Nina Companeez a réalisé « A la recherche du temps perdu », un téléfilm français en deux parties inspiré d’après l’oeuvre de Marcel Proust, qui plonge le spectateur dans la jeunesse de l’un des plus grands écrivains de la littérature française du XXème siècle : Marcel Proust. Une gageure que de raconter un homme et ses angoisses, ses rêves, son imaginaire dans le prisme de son œuvre monumentale.
Une adaptation et une réalisation soignées de Nina Companeez
Mardi et mercredi 1 et 2 Février 2011, j’ai regardé sur France 2 le téléfilm en deux parties de Nina Companeez : « A la recherche du temps perdu », d’après l’oeuvre de Marcel Proust.
Formidable réussite selon les uns, ratage phénoménal selon les autres, les avis sont assez tranchés. Et avant même sa diffusion, les lecteurs de Proust étaient très divisés sur la possibilité, voire la légitimité d’une adaptation. N’ayant jamais lu à ce jour A la Recherche du temps perdu, je ne me prononcerai pas sur la question de savoir si le téléfilm de Nina Companeez est fidèle ou non à l’esprit de cette oeuvre romanesque. Quant à la lettre, il me paraît assez malaisé de retranscrire en quatre heures un monument littéraire de quelque 2400 pages. Il semblerait que cette gageure ait pour origine la volonté du président Sarkozy, grand manitou des chaînes publiques, de faire de france 2 l’équivalent hexagonal de la BBC en y proposant des téléfilms adaptés de chefs-d’oeuvres de la littérature (voir cet article sur le site de Courrier International).
Et que raconte ce téléfilm A la Recherche du temps perdu ? C’est l’histoire d’un jeune homme introverti et maladif, hypersensible et quelque peu efféminé, couvé par sa mère et par sa grand-mère. Parce que sa fortune lui permet de vivre confortablement dans l’oisiveté, il n’a rien d’autre à faire que de se distraire (mondanités, théâtre, lectures, voyages) et de cultiver son penchant pour l’introspection. Les détracteurs de Proust en tirent argument pour gloser sur la vacuité de son oeuvre. Rappelons-leur que la majorité des écrivains du passé étaient des oisifs, aristocrates ou grands bourgeois, et qu’ils écrivaient généralement sur leur milieu qu’ils connaissaient bien. Le même reproche a été fait à Nathalie Sarraute, parce que ses romans parlaient de la bourgeoisie, à une époque où le terme de bourgeois était un gros mot (les plus anti-bourgeois étant, comme de juste, des bourgeois qui ne s’assumaient pas). Bref.
Ce narrateur désoeuvré ambitionne de devenir écrivain, mais préfère se consacrer à la vie mondaine. Pour l’heure, il se remet difficilement d’un grand chagrin d’amour, causé par Gilberte Swann, une amie d’enfance. Pour le consoler et le fortifier, sa grand-mère l’emmène passer l’été à Balbec, une station balnéaire à la mode. Il y fait des connaissances, entre autres le baron de Charlus, la charmante Albertine et ses amies, le peintre Elstir, les Verdurin. Il tombe amoureux des « jeunes filles en fleur », tout un petit groupe de
demoiselles délurées, dont la liberté et la gaieté scandalisent la bonne société de Balbec. Parmi elles, il finit par s’éprendre d’Albertine, qu’il rêve de posséder, et qui se dérobe à lui. Il la fréquente assidûment, et, rentré à Paris, l’oublie pour la duchesse de Guermantes, qui se moque bien de lui. Toujours féru de mondanités, il fréquente les salons, y croise de beaux spécimens de snobs et de médisants, se fait le témoin des moeurs « contre-nature » de son ami Charlus. Il joue les voyeurs avec délectation, tout en s’indignant vertueusement au sujet de penchants qu’il partage sans se l’avouer. Quelque temps plus tard, de retour à Balbec, il tente d’y retrouver ses premières impressions, revoit Albertine, joue avec elle au chat et à la souris, lui affirme qu’il ne l’aime pas, mais la veut pour lui seul. Comme il la soupçonne d’homosexualité, il la convainc de venir passer quelques semaines chez lui à Paris en sa compagnie, car il souhaite, non seulement la posséder, mais la contrôler.
La cohabitation entre eux deux devient vite invivable, car elle repose sur la jalousie, la cruauté et le mensonge. Après qu’Albertine se soit enfuie, il apprend sa mort accidentelle. Effondré, il n’en continue pas moins à se tourmenter au sujet de ses moeurs, et charge un loufiat de mener une enquête à Balbec là-dessus, ce qui ne fait que raviver ses tourments… Sa vie sociale mouvementée sert d’aliment à sa vie intérieure, très dense. Le narrateur, qui observe beaucoup, vit beaucoup par procuration, et s’implique finalement peu en société. Il ne parvient pas à garder les femmes qui lui plaisent, et fantasme sur l’homosexualité des autres pour mieux refouler la sienne. Parce que le temps inlassablement s’écoule et lui échappe, il est sans cesse à l’affût de ce qui lui rappelle le passé, ses anciennes sensations, ses amours perdues… Sa vocation d’écrivain, qu’il finit par réaliser, lui permet de cristalliser le souvenir, de parvenir au « temps retrouvé ».
Trop d’impasses de Nina Companeez et un certain ennui..
Que penser de ce téléfilm de Nina Companeez ? Il semble, d’après les lecteurs de Proust, qu’il a fait l’impasse sur de nombreux aspects du roman, et en a malmené la chronologie, mais je vois mal, encore une fois, comment il aurait pu en restituer la trame en si peu de temps… J’ai trouvé déroutant le générique du début, où on voit les acteurs se préparer et se présenter aux téléspectateurs, je ne vois pas bien l’intérêt de cette mise en abyme… Le début du premier épisode m’a prodigieusement ennuyée, et j’ai mis un certain temps à accrocher à l’histoire, tant le narrateur (Micha Lescot) me paraissait plat dans son jeu et verbeux dans la narration off. Par la suite, j’ai tout de même été séduite, tant par le jeu des acteurs (Micha Lescot étant tout de même assez inégal) que par les décors. La Belle Epoque décrite par Nina Companeez est somptueusement reconstituée. En ce qui me concerne, cette adaptation m’a donné envie de lire Proust, dès que j’aurais du temps (perdu ? retrouvé ? on verra bien…), et de voir d’autres films de Nina Companeez.