Il y a des coups de cœur qui sont des coups au cœur et laissent un arrière-gout d’impuissance et de révolte. A Mae Khong Kha, minuscule communauté Karen au bout d’une route qui serpente dans une forêt de teck, d’enchevêtrements de lianes, de bambouseraies, de montées et de descentes sur lesquelles la moindre faute d’inattention peut vous envoyer dans le décor…je demande à mon ami et guide, An, d’être prudent. J’ai parfois peur, je l’avoue. « Pas de problème teacher, personne n’est jamais mort avec moi. J’ai juste envoyé quelques personnes de ma famille à l’hôpital » ! Humour thaï ? C’est comme l’avion de la Bagan Airways faisant Chiang Mai-Rangoon… quelqu’un me disait dernièrement, croyant me rassurer : « Oh il vole » !
Bref, un homme encore jeune assis à la porte de sa maison, attire mon regard. Comme il fait froid et qu’il se protége d’une couverture, nous nous arrêtons et je lui demande s’il est malade, s’il a besoin de médicaments. « Non, non » me dit-il. « Ça va ».
Un peu plus tard, sur le chemin du retour, intriguée par son air triste, je demande à nouveau à An de nous arrêter.
L’histoire de cet homme est bouleversante. Il a deux enfants, un garçon et une fille et pour les élever décemment, il décide d’aller travailler dans une usine de glaçons à Chiang Mai. A l’occasion d’une fête quelconque, son patron lui demande d’installer des décorations en haut d’un arbre. On ne discute pas les souhaits d’un patron. Il s’exécute et tombe. Emmené à l’hôpital, on constate que la colonne vertébrale est touchée. Paralysie des membres inferieures. Plusieurs opérations sont nécessaires pour un résultat dont personne ne connait l’issue. La mère insiste pour nous montrer la cicatrice,
L’homme est immédiatement viré des effectifs de sa fabrique de glaçons. Sans aucune compensation. Il rentre au village où il devient un poids pour sa mère âgée et sa famille. Il devait se rendre à nouveau à l’hôpital fin octobre pour une autre intervention. Les soins sont gratuits, mais il ne peut payer le transport pour lui et un accompagnateur. Il ne peut rien faire seul. Alors il reste là car personne à qui demander une aide financiere. Cela peut paraître dérisoire de ne pas avoir 800 bahts (20 euros), pour faire un aller-retour pour 2 personnes jusqu’à Chiang Mai… mais c’est une réalité pour des milliers de gens de la montagne qui vivent au jour le jour.
Ma curiosité, pour une fois m’aura transformée en marraine de hasard. Je ne sais pas si le chirurgien fera des miracles, mais une chose est certaine, il ira à nouveau tenter sa chance à la ville.
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