouvrant le lit, qu’il était plein de fourmis. J’avais alors sommé la réception de venir immédiatement changer la literie. Je ne me fais pas encore la réflexion que certains évènements semblent se répéter.
« Longyi de soie » me donne un reçu avec le montant global des prestations encaissées par sa compagnie et une liste d’hôtels, sans leur adresse ni leur téléphone. Je m’en étonne. « Pas de problème » me dit-il « tous ces hôtels sont archi connus (sauf du guide Lonely Planète et de Google),, vous n’aurez pas de difficultés à les trouver ». Et puis il ajoute : « Passez à notre bureau lundi matin vers 9 heures, on vous donnera un « cell-phone », pour le cas où vous auriez un problème ou besoin de nos services. »
« Longyi de soie » me laisse sa carte et ses numéros de téléphone, bureau et personnel. Comment ne pas être rassurée dans ces conditions, même si le prix de l’hôtel ne correspond qu’à la moitié de ce que j’ai réellement payé…
« L’effet Rangoon » je me dis… « Les hôtels sont pleins et du coup ils augmentent leurs tarifs d’une nuit sur l’autre, c’est presque humain lorsqu’il y a plus de demandes que d’offres…. » Tout va bien, ou presque… je n’ai pas pu me brancher sur la Wi Fi qui ne fonctionne pas… il sera temps d’y penser demain… et puis, sans suivre les conseils de « Longyi », qui me recommandais de ne pas sortir seule le soir (évidemment pas d’éclairages de rue et trottoirs défoncés), je sors dans la nuit éclaboussée par les seules enseignes aux néons accrochées au pont qui enjambe la rue menant à la gare toute proche.
Je m’endors en pensant « étrange, comme « Longyi de soie » a un pur accent américain, pas du tout l’accent des birmans parlant l’anglais… et je mets ca sur la modernisation de l’enseignement en Birmanie !
Oui de vrais changements sont en train de se produire dans ce pays !
Chapitre 4 « Etrange début de voyage »
A ce stade du voyage, je n’éprouve encore ni crainte ni appréhension, j’ai juste la désagréable impression de « m’être fait avoir ». Mon obsession durant ces deux jours à Rangoon est de trouver un endroit où la Wifi fonctionne afin de pouvoir continuer à écrire mon blog… et je le trouve, en remettant mes pas sur ceux d’il y a dix ans : à l’hotel « Traders » sur l’avenue qui mène à Sule Pagoda. On peut, en consommant une boisson d’un minimum de 5 dollars (il n’y a rien en-dessous de toute façon), bénéficier d’un mot de passe, Sésame vers un internet qui fonctionne bien en comparaison des autres endroits de la ville. J’ai le temps d’y écrire quatre notes (« contradictions visibles et dérangeantes », « Des paroles sans son », « Times are changing », « Gloire, beauté, arnaque et humour toujours » suffit de taper sur Google pour les retrouver).
Le lobby du « Traders », un endroit ou se retrouvent hommes d’affaires de toutes nationalités accueillis par des birmans en longyi de soie. Projets, commissions, concessions… la Birmanie est à vendre aux plus offrants j’imagine. Pour ne pas être que critique, je dirai aussi qu’il y a tout à faire ici, mais pour rester lucide j’ajouterai encore que ce qui sera fait en priorité sera sans nul doute destiné au tourisme (j’ai rencontré des autrichiens qui venaient de terminer un hotel 5 étoiles à Mandalay… ! et le gouvernement était pressé d’ouvrir alors que l’hôtel n’était pas complétement achevé)
Sur l’avenue qui mène à Sule Pagoda, des cinémas et quelques coffee-shop décentes… et un bâtiment gris protégé par des sacs de sable et des barbelés : le poste de police où huit militaires arrêtaient notre voiture il y a 10 ans et retenaient pour « interrogatoire » notre chauffeur Maw Maw. Il avait dû commettre l’irréparable faute de me laisser photographier des enfants et des femmes cassant des pierres et étalant des cailloux avec leurs mains et coulant du goudron de façon moyenâgeuse sur les routes, sans autre protection que des chapeaux en latanier et de la poudre de thanaka, seule barrière entre leur visage et les rayons de feu du soleil. Décidément, ce n’est plus un voyage, c’est un pèlerinage ! Je récidiverai pour la photo, évidemment.
Bien sûr je vais à la Paya Shwedagon, et m’extasie devant l’or des statues (les militaires y rachètent leurs crimes en faisant des offrandes somptuaires aux temples et aux monastères) Ces criminels tuent, emprisonnent, torturent de sang-froid au nom de leur idéologie, de leur obsession de « maintenir la structure de la société intacte, à n’importe quel prix. « War is peace » La guerre c’est la paix, tel est un des slogans du parti. La raison d’être des ex généraux de « tenir » le pays dans l’unité dominante birmane et empêcher toute force extérieure ou intérieure de menacer cette souveraineté birmane. D’où ces guerres ethniques contre les rebelles (karen, shan, kachin). En dépit des cessez-le feu récents, l’armée continue de grossir. La moitié du budget du gouvernement est dépensé pour renforcer l’armée (contre 4 % pour l’éducation) (Emma Larkin)
Les généraux déguisés en civil disposent d’une armée alors qu’elle n’a pas d’ennemis extérieurs. Il faut donc s’inventer des ennemis mythiques : la CIA, les ONG, les rebelles ethniques… enfin tous ceux qui s’opposent au régime.(il faudra lire « LA OU S’ARRETENT LES FRONTIERES » mon roman à paraître bientôt aux Editions de la Fremillerie).
Les trottoirs défoncés sur lequel je marche ne sont pas seulement éclaboussés de crachats étoiles de bétel mais aussi du sang du peuple.
Le lundi matin (je dois prendre le bus la nuit même pour Mandalay), je me rends au bureau de l’agence qui s’est occupé de mes hôtels. Le chauffeur du taxi qui m’y conduit me demande : « Je vous attends ? » « Evidemment ». Je suis bizarrement accueillie, bien qu’attendue, ou justement trop attendue, Le directeur est la en costume-cravate très chic. Il s’éclipse très vite pour faire place à « Monsieur Longyi de soie ». Les filles – les mêmes que celles qui m’accueillaient à l’aéroport deux jours plus tôt, font semblant de s’occuper mais elles n’ont visiblement rien à faire. L’atmosphère est étrange : regards croisés, sourires gênés et forcés, fausses occupations et pas de coup de fil ! Pour une agence qui se dit « La première compagnie privée à Rangoon, offrant un paradigme unique et une présence dans toute la nation, des solutions technologiques et un personnel super forme »… Je lis rapidement les premières lignes d’une brochure qu’on m’offre, et il y a comme ça, quatre pages de discours creux et amphigouriques. Quelque chose soudain frappe mon attention : « Bienvenu à A….. Travels & Tours, établi depuis 2011 »… 2011, c’est peut-être il y a trois mois seulement. Dans ce cas, pourquoi Jo, à Chiang Mai, m’a-t-il dit qu’il travaillait avec « eux » depuis plusieurs années et les connaissait pour leurs compétences ?
Je refuse le cell phone pour lequel on me réclame 45 dollars et rejoint le taxi… qui a disparu. Sans être payé ! Mais pourquoi le chauffeur s’est-il « barré » sans même avoir perçu le prix de la course ?
Chapitre 5 – « The brave traveller »
Depuis la Thailande où j’écris actuellement, et après avoir dénoué en partie l’écheveau compliqué et pervers de « mon histoire birmane », je vais tâcher de me replonger dans la suite du récit, en faisant abstraction de son épilogue. Je la reprends donc là où je l’ai laissée hier : à Rangoon. A Rangoon où la vue d’Arkartha a fait peur à mon chauffeur de taxi au point de se « barrer » sans être payé.
Pour moi un voyage n’a d’intérêt que s’il s’approche ou tente de s’approcher le plus possible de la réalité du pays visité. Je provoque les conversations, plonge dans la presse locale… informations qui m’apportent un éclairage supplémentaire à celui que m’ont fournie mes lectures d’ouvrages sur le pays. Je suis en bonne compagnie avec Mynt Thant U, l’historien birman, petit-fils de U Thant le secrétaire général de l’ONU dans les années 60/70, avec Emma Larkin (écrivain parlant couramment le birman) et qui a mis ses pas dans ceux de Geroge Orwell en Birmanie, et enfin d’un auteur birman qui a pris le pseudonyme de « Suragamika » (« the brave traveller ») pour écrire « The Roadmap », superbe travail de documentation et de fiction sur les évènements survenus ces dernières années en Birmanie. « Afin de comprendre les tragédies humaines birmanes, celles non révélées et celles non publiées » (The Irrawaddy).
En tant que femme voyageant seule, je suscite souvent la curiosité ou l’inquiétude de la part des locaux qui viennent vers moi. Je rencontre Myat Khaing, auteur, écrivain birman qui m’accoste dans la rue. Chaque rencontre est une porte qui s’entrouvre sur la compréhension de ce pays. Il raconte : « La prison n’est pas seulement celle qui nous enferme entre quatre murs et avec des grilles » me dit-il en buvant un thé dans une tea-shop proche de mon hotel, l’extérieur aussi peut être une prison. Elle est juste plus grande. Vous pouvez arrêter n’importe quelle personne dans ce pays, il a, ou a forcément eu, quelqu’un de sa famille qui a été emprisonné, ou interrogé ou torturé. Lorsque les prisonniers politiques sont relâchés, ils sont encore en prison lorsqu’ils sortent. Une prison intérieure. »
Une conversation que j’aimerai faire durer davantage mais je dois me préparer pour mon bus de nuit vers Mandalay. L’heure venue, je me fais indiquer par les réceptionnistes du Panorama, la station d’où partira le bus. Trois filles se concentrent sur le reçu et donnent de longues explications au chauffeur de taxi. « C’est très loin ». « Ah ! » « Au moins une heure en taxi, en dehors de la ville ».
Dans le trafic hallucinant du soir et dans une voiture qui manque se désintégrer à tout moment, on s’enfonce dans la nuit. On tourne en rond – le chauffeur ne connait pas la route -et on finit par arriver dans une zone qui ressemble à un camp de réfugiés. Là où je m’attendais à retrouver quelques voyageurs sacs-à-dos, je suis seule européenne dans ce « no man’s land » sous éclairé et dans un bus finalement assez confortable.
Après une nuit de somnolence, on arrive à 6 h.30 du matin dans un marché éloigné de la ville et sans taxi. Pour tout transport : une camionnette de l’époque british, dans laquelle je monte à califourchon avec mes bagages. Je débarque enfin dans un hotel lugubre, dans lequel j’aurais pu dormir en d’autres circonstances, et en payant le prix réel, soit une vingtaine de dollars, et non les 100 dollars payés à « l’agence ». De toute façon, n’ont pas de booking à mon nom. Je sens la colère monter en moi. Je sors le « reçu » d’Arkartha avec leur numéro de téléphone. Le réceptionniste le néglige et dégote un autre numéro dans un carnet planqué sous son comptoir. Après quelques palabres, il me tend le récepteur. Je lui dis sont fait à mon interlocuteur, l’homme en longyi de soie et à l’accent américain : mon mécontentement, ma déconvenue et le souhait qu’il me trouve un hôtel « décent » a Mandalay « Allez au Swan hotel » me réplique-t-il vertement en me raccrochant au nez.
Direction le Swan, embarquée sur une moto avec valise et sac à dos. Mais au Swan, c’est pire. Pire et sale. Je prends enfin conscience que j’ai eu affaire à des « escrocs» et que la suite du voyage risque d’être du même niveau. Des « escrocs » mais pas seulement…. Mais évidemment, ça, je ne le sais pas encore…
Chapitre 6 – L’esprit du paon combatif
“The spirit of the fighting peacock”
Une fois la pilule avalée, une fois admise l’idée que je me suis fait “rouler dans la farine”, enfin que je me suis “fait avoir dans les grandes largeurs” pour parler grossièrement, ne me reste plus qu’à profiter du voyage.
Depuis l’hôtel Sedona de Mandalay où je m’installe pour quelques jours – enfin un peu de luxe et un « centre d’affaires » avec ordinateurs (je ne peux pas me connecter avec le mien) – j’explique ma situation au responsable de l’accueil qui m’avoue n’avoir jamais entendu parler de « cette agence ». « Pourquoi l’avoir choisie ? » A ma demande il essaie de joindre Arkartha, mais aucun des 6 numéros en ma possession ne répond. Que ce soit depuis le téléphone de l’hôtel ou depuis son portable. J’envoie alors un email avec un ultimatum. Réponse rapide exigée ou je porte plainte à la police !
J’ai vraiment pris pour argent comptant les changements survenus dans ce pays. J’agis et réagis comme si la Birmanie était régie par des lois, en oubliant qu’ici la loi c’est celui qui la fait, la loi c’est celui qui a le pouvoir et le pouvoir de vie et de mort sur ses sujets, c’est-à-dire l’armée ou ceux qui ont « changé de costume ». Une armée qui a cédé la main à un gouvernement civil constitué d’anciens officiers. Je n’obtiendrais pas de réponse.
Mandalay sera une ville pleine de rencontres : guides, conducteurs de trishaws, moines, étudiants… de quoi alimenter ma curiosité.
Il y a un pouvoir sur lequel militaires ou gouvernement n’a pas de prise, c’est une action que les moines appellent « overturning the bowl » (le retournement du bol a offrandes) : le boycott des offrandes de nourritures. Les généraux, tout en emprisonnant, torturant, font des offrandes aux moines « make merit » (« tham boon » comme on dit en thaï) pour racheter leurs fautes et actions criminelles, leur brutalité, leur cruauté envers le peuple. Vers la fin de leur vie ils construisent des pagodes avec les millions volés au pays. Des pagodes dorées pour le prix de leur « âme » et pour s’assurer des vies futures agréables. C’est le même bouddhisme Theravada des deux côtés de la frontière qui sépare Birmanie et Thailande et dont je n’aime pas l’esprit marchand.
Donc, selon le « Khamma », les moines peuvent refuser les offrandes de ceux qui les ont insultés, eux ou leur communauté. Ils le feront en 1990, mais l’armée se vengera en les défroquant (disrobe) et en les envoyant dans des camps de travail ou le long des frontières en guerre ou ils seront porteurs. « Retourner le bol » quelle belle mesure pour qui connaît l’importance de « l’achat » des mérites pour la réincarnation.
Ils sont trois moines à venir me parler là-haut sur la colline de Mandalay au moment où le soleil se couche, et beaucoup d’autres qui se mêlent aux touristes, »Nous n’avons pas peur. S’il faut nous battre encore, nous irons jusqu’à la mort et verseront notre sang pour la liberte. » Est-ce que c’est cela qu’on appelle « l’esprit du paon combatif » ? Le courage ? La bravoure jusqu’à la mort ? Faire passer son pays avant ses problèmes personnels et chanter comme en 1989 :
« We will never forgive
« Never for as long as we live,
« History is written
« In the blood of martyrs
« Who perished in the revolution,
« In the blood of those who perished for democracy
« Ours is a country of martyrs
« Brave Burma, Burma is our country
Je ne sais pas si j’ai attrapé « l’esprit combatif du paon »* mais je retrouve mon humeur offensive et fait une dernière tentative du côté d’Arkartha en utilisant le portable de mon guide. Et miracle ! Quelqu’un me répond. La voix suave d’une des filles m’accueillant quelques jours plus tôt à l’aéroport. Chaleur exaspérante, esprit de bravoure, désir de me battre jusqu’au bout : « Je souhaite parler à votre boss ». « Quel boss ? » Je prononce le nom de « longyi en soie ». La fille fait comme si elle ne le connaissait pas. « Vous avez bien un patron, non ? » « Non. Quel est le problème ? » Le problème, « ils » le connaissent, hôtels non retenus ou facturés le double du prix réel.
De l’avantage ou du désavantage de parler anglais couramment et d’avoir du vocabulaire ! « J’y vais » et pas du tout sur le ton british distancié et glacial mais plutôt sur le genre américain surchauffé. « Voix suave » encaisse pendant 30 secondes. Trente secondes de colère c’est long. Puis me raccroche au nez. Je l’ai cherché !. Le guide me regarde, abasourdi. Je lui rends son portable avec un sourire. Satisfaite de moi, je ne me rends pas compte que j’ai quasiment signé mon arrêt de mort ou plutôt, en égratignant l’ego surdimensionné de ceux qui ont le pouvoir, je viens de me mettre en réel danger. Et je n’avais pas encore pris connaissance de cette mise en garde dans le « Lonely Planet 2011 » (je lis toujours les guides au retour !) : « Réfléchissez bien avant d’accuser quiconque de vol ou d’escroquerie, cela peut entrainer de lourdes conséquences ».
« Thief, scam, crook »…l’artillerie lourde contre ceux qui font la loi, qui « sont » la loi puisqu’ils ont le pouvoir. Et quoi ! Qui je suis ? Une femme ! Une étrangère ! Mais je ne sais pas encore qu’ils ont décidé de « se venger » de mon audacieuse imprudence.
*le paon est le symbole sacré– interdit par la junte militaire birmane – de la Fédération populaire des étudiants de Birmanie.
Chapitre 7 – Bras de fer invisible
Le bras de fer entre Arkartha ou Artfinko ou ??? – que je prends toujours pour une agence traditionnelle – ne fait que commencer et je ne le réalise qu’en lisant la réponse de Jo à mes mails.
« Si vous portez plainte contre moi, je vais avoir des problèmes car je suis en situation irrégulière en Thailande ». Je le rassure par retour, ce n’est pas lui qui est visé bien sur…Et sa réponse: « I have to say thank you to you because, I would have been in some trouble to support my parents in Yangon for their food and medicine. Almost everything in Myanmar is more expensive than Thailand and Burmese people monthly income is much lower than Thai people do. You can see two kind of people, one is the best and the other is the worst, one is the richest and the other is poorest, middle class is almost disappear, anyhow please be careful of everything, Burma is new world and much more different from Thailand. I will keep in touch with you ».
« Merci j’aurais eu des problèmes sinon car je dois aider mes parents à Rangoon, pour la nourriture et les médicaments Tout coute cher au Myanmar, bien plus qu’en Thailande et le salaire des birmans est bien plus bas que celui des thaïlandais. Vous pouvez voir deux sortes de gens : le mieux et le pire, l’un est le plus riche l’autre est le plus pauvre, la classe moyenne a presque disparu. De toute façon faites attention à vous, la Birmanie est un nouveau monde et tout à fait différent de la Thailande. Je vais rester en contact avec vous. »
Les communications ne sont pas très bonnes avec internet, que ce soit au « JJ café » ou au « Sedona Hotel », Hotmail fonctionne très mal et, je l’expérimenterai plus tard, semble ne répondre que très tôt le matin vers 6 ou 7 heures.
Je n’en veux pas à Jo, je suis absolument certaine de sa bonne foi. Nous nous connaissions avant mon départ pour la Birmanie et nul doute qu’il s’est fait lui aussi « avoir ». Il est sincère je n’en doute pas. Je lui confirme néanmoins mon intention de porter plainte contre la Cie de Rangoon, Il doit bien exister une police pour touristes comme en Thailande depuis l’ouverture au tourisme de masse.
Entre temps j’organise mon départ pour Bagan et achète mon billet à la Cie des bus. Plus tard je contacte la « Seven Diamond Express travels » afin de louer une voiture pour me conduire de Bagan jusqu’au village de Agga, mon ami moine birman. J’explique clairement mon itinéraire à l’employée et lui dit (étrange itinéraire en effet pour une étrangère, de vouloir se rendre dans un village qui ne figure pas sur la carte !), que je souhaite rendre visite à la famille d’un étudiant vivant à Paris. Le prix est exorbitant mais je l’accepte je n’ai pas d’autre choix. « Une voiture correcte? » je demande. « Avec air conditionné ? » « Bien sûr. Pas de problème »
Le matin de mon départ pour Bagan, je consulte à toute vitesse mes mails au business center. Hotmail fonctionne. Il est 6 heures du matin. Un très long message de Jo m’y attend dont je lis les premières lignes avec stupéfaction. Je n’ai pas le temps d’aller jusqu’au bout, la camionnette de ramassage pour la station de bus va passer d’un moment à l’autre. J’attrape un employé au vol « Print please », et je rejoins le groupe de backpackers entassés dans la camionnette.
« Combien t’as payé ton sac » ? demande un américain à un allemand « 200 bahts » en Thaïlande répond l’allemand. « Où ça ? » « À Chatuchak. Ils ont aussi des lunettes de soleil pas cher » « Ça vaut le coup d’y aller alors… »
Faire une heure de bus pour payer moins cher un sac que l’on trouve sur tous les marchés de Bangkok, voilà qui est bien loin de mes préoccupations. J’ai hâte d’être dans le bus pour enfin lire tranquillement la suite du mail de Jo.
Chapitre 8 – Difficile transition
A partir de cet instant de la lecture du mail de Jo dans le bus, je commence à m’inquiéter. Il ecrit: “I trusted « them » and from the moment I booked to them, they started to change the hotels. “He” is son of police officer in Myanmar. “He” himself is problem maker. I hate police officer and military officer because “they” are rude Burmese people to poor people. I truly apologize.”
Plus bas je lis encore : « This morning « he » is very bad to me. So please believe me, trust me. Don’t fight with him any more”.
Je ne reprends pas tous les termes du long mail de Jo, mais en substance, il m’ecrit :”They know everything about you : what you said to the hotel’s staff – that you’ve changed your plane ticket from march 24th to 20th – That you’ve booked a car to go some place”. “Ils » rapportent à Jo certains propos que j’aurais tenus avec le personnel des hôtels et lui rappellent “qu’ils” sont en possession de la copie de mon passeport et “qu’ils” agiront selon loi. « They will do according to the Law (majuscule à Law) “Don’t fight with them. Police officers are their people. We are fighting for freedom, we are fighting “ them”.
Dans ce pays, la “machine de surveillance” est partout et efficace. Un « big brother » qui a pris modèle sur les services secrets britanniques de l’époque, puis, plus tard, sur les russes et les chinois. Un système dirigé par la MI (Mililary Intelligence) Bien sûr pas du tout basé sur une haute technologie, mais tout aussi efficace.
La MI dispose d’un système qui contrôle toute la population. Un nombre important de services très différents sont sous le coupe du « Directorate of Defense Services Intelligence » (DDSI) connu sous le nom de MI. Le contrôle de Ia MI s’étend sur toute la population et cible toute personne critiquant le régime ouvertement, aussi bien locale qu’étrangère.
Lorsque Emma Larkin (Finding George Orwell in Burma) était en Birmanie pour son livre, un ami l’avait mise en garde à Mandalay, sur l’omniprésence de la MI et de ses informateurs. « Dans certaines villes, le mécanisme de surveillance opère au niveau du voisinage, avec des « mignons » locaux faisant leur rapport journalier au bureau central Le régime sait tout : une remarque faite par un ivrogne, un simple vol au marché, une querelle entre mari et femme » Big brother is everywhere ».
Comment un pays qui a mis en place un tel système qui fonctionne ainsi depuis plus de 50 ans, s’en serait-il débarrassé en quelques mois ? Il faudrait être bien naïf pour croire que ce genre de changement, de transition vers l’ouverture, s’effectue d’un coup de baguette magique.
Je ne suis pas une journaliste travaillant – cachée – pour le compte d’un journal ou d’un magazine (ils sont encore interdits dans le pays officiellement) mais combien de reporters se sont glissés dans la peau de touristes pour pouvoir témoigner de la réalité birmane ?
« Artinko veut tout savoir de vous » m’écrit encore Jo. « Ils veulent contrôler tous vos déplacements. Restez en contact par mail avec moi autant que vous le pourrez, je suis responsable de votre sécurité dans mon pays ».
sur la route de l’hotel
C’est dans cet esprit que je débarque à Nyaug U et me rends à mon hotel (retenu par « ils » mais pas aux bonnes dates), au pas d’une petite carriole tirée par un cheval. Hotel situé à trois kilomètres du vieux Bagan, loin de toute habitation et de toute vie, hotel pour groupes voyageant en cars qui les prennent en charge à chaque déplacement, comme des enfants. Surprise du personnel de l’hotel en me voyant débarquer – seule – de ma calèche à cheval (moins cher que les taxis pourris) avec ma valise.
Bagan
Chapitre 9 – « Se débarrasser de la peur »
Grace à Jo je sais maintenant que j’ai un ennemi déclaré. « We will fight her » ! Mais je dispose maintenant d’un numéro de téléphone à Rangoon « en cas de problème ». Jo me dit « it’s my sister » mais je réaliserai plus tard que ce « sister » est à prendre au sens asiatique du terme et non au sens familial.
A Bagan, l’hôtel est très agréable mais à l’heure du petit déjeuner, 150 personnes – l’équivalent de 3 cars – déboulent d’un coup, se jettent sur le buffet à toute vitesse et disparaissent comme elles sont arrivées, pour des destinations bien balisées, laissant l’hôtel soudain désert et quasi fantomatique.
L’hôtel a bien été retenu par Arkatha mais pas aux bonnes dates puisque j’ai décidé d’avancer mon retour en Thaïlande, En débarquant de ma « calèche » je ne suis donc pas sûre de disposer d’une chambre. « Est-il possible de « décaler » mes dates de séjour ? » je demande. « Je vais voir avec le directeur » répond l’hôtesse d’accueil. Puis : « Pas de problème, les 2 nuits sont payées (sur payées), on « décale ». Sauf, qu’entre-temps Arkata a fait son travail d’espionnage et de pression sur la direction et le soir – à mon retour de balade en bicyclette au milieu des temples et sous un soleil « écorchant »- petit toc-toc discret à ma porte.
Je suis en train de lire « Freedom from fear » de Aung San Suu Kyi « Se débarrasser de la peur, peur de la prison, peur de la torture, peur de la mort, peur de perdre ses amis, sa famille, ses biens ou ses moyens de subsistance, peur de la pauvreté, de l’isolement »… Pas facile pour un peuple conditionné depuis si longtemps par une main de fer…
Au fil de l’Irrawaddy en bateau
Ce petit cognement à ma porte me fait sursauter. Une employée, gênée et timide me dit : « Je suis désolée mais votre chambre n’est pas retenue pour cette nuit, à partir de demain seulement, alors… alors,,,, vous devez payer cette nuit en plus. »
Arkata me poursuit de sa vindicte. Ce qu’il ne peut savoir c’est que : 1) plaie d’argent n’est pas mortelle – 2) En dépit de son acharnement je fais quand même un voyage fantastique avec un plaisir « immenssisime » : de faire de la photo – 3) Il rend mon voyage presque « excitant », moi qui ai horreur de la banalité et de la monotonie, je suis servie. Je ne reviendrai pas qu’éblouie par les pagodes dorées et les sourires birmans (ce qui est propre à tous les touristes qui voyagent comme des moutons), il me fait faire une plongée dans la réalité du pays. Et c’est bien ce qui m’intéresse en dépit des difficultés rencontrées.
Bon, payer une deuxième fois cet hôtel déjà surpayé : pas question. Je m’enflamme… Pauvre petite chose effrayée, prise entre le marteau et l’enclume, entre la colère de l’étrangère et l’ordre de son patron qui l’envoie lâchement faire le sale travail à sa place.
« So, your boss is a liar! He told me on arrival, that everything was OK and now he changed his mind! I have no more money. I won’t pay one more kyat, and if he’s not happy, I’ll just quit this hotel on the spot”. “Pas question de payer et si ce n’est pas d’accord, je me « barre » sur le champ !”
Je n’entendrai plus parler de rien. La Wifi fonctionne bien, mes relations avec Jo reprennent au rythme de 2 ou 3 mails par jour. Peut-être a-t-il plus peur que moi. Je ne sais pas. Ma priorité depuis Bagan est de m’assurer que la voiture commandée à Mandalay sera au rendez-vous pour m’amener jusqu’au village d’Agga.
Trois coups de fil viennent encore me « pourrir » le séjour. Toujours se méfier – dans les pays totalitaires – des petits coups frappés à votre porte et des appels téléphoniques lorsque vous ne connaissez personne. C’est l’agence de Mandalay :
Ier appel : « Le chauffeur ne peut vous mener au village. Il ne connaît pas la route » Par chance, par instinct, par prémonition, j’ai demandé à Agga de m’indiquer le chemin en écriture birmane. Excuse récusée.
2e appel : « Le chauffeur ne peut pas se rendre au village indiqué, la route est trop mauvaise » Moi : « Pas plus mauvaise que toutes les autres routes birmanes. »
3e appel : « Comme il faut faire un détour (de 8 miles) vous allez devoir payer un supplément ». Je crie « L’itinéraire a été discuté et approuvé à l’agence de Mandalay et je ne paierai rien de plus à l’exorbitant et anormal prix demandé. (Là aussi Arkata est intervenu pour doubler le tarif accepté : pas le choix) Je suis au bord de l’explosion. J’en parle avec Agga par Facebook interposé. Il me dit – triste – « Si ça devient trop compliqué pour toi, laisse tomber »
Laisser tomber ? Là où j’en suis ? La déconvenue de mon jeune ami à New York est le coup de pied au fond de la piscine qui me fait redémarrer. L’esprit du peocock est revenu. m’a-t-il jamais quittee..
Chapitre 10 – Espoir sous surveillance
En racontant mon histoire birmane (précisant bien qu’il ne s’agit là que de ma « propre » histoire), je ne mets personne en garde contre ce pays. Au contraire. Les touristes sont bienvenus et ils ne seront ni « suivis » ni « espionnés » ni « poursuivis » par une quelconque MI (Military Intelligence), même s’ils chantent « Democracy » ou « Aung San Suu Kyi » dans les rues de Mandalay ou de Rangoon. Je raconte ma propre aventure telle que je l’ai vécue avec l’aide indulgente et admirative de mon œil photographique et avec la précision et l’esprit critique de ma raison.
Voyagez en toute liberté en Birmanie, que vous soyez seuls ou en groupes organisés. Sauf, si vous avez été volontaire et avez enseigné l’anglais à des refugiés Karen et Karenni, ennemis ou ex-ennemis du gouvernement birman, et considérés comme rebelles. Sauf si vous vous êtes glissé illégalement dans un camp d’entraînement militaire Karen afin d’y interviewer le colonel Nerda Mya, fils du général Bo Mya, leader décédé du KNU (Karen National Union) et qui s’est battu contre la junte pendant plus de 50 ans. Sauf si vous avez, dans les années précédentes, fait des photos interdites (enfants et femmes travaillant comme esclaves sur les routes) et si vous récidivez aujourd’hui. Sauf si, par hasard ou malchance, vous vous trouvez coincé avec une agence qui n’est pas sur le net. Sauf si vous avez « insulté » (entendez par la « dit simplement ses 4 vérités au directeur de l’agence en question et donc égratigné son ego au point qu’il veuille se venger sur vous à tout prix), et se trouve être un membre éminent de la police et ennemi du parti de Aung San Suu Kyi. Si vous additionnez tout ça vous avez effectivement quelques chances d’être « repéré ».
mon conducteur de caleche et guide
Sinon…profitez de ce pays mais soyez attentifs et pas simples admirateurs subjugués par la beauté encore vierge de certains paysages et le sourire accueillant des birmans ou autres ethnies. (moi j’ai souvent trouvé des regards intenses qui interrogent, mais chacun son oeil) Comme le disent les anglais, « don’t take everything for granted ». Ce que vous voyez ne correspond pas forcément à votre traduction occidentale. Tous les travailleurs, hommes, femmes, enfants, qui cassent des cailloux sur les routes pour 1000 kyats par jour ne sont pas heureux parce qu’ils sourient.
Comme me le faisait remarquer une touriste à Mandalay : « Il ne se passe rien ici, les gens ont l’air heureux ». Allez dire ça a ceux qui ont fui le régime et vivent comme Hsen Fah (Kwang) de l’ethnie Shan et s’occupe de 200 enfants à.la frontière, ou aux karens qui vivent dans les camps de réfugiés. Hsen que je rencontre hier et qui me dit que j’ai pris le risque de me faire confisquer mes photos en « shootant » enfants, femmes et hommes travaillant sur les routes. Simplement se souvenir que ce peuple vit un espoir fou MAIS SOUS SURVEILLANCE.
Enfin, à chacun sa façon de voyager, j’ai choisi la mienne ou je l’ai subie, et si je la raconte, elle n’engage que moi :
Je reprends donc le fil de mon histoire. Les gens simples auront été merveilleux avec moi et mon conducteur de calèche que je garde, en fait partie. Il soulève un pan de la vie birmane avec sa nouvelle violence. « Nous sommes bouddhistes comment cela est-il possible ? » me dit-il tristement « Tu as une réponse ? Moi je n’en ai pas, mais je continue de m’en poser. Pourquoi cette femme allemande a-t-elle été agressée sur le chemin désert qui mène à l’hotel ? On lui a volé son sac, mais pourquoi l’avoir frappée ? Elle a dû aller à l’hôpital car le verre de ses lunettes s’est fiché dans son œil ».
Je quitte Bagan au petit matin. Enfin je m’achemine vers le vrai but de ce voyage. Six heures du matin. La voiture louée une fortune se révèle une « carette » sans air conditionné et dans un état de délabrement et de saleté qui, je le décide, ne me rebuteront pas.
Le chauffeur s’arrête un peu plus loin à la sortie de la ville et fait monter un autre type. Il s’arrête pour faire le plein. Je m’apprête à faire une photo. Il m’en empêche. Dommage : de l’essence dans des bouteilles plastique versée avec un petit entonnoir dans le réservoir de la voiture ! Au pays de Total, dont le gouvernement est en « joint-venture » avec la France ! Intéressant et paradoxal.
Je suis tellement anxieuse que quelque chose d’imprévu ne se passe que je demande dix fois si on est bien sur la route du village d’Agga.
Enfin, la voiture s’arrête devant une maison. Une femme est debout sur la route comme si elle attendait quelqu’un. C’est elle ! La mère d’Agga. Impossible qu’elle m’attende, Agga me dira plus tard que le dernier message qu’il a pu lui passer, c’était en octobre dernier. Il lui annonçait alors la visite d’une française pour le mois de décembre. J’ai juste décalé mon voyage. Derrière elle, une fille qui a le sourire craché d’Agga : sa petite sœur. Elle articule timidement un des rares mots anglais qu’elle connait : « French » ?
Chapitre 11 – « Un voleur, une ramure d’arbre, une femme, un dirigeant… »
Les deux hommes qui m’ont conduit jusqu’ici peuvent bien essayer de regarder au travers de la palissade qui protège la maison d’Agga, ils ne verront rien de ce que je suis venue faire ici. D’abord, ils tentent de rentrer dans la maison. Je repousse ces « chiens de garde » à leur niche, enfin la voiture, et leur demande de m’attendre jusqu’à ce que je leur fasse signe.
Je sors les albums des photos prises à New York avec Agga, mon guide rieur, lui qu’on saluait d’un « namaste » indien dans Manhattan, ou d’un « Vive le Dalaï Lama » à la statue de la Liberte ou d’un « Ou as-tu acheté ce déguisement ? » dans un magasin de Madison Avenue.
J’ai aussi glissé une enveloppe avec de l’argent dans l’un des albums, participation qui n’est pas à la hauteur de ce que j’aurais souhaité offrir mais l’obligation de tout payer en liquide et en dollars me rend prudente pour faire face à une « suite » que je ne maitrise plus.
D’abord la mère d’Agga ne regarde pas les photos, elle pose gravement sa main sur les albums, comme pour communiquer télépathiquement avec son fils. Elle n’imagine pas que ces clichés ont voyagé de New-York à Paris, puis de Paris à Chiang Mai où je les ai fait développer, pour arriver, enfin et après 7 mois, dans ce village.de Birmanie centrale.
La veille, j’ai demandé à Agga, par Facebook : « Un dernier message à transmettre à ta mère ? » Je ne sais pas à quoi m’attendre… Un « je t’aime maman » comme dans les films à l’eau de rose ou dans les chansons mièvres et larmoyantes ? Ce serait oublier le contexte de la Birmanie, ce pays fort, ce peuple endurant. Un pays qui subit l’autoritarisme de despotes depuis la nuit des temps, bien avant l’arrivée des colons britanniques.
Huit siècles sous le pouvoir de monarques absolus qui avaient droit de vie et de mort sur tous leurs sujets. C’est ainsi que les birmans se sont trouvés « conditionnés » à l’autoritarisme. « Nous sommes habitués à écouter les plus âgés. Nous sommes formatés pour obéir. En d’autres termes, nous, birmans, nous avons une réceptivité psychologique soumise à l’autoritarisme » dit une historienne birmane.
Dans un essai publié dans les années soixante, Maung Maung Gyi, docteur formé à l’université de Yale, décrit la nature des rois despotes birmans, traditionnellement appelés « propriétaire de la vie » ou « maître de la vie, de la tête et des cheveux de ses sujets » ou encore « arbitre de l’existence » Tous les rois birmans ont été des sanguinaires (Anayiatha, Alaungpaya…et d’autres, jusqu’à Thibauw dernier roi du pays, déporté en Inde par les anglais). Et Maung Maung Gyi, dans son essai, rappelle ce proverbe birman : « il y a 4 choses dans la vie auxquelles on ne peut faire confiance : un voleur, la ramure d’un arbre, une femme et un dirigeant »
Avec le temps, les birmans se seraient donc adaptés à cette notion qu’on ne peut lutter contre un gouvernement (roi, colonisateur, junte). Ils ont pourtant prouvé en 1988, puis en 2007, qu’ils commençaient à se prendre en main et à s’élever contre plus fort qu’eux…
Il y a dix ans……
aujourd’hui…
Donc nous ne sommes pas au pays des bisounours, et je ne suis pas tout à fait surprise lorsque Agga me dit : « Dis à ma mère de voter Aung San Suu Kyi ». Il insiste avec un deuxième message. « Dis-lui de dire autour d’elle de voter Aung San Suu Kyi ».
Après un moment, la mère ouvre enfin l’album photos tandis que des moines entrent un à un dans la maison, traversent la pièce principale pour rejoindre la cuisine où l’une des filles prépare leur nourriture. L’offrande journalière aux moines.
Un peu à la fois, la table devant laquelle je suis assise, s’emplit de fruits de toutes sortes : bananes, raisins, gaufrettes, ships. Avec des sourires, des regards et quelques mots repères en anglais, je communique l’essentiel : Agga va bien, il étudie. La mère sourit enfin à la photo de son fils. Mieux, elle semble répondre à son sourire..
Elle me montre plus tard son épaule gauche. Operation ? Le bras gauche ne fonctionne plus. Agga me dira plus tard, lorsqu’il aura vu les photos : « Elle va beaucoup mieux maintenant, elle peut marcher. En 2007, elle était presque paralysée ».
Mes deux cerbères s’impatientent. Je vois leurs regards inquisiteurs à travers la clôture de rotin. J’aimerais rester plus longtemps. Là où Agga a grandi fait ses premiers pas, décidé de se faire moine. Mais la route est longue et mauvaise jusqu’au Taunggyi. La mère et les deux sœurs me remplissent des sachets de fruits et de biscuits « pour la route » et me disent avec le langage du cœur et des mains. « Reviens mais la prochaine fois, reste ».
Je pars, effondrée de les quitter si vite, sans savoir que j’ai devant moi, deux journées sans aucun contact mail avec Jo. Sans internet. Sans lien avec l’extérieur.
Chapitre 12 : Un pays entre deux rives… et moi, au milieu du lac…
Mission accomplie.
Avec une bonne dose d’émotion, nous nous remettons en route vers Taunggyi. Plusieurs fois je demande au chauffeur d’arrêter la voiture afin de prendre des photos des travailleurs de la route. Pas par voyeurisme, c’est mon sens des réalités qui prend le pas sur ma capacité d’éblouissement. Les deux font plutôt bon ménage et sont indissociables. Mes arrêts provoquent rires – gênés souvent – mais plus libres ensuite lorsque je m’attarde. Je demande toujours l’autorisation de photographier, et c’est un moment d’arrêt du travail inopiné. Ensuite je « partage » les images qui procurent de vrais fous rires et des étonnements d’enfants. Presque toujours on me demande de donner la photo. Mais comment le pourrais-je ?
il y a 10 ans…
aujourd’hui…
Je sais le prix de chaque mètre de route goudronnée, de chaque pierre cassée et étalée avec les mains. C’est partout la même chaleur accablante, le même soleil voilé implacable, la même lumière blanchâtre comme une chape de plomb, avec des femmes et des adolescents, parfois des enfants, travaillant sans autre protection qu’un chapeau de paille etde la poudre de thanaka sur le visage.
A l’echelle internationale, les Etats-Unis aimeraient assurer à nouveau leur pouvoir en Asie du Sud-est et la Chine se consacre à des projets militaires tandis que les deux puissances font tout ce qu’elles peuvent pour gagner les faveurs de la Birmanie stratégiquement située dans cette partie du monde. Le Congrès américain se fait tirer les oreilles pour lever les sanctions qui pèsent sur le pays qui doit d’abord régler le conflit avec ses minorités ethniques du nord et relâcher tous ses prisonniers politiques. La Chine cherche, elle, à préserver ses relations avec ce pays ami afin qu’il lui laisse libre accès à ses matières premières. Mais elle est maintenant confrontée à un nouveau gouvernement qui vient de montrer des signes de désir d’indépendance vis-à-vis d’elle. Alors: » pas assez de changements pour l’Amérique… trop de changements pour la Chine…? » La Birmanie est prise entre deux mondes. Le pays est entre deux rives.
De façon plus terre à terre, je continue d’être confrontée aux problèmes occasionnés par Arkatha. Arrivée à Nyaung Schwe à la nuit tombante, après une journée de voiture, j’y ai en principe un hotel retenu et payé…Mais… on me dit que l’hôtel est complet cette nuit et tous les jours à venir. Je demande à la réception de prendre contact avec l’agence de Rangoon, et une fois de plus c’est un numéro de téléphone « sous le comptoir » qui est activé. La conversation s’éternise. Finalement la fille me dit : « Allez à cet hotel… C’est la même direction ». Je remets mes bagages dans la voiture et demande au chauffeur de m’y emmener. Il ricane…. « L’hotel est à 45 minutes en bateau à moteur d’ici. C’est au milieu du lac » Il fait Presque nuit… « Il n’y a peut-être plus de bateau pour vous emmener, car il va lui falloir revenir et il est tard ».
Mais qui refuserait 15 dollars quand le salaire mensuel est d’environ 30 ou 50 dollars… ?
Chapitre 13 : La dame de Rangoon
L’acharnement à détruire, à salir, à poursuivre quelqu’un, traduit une réelle méchanceté ou une vraie stupidité, ou alors il s’agit d’un dérèglement qui relève de la psychiatrie. Arkatha cherche à me faire peur. Quand on a eu le pouvoir trop longtemps, on pense que tout vous est permis. « Fais gaffe à tes bagages » me dit-on en France et en Thailande, « qu’on n’y glisse pas de la drogue »
J’ai finalement réussi a contacté Jo par téléphone. « Quand vous aurez quitté l’hotel du lac, quelqu’un à Rangoon s’occupera de votre avion de retour Inle-Rangoon, une voiture viendra vous chercher à l’aéroport. J’essaie de vous trouver une place sur Thaï Airways, mais tout est plein, même les business. Vous êtes en liste d’attente. Arkatha insiste pour savoir où vous êtes et ce que vous faites (Arkartha seriously wants to know about you but i didn’t let him know about you. I made secret booking for you, flight and hotels.).
Mon hotel du lac (en fait un bungalow sur pilotis don’t j’ai oublié le nom) est peut-être loin de tout mais il a un réel avantage sur tous les autres bateaux de touristes. Il a 45 minutes d’avance sur eux, la majorité d’entre eux se contentant de visiter le temple et ses chats sauteurs et un atelier de tissage dont la spécialité est la soie de lotus.
Une journée sur les eaux tranquilles du lac Inle. Seule, avec en fond, le décor des montagnes bleues de Menetaung, dans un univers où tout semble flotter : maisons sur pilotis et jardins, et les pécheurs aussi. Pêcheurs Intha qui glissent sur l’eau, regard tendu, lointain et sombre tandis qu’ils font avancer leur bateau de ce drôle de déhanchement pas très gracieux mais si particulier et unique, une jambe enroulée autour de leur rame. Ils fixent l’horizon et avancent comme des mécaniques silencieuses, seuls ou par deux.
On parcourt d’étroits canaux en repoussant mollement les jacinthes d’eau. Inle est le second lac de Birmanie par sa surface après celui d’Indawgyi dans l’état Kachin.
Les fermiers collectent la boue du lac qu’ils mélangent aux racines de jacinthes pour en faire du compost pour les jardins. Des temples, des marches Pa’o (un sous groupe Karen)…. Tout est hors du temps.
En fin de journée, alors que je traîne devant la réception pour savoir si internet fonctionne, un coup de fil suspend la conversation. Elles sont deux filles face à moi… On sent immédiatement quelque chose de bizarre. Des regards croisés, des toux genees. Je comprends qu’on voudrait me voir partir. Donc je reste. La fille essaie de retarder la conversation mais je m’incruste avec un petit sourire innocent. Je ne comprends ni la langue ni les gesticulations qui en tiennent lieu mais j’essaie de decrypter ce qui se trame.. La conversation reprend. J’entends le mot Arkatha. Une des filles appelle alors son patron qui prend de mauvaise grâce le combiné. Il parle quelques secondes, visiblement de mauvaise humeur et finit par jeter littéralement le téléphone dans les mains de la réceptionniste. La conversation reprend. On évite mon regard. Et puis on finit par me dire : « C’est pour vous ». Si je n’avais pas été là je n’aurais probablement pas eu la communication.
C’est la dame de Rangoon. Elle me confirme qu’à partir de cet instant c’est elle qui prend en charge mon avion pour Rangoon, mon hôtel à Rangoon et le taxi qui viendra me chercher à l’aéroport. Je ne dois RIEN PAYER. Le détail me sera envoyé par un prochain mail. Elle me conseille de quitter l’hôtel sans rien dire à personne de mes intentions. »
Je quitte mon bungalow sur pilotis et rejoins la terre ferme à Nyangshwe et choisit une guest- house tranquille pour backpackers.
Et je me dis que cette « dame de Rangoon » c’est vraiment mon ange gardien.
Chapitre 14 : « Promesse tenue »
La « dame de Rangoon », celle dont j’ai juste entendu la voix au téléphone, tient parole : je reçois mon billet électronique pour Rangoon via Mandalay par email. J’arrive à l’aéroport bien avant l’heure d’enregistrement et y rencontre un couple de canadiens américains dont c’est le 14e voyage en Birmanie. Ils s’occupent de la construction d’écoles et ont l’habitude de voyager avec les petits avions à hélices qui font des sauts de puce entre les villes du pays.
L’avion est annoncé à 16 h. mais il est retarde en raison du mauvais temps au-dessus de Tachileck (de l’autre côté de Maee Sai) « C’est toujours comme ça me dit le canadien, ce sera peut-être 4 heures du matin ou 4 heures demain après-midi. C’est en raison de ces aléas fréquents que je n’ai pas pris le petit avion qui fait Chiangmai – Mandalay deux fois par semaine.
Vingt minutes depuis He-Ho jusqu’à Mandalay et puis une heure pour Rangoon ou une voiture m’attend. L’hotel est également retenu et payé.
La pression s’envole. Il faudra bien que je conjure le sort et revienne une troisième fois en Birmanie sans avoir à quitter le pays en m’inscrivant sur une liste d’attente. Et si je suis les pas d’Agga, ce sera lorsque le pays sera une vraie démocratie et par la route, soit Maee Sot-Miawaddy, soit Maee Sai-Tachileck. Pas demain la veille étant donné les millions de mines plantées tout le long de la frontière avec la Thaïlande. Mines qui rendent le retour des centaines de milliers de réfugiés vivant dans des camps en Thailande très problématique. Pourtant la Thailande s’impatience de se « débarrasser » de ces « intrus » dont certains vivent ici depuis plus de 20 ans, d’autres y sont nés et ne connaissent rien de leur pays d’origine, et beaucoup se sont vus spolies de leur terre et de leur maison. Enfin un retour dans des régions sans structure d’aucune sorte : ni médicale, ou scolaire, ou routière etc…
Réapprendre à vivre dans son propre pays.
Je prends le ferry, me promène dans les villages du delta. Invitée à entrer chez les plus pauvres dont les enfants me sortent avec fierté leur cahier d’école et épellent quelques mots d’anglais. Au retour, je vais un arrêt tea-time au « Strand », prestigieux hôtel de l’époque coloniale, celle où les anglaises mettaient des robes de cocktails à fleurs, où les hommes sirotaient des gins tièdes dans leur club très privé en espérant ne jamais devoir y accueillir « un de ces macaques qui sent l’ail » (« Burmese days » de Geroge Orwell), où il était mal vu d’avoir une « petite femme locale » mais bien considéré de donner de temps en temps un coup de trique à ses servantes.
L’empire britannique est mort, le français aussi… L’occident se croyait d’une race supérieure. En 2020, la Chine sera la première puissance du monde, en 2050, ce sera au tour de l’Inde. Eux aussi se croiront (ou déjà ?) supérieurs. Rien ne s’éradique, le monde ne devient pas meilleur, tout change de camp c’est tout.
L’argent, la loi, le pouvoir… Et au milieu de tout cela, des hommes politiques qui veulent nous faire croire qu’ils peuvent changer le monde. Mais le monde est façonné, – toujours – par les plus forts. Et les hommes ne changent jamais.
Descendre, monter, dégringoler, grimper, vivre, mourir… et pour supporter tout cela, croire ou tenter de croire à Bouddha, à Jésus ou à Mahomet pour avaler cette drôle de pilule qu’est le voyage de la vie.
mariage a rangoon (La fille d’un general ?)
Regard sur la Birmanie : “Un homme qui essaie de se tenir debout”
Des monastères, des moinillons malicieux, des tea-shop d’un autre siècle … Sous la canicule. Les pieds grillés sur les carrelages des temples chauffés à blanc par le soleil impitoyable. Je suis rôtie tel un steak assaisonné à la poussière de la route. Marchés. Visages. Rires. Beauté des regards. Port majestueux des femmes alourdies de charges en équilibre sur leur tête. Regards en coulisse des hommes, la plaisanterie aux bords des lèvres. Éclats de vie. Curiosité pour la « blonde » que je suis.
Mon appareil photo impressionne parfois, intrigue souvent et s’il arrive que des visages se dérobent, la majorité des moines, des commerçants et des passants, est loin d’être hostile, elle cherche même à être immortalisée par mon objectif. Des enfants aux prunelles intenses me suivent, des moines m’invitent à partager leur repas. Je décline, mais accepte une crème glacée qui, après les heures d’exposition au soleil, aux rues cabossées, à la poussière mêlée aux gaz d’échappement des camions délabrés, restera la plus délicieuse des crèmes glacées de toute mon existence.
« Beaucoup de gens sont morts à cause de la chaleur qui a dépassé des records ces derniers temps » me dit Zaw Myo Win. « A Myawaddy, nous avons la chance d’avoir l’électricité quasiment vingt quatre heures sur vingt quatre, grâce à la Thaïlande, mais un peu plus loin et même à Rangoon, il y a continuellement des coupures. Electricité ne veut pas pour autant dire air conditionné. Ce sera pour une autre décennie, ou un autre siècle, va savoir avec cette junte !« Garder les gens dans l’ignorance, c’est le souhait des militaires, le seul moyen de garder les gens sous leur coupe. Ne pas penser, pour ne pas se revolter ».
La curiosité et la soif d’apprendre sont quasi une obsession en Birmanie où tout est bâillonné. « Un peuple ignorant est plus facile à manipuler » me dit Zaw Myo Win « c’est ce que veut l’armée. L’accès au savoir ici est souterrain, c’est un trésor difficile à acquérir ». Vaincre l’oppression et la « connerie à casquette » de la junte grâce à la connaissance. Ouvrir les lucarnes sur le monde extérieur pour oublier le talon qui vous écrase.
Je m’éloigne et quitte un homme qui se bat dignement, avec fierté, et, comme il l’a écrit sur sa carte de visite – good heart, patience, good english, good explanations (3 G). « On se rattache aux petites choses de la vie : manger, dormir, rire, plaisanter, pour ne pas trop penser… et ne pas craquer ».
Et moi d’ajouter : « Pour rester debout ».
Bye bye Zaw Myo Win !
Somerset Maugham avait raison
Certains noms de villes ou de pays ont des pouvoirs évocateurs troublant, grâce aux récits d’écrivains et de voyageurs d’une autre époque. Somerset Maugham, qui était passé par Mandalay en 1920, écrivait : « Mandalay possède une magie qui lui est propre ». Mais il ajoutait, philosophe : « Les sages devraient s’en détourner car ils savent que la magie ne correspondra pas aux rêves et espérances crées par ces seules syllabes : « Man da lay ».
Burma, Birmanie… « Pays merveilleux » décrit par Marco Polo au 13e siècle, « Vallée des rubis » racontée par Joseph Kessel…. Presque tous mes voyages ont été des confrontations « imaginaire versus réalité »… et Somerset Maugham a souvent eu raison. Mais pas toujours.
Le mot « Siam » est paré de la gloire de ses monarques vénérés, de ses artisans dévolus aux plaisirs et aux rituels de la cour, de ses guerriers au torse bronzé se jetant follement, avec leurs éléphants caparaçonnés, à l’assaut de l’ennemi héréditaire : le birman. Paré aussi du pouvoir de ses rois dont les noms étaient gardés secrets comme des trésors et devant lesquels ses sujets rampaient. Le « je » de l’époque se traduisait par : « Moi, un cheveu de votre tête », « Moi, la poussière de votre chemin ». Et le souverain était le « Seigneur de la vie », le « Monarque qui fait tourner la roue ».
Je ne sais pas si vivre à cette époque était plus enviable qu’aujourd’hui, mais il faut avouer que « Siam » a plus de gueule que « Thaïlande », et les thaïs le savent bien qui évoquent leur accueillant pays, (avec quelques restrictions en ce moment bien sur !), non pas comme « Thaïland meuang yim », mais comme « Siam meuang yim » (« Siam, pays du sourire » et non « Thaïlande pays du sourire ») Pour Bangkok, (« baan kok » : « village des olives » à l’époque du roi Naraï.), nommée ainsi par les étrangers, est d’abord « Khrungthep » pour les thaïs, « Cité des anges ». Les anges, c’est mieux que les olives, non ?
Les militaires de la junte birmane, dont on ne peut pas dire qu’ils brillent par leur intelligence (observez-les avec leur panoplie de médailles en chocolat et leur casquette au ras du regard), ont rebaptisé tous les noms de rues et villes du pays. Birmanie est devenue Myanmar, Rangoon, Yangoon etc.. Pour effacer le souvenir de la période coloniale, mais pour des raisons plus obscures et plus profondes : pour réécrire l’histoire. « Un nom s’efface sur une carte, dans une encyclopédie, et plus tard, il s’efface de la mémoire humaine » (Emma Larkin).
Par miracle, Mandalay est une des rares villes dont le nom n’a pas été changé par la junte obsédée par les soulèvements de 1988 et l’arrivée d’Aung San Kuu Kyi, lorsque les étudiants manifestaient, au péril de leur vie, contre leur oppression et trente décennies de pauvreté. En criant tous : « DEE MO KA RA SEE »
Mais si Mandalay n’a pas été rebaptisée, la ville aux temples multiples est devenue quasiment une ville chinoise avec ses tours de verre et ses casinos et …malheureusement Somerset Maugham avait raison.
Visages Karen dans le camp de Mae La, sur la route de Mae Sot
P.S. Lire “Pour la plus grande gloire de Dieu” de Morgan Sportes, (collection Points), roman baroque et époustouflant sur le Siam.
Hallal, Allah, Ahlala !
Ne pas avoir les yeux dans la poche c’est aussi ne pas avoir sa langue dans la poche.
A Rangoon, soucieuse d’explorer différents univers, tea-rooms des trottoirs ou coffee-shop des hôtels, je déjeunais un dimanche au « Traders » le bien nommé : buffet international mêlant cuisine birmane, chinoise, indienne et occidentale. Apres avoir picoré et goûté à la diversité, je tombais en arrêt devant une énorme cloche argentée, du genre de celle qui délivre – lorsqu’on la soulève – de somptueux fumets d’épices qui font voyager plus agréablement que l’avion et lisais sur un petit carton : « Only non hallal dish » (seul plat non hallal)
Dans les rues de Rangoon
Je regardais autour de moi. 80 % de la clientèle de cette « chic » coffee-shop était constituée de « chics » clients birmans en famille et en longyi « chic » de soie, plus quelques chinois et américains.
Le gouvernement birman fait la chasse aux Rohynghias (minorité musulmane de l’ouest du pays), et ne leur reconnaît pas la nationalité birmane. Beaucoup fuit leur pays pour échapper aux exactions de l’ex junte militaire. Mon amie Thoenda, infirmière, musulmane et birmane a, elle aussi, quitté son pays. Elle a trouvé refuge à Paris où elle travaille aujourd’hui.
Depuis les années 60, le gouvernement birman a toujours été obsédé par la pureté de la race birmane et par la soi-disant unité birmane-bouddhiste. D’où leur lutte contre Karen, Shan, Kachin, Rohynghias dont les religions sont : catholique, chrétienne, musulmane et eventuellement bouddhiste.
Meridien,Chiang Mai
Hier, dimanche, après une réunion des copropriétaires de mon immeuble (il fallait décider si l’on devait payer les charges 3 ans à l’avance), j’ai dû sauter mon petit-déj-écriture, je décidais alors d’aller, seule, (demandez à un Thaï d’attendre une heure s’il a faim !) tester le brunch du « Méridien » dans le Night Bazar.
Donc, seule (un couple qui tient est un couple dans lequel on n’impose rien à l’autre) j’étais au très « chic » brunch de cet hotel offrant une belle diversité de cuisine thaie, japonaise, chinoise, occidentale. Diversité des goûts, des saveurs, des couleurs…
MAIS…là-aussi, comme à Rangoon, TOUT était hallal et signalé en écriture arabique… sauf un plat sur lequel apparaissait un petit cochon dodu et rose…plus qu’explicite.
A côté de moi, des italiens : un couple, leur fille et un asiatique que j’imagine leur guide. L’italien jovial et fier de son anglais, m’apostrophe. « Tu as un joli sac » (Un sac Karen, en fait un sac de l’ethnie Pa’o du lac Inle en Birmanie). On discute un peu, et, curieuse, je demande à l’asiatique : « pen khon thaï shai mai kha ? » (vous êtes thaï ?). Il rit. « Non. Karen »
Ethnie Pa’o (sous groupe Karen en Birmanie)
Exclamation chaleureuse de ma part. Il est beau et Karen (il faut excuser mon parti pris, il est définitif et non discutable) « Kariang arai ? » je demande (de quelle ethnie ?) « Kariang Sgaw » me répond-t-il « de Maee Jaem »
Ce beau et jeune karen est marié à la jeune italienne, fille du couple. Diversité !
Ethnie Pa’o, sous-groupe Karen en Birmanie
« Est-ce qu’elle mange karen tous les jours ? » « Non » « Est-ce qu’il mange occidental tous les jours ? » « Non »… Diversité et non culture prenant le pas sur l’autre.
On se quitte en évoquant le sujet des plats hallal (car même les légumes et les pommes de terre sautées étaient aussi hallal) et je rappelle le fameux diction (à des italiens, ça s’imposait) : « While in Rome, do as romains do » (A Rome fais comme les romains).
Je n’imposerai jamais une nourriture occidentale à mon chéri, pas plus que l’inverse, en revanche, nous prenons un plaisir immense, l’un comme l’autre, à voyager dans la culture gustative de l’autre.
Nous nous quittons avec force « arriverdercci » italiens et « ta’bleu » karen(c’est tout ce que je sais dire : ta’bleu : merci) avec, au fond de moi, une petite pensée légèrement perverse : telle que je connais l’âme thaïlandaise, il y a peu de chance pour que tous les plats aient été réellement hallal ».
sp; Ethnie “Intha” sur le lac Inle en Birmanie
PS Je n’ai pas écrit ma note, parce que je voulais vérifier mes intuitions….. Eh ! Toujours vérifier ses intuitions… elles sont rarement fausses en Thailande – malheureusement ou heureusement pour les « pros » ou « cons » (« pro » et « contra » en latin : pour ou contre) !! Les thaïlandais aiment tellement faire plaisir !
Myanmar au bord du fleuve Moeï : « Pas de choc des photos »
Ce que j’ai entr’aperçu du Myanmar au cours de ces quelques heures et sur cette minuscule portion de territoire au bord du fleuve Moeï, m’a donné l’image d’un pays heureux. Tellement loin de tout, avec pour seules préoccupations : manger, se baigner, élever des enfants. La présence de l’eau confirme cette impression de vie hors du temps. Mais de l’eau pour combien de temps avec tous les projets chinois de barrages dans l’état Shan ? Et de l’eau propre pour combien de temps avec les projets d’usines chinoises en amont ?
Tahan Phran (soldats chasseurs, ou « hommes en noir »), cote thai
Cote birman
Je vais simplement laisser ces images passer. Elles sont le reflet de quelque chose de réel, elles ne disent pas tout, loin de là. Je n’ai pas voulu photographier un nombre impressionnant – par rapport à la population de ce village, d’enfants et de bébés mal formés…aucun hôpital, aucun médecin. En cas de problème grave, l’hôpital de Mae Sot ouvre ses portes gratuitement à ceux qui traversent la rivière. Et un enseignant thaï va de temps en temps donner quelques cours d’anglais.
Les enfants viennent vers moi avec une plus grande liberté qu’en Thaïlande. Cette petite fille, qui me voyait pour la seconde fois, s’est jetée dans mes bras et ne voulait plus me lâcher. Elle n’a que sa grand-mère pour toute famille et m’embrassait avec une avidité si touchante que je n’ai pu retenir mes larmes. Surtout lorsque la grand-mère m’a fait signe « prends-la avec toi ».
Some more pictures to morrow, to day, I’m on the road again!
Rires au nom de la liberté, haines au nom de l’amour !
Les fameux « mustached brothers », les frères birmans moustachus, rois du rire en Birmanie, humoristes célèbres dans tout le pays, sans autre arme que leur esprit décapant, continuent d’exercer leur persiflage et moqueries contre l’armée et le pouvoir en place. Le nouveau gouvernement ? « Un vieux vin dans une bouteille neuve » !
Officiellement, ils sont toujours interdits et sur liste rouge, mais parmi leurs admirateurs ils ont Aung San Su Kyi et aujourd’hui ils continuent de « faire leur show » en anglais. Tourisme oblige. Le rire ne serait donc plus aussi dangereux au Myanmar ?
Extrait de leur spectacle en « broken english » : « Nous sommes sur la liste noire vous savez, des oiseaux en cage, et vous, spectateurs, vous êtes aussi ici illégalement, mais ne vous en faites pas, le gouvernement adore les touristes… enfin leurs dollars » !
Ces moustachus-là ont gouté aux geôles birmanes, pour avoir fait un show très politique dans la maison de Aung San Suu Kyi en 1996. Sept ans de prison puis camp de travail, « Ça ne les a pas découragés, ils sont même encore pus culotés » lit-on dans The Nation. Ils ont beau être « interdits » en principe, ils continuent de donner leur spectacle dans un garage, pour les touristes. Inutile de dire que je vais tenter d’aller les voir lors de mon passage à Mandalay.
« Et à propos des élections du 1er avril, jour des élections ? » demande le journaliste : « Oh Aung San sera élue, mais c’est aussi le jour du poisson d’avril. Alors on souhaite que ça ne soit pas une grosse blague »
Pendant ce temps en Thaïlande, deux jumeaux accusés d’avoir frappé Nitirat le chef de fil d’un groupe d’intellectuels qui souhaitent amender la loi sur le crime de lèse-majesté, sont « libérés » sans caution, pour avoir avoué leur faute (je parie qu’ils en sont plutôt fiers, d’où leur aveux spontanés). Et du coup sur le net on peut lire : « Ils auraient dû le tuer d’une balle dans la bouche », « Je hais la violence habituellement, mais là, j’adore », « Merci, merci kha, pour avoir attaqué ce prof ».
La vraie Thaïlande est aussi dans cette haine à la mesure de son amour – non, de son adulation, de sa dévotion inconditionnelle pour une personne ou un système…Lorsqu’on a envie de tuer au nom de l’amour il est temps de se choisir une autre famille. « Des réflexions qui reflètent l’état d’esprit de beaucoup de thaïs et surtout le signal que quelque chose est en train de bouillir, de se tramer au royaume du sourire. Le professeur est maintenant placé sous la protection de la police, mais sans garantie pour sa sécurité, car « dans notre société » écrit Kutida dans le Bangkok Post, « beaucoup de thaïs approuvent la violence contre ceux qui ne pensent pas comme eux »…
J’ai écrit un roman « théâtre d’ombres »qui a pour décor la Malaisie et la Thaïlande …
- Bangkok, plus qu’une ville, un symbole à préserver - Oct 27, 2021
- Désert berbère au Maroc : un appel irrésistible - Jan 14, 2020
- Etre femme nomade au Maroc berbère : hymne à la liberté, « mes »nomades - Oct 26, 2019
Belle initiative, bravo ! il fallait y penser…