Tout le monde connaît le franglais, le créole, et le patois surtout depuis « Bienvenue chez les Cht’is. Le breton, lui, est une vraie langue mais il existe aussi en Bretagne, à côté de cette langue ancestrale un parler pittoresque fait de mots bretons, français et de néologismes empruntant aux deux langues….
Le mieux est encore de vous présenter ce « franbreton » (mot inventé par l’auteur de l’article) sous la forme d’une courte histoire émaillée de mots qui vous paraîtront curieux. Il sera encore plus jubilatoire de vous la faire lire par un breton ayant l’accent. Et je n’ose imaginer ce que donnera la lecture de ce texte par la technologie RealSpeaker, option offerte par Agoravox pour entendre chaque article. Tant pis : alea jacta est ! A propos, les Bretons ignorent parfois les formules latines et pour cause : leur langue et leur parler spécial sont déjà sources de pas mal de mots ou expressions populaires plus parlantes pour eux. Mais ce serait bien s’ils corrigeaient quelques fautes trop fréquentes du genre « j’ai été envoyer mes enfants à l’école » au lieu de « Je suis allé accompagner « ou « j’ai amené ». C’est à cause des difficultés du peuple breton à apprendre la langue de Molière qu’on dit que les Bretons baragouinaient, c’est-à-dire qu’ils ne savaient que dire « bara » (pain) et « gwin » (vin). Mais ils se sont plus que rattrapés depuis et remportent désormais régulièrement des championnats d’orthographe, obtiennent des résultats au baccalauréat supérieurs à la moyenne nationale. Une étude de 2008 a même révélé un Q.I légèrement supérieur à celui des habitants des autres régions françaises, mais cela doit être dû à la consommation de poisson dont les vertus sur le Q.I ont été prouvées ! Mais revenons à nos moutons, enfin à notre franbreton. Petite histoire anonymement racontée grâce à l’usage fréquent du « celui-là » ou de « celle-là », transcription du « hennezh » (celui-là) et du « honnezh » (celle-là) :
1 – Au bistrot :
Celui-là passait tous les soirs au bistrot pour boire un coup, c’était pour prendre du Startijenn. Quand il était justik et qu’il n’avait plus que de la bigaille, il se faisait payer la tournée. « Allez Yec’hed mad ! » et « Memez tra ! » Seulement voilà, un jour qu’il s’était trop arsouillé, il était complètement badaouet et il avait pris quand même sa Karriguel.
On fait une pause pour le suspense et surtout pour décoder :
Startijenn = énergie. Il s’agit d’un mot breton.
Justik = ric-rac. Néologisme breton construit avec le mot français « juste » et le suffixe breton « ik ».
Bigaille = petite monnaie
Yec’hed mad ! » (breton) = « A ta santé ! »
« Memez tra ! » (breton) = « Même chose ! »
Arsouillé = enivré. Le mot vient d’arsouille. C’est le surnom donné aux ouvriers de l’arsenal de Brest réputés traditionnellement pour leur peu d’empressement au travail inversement proportionnel à leur propension à se jeter un petit verre.
Badaouet (breton) = bourré. Conséquence logique de l’action précédente quand elle est répétée.
Karriguel = cariole (ici pour désigner familièrement la voiture)
2 – Le contrôle biniou :
Forcément, celui-là choisissait toujours les petits ribins pour éviter les contrôles d’alcootest. Mais cette fois-là, tellement qu’il était bourré que les gendarmes en le voyant s’exclamèrent « Hopala Chapalain ! Vous êtes bon pour le contrôle biniou ! » Les gendarmes le firent descendre de sa karrigel et quand ils le virent partir a dreuz, ils lui dressèrent un constat et il fut bon pour rentrer à pied. Comme ils le connaissent, ils lui dirent « Rentre chez toi et pour alors tu seras décuité ! »
Commentaires :
Ribin (breton : prononcer « ribine ») = petit chemin
Hopala ou hopala Chapalain ! Marque l’étonnement, l’admiration
Contrôle biniou = alcootest (souffler dans le ballon comme dans un biniou)
Partir à dreuz = de travers, de guingois
« Pour alors » = « à ce moment-là » (traduction du breton benn neuze).
3 – D’ar gêr :
Alors, il a mis son chupenn et rentra d’ar gêr. Sa femme l’attendait et alors, je te dis pas, il y a eu du chach bleo ! « Ma Doue, j’espère au moins que t’as pas bigorné la voiture et qu’elle est pas bonne à la jaille !« , lui cria sa femme, une sacrée piquez soit dit en passant. Comme il écoutait pas : « Penaos ? Gast ! mais tu joues les bouzards en plus ! Sacré poquesse, traîner comme un ruz-boutou ! » Mais celui-là grignousait en plus ! Alors elle a clété la porte d’entrée et gardé la clé.
Chupenn = costume masculin de Quimper et par extension veste d’homme.
D’ar gêr = à la maison. On raconte que les Bretons criaient « D’ar gêr ! » lors une guerre passée. L’état-major les prit en exemple pour ragaillairdir les troupes : « Voyez ces fiers guerriers celtes qui réclament d’aller à la guerre… » mais quand le mot fut traduit, l’état-major déchanta…
Du chach bleo = de la dispute.
Bonne à la jaille = bonne à jeter à la poubelle. Le mot jaille vient de la région nantaise.
Penaos (breton) : « comment ? »
Gast = expression grossière voulant dire putain en breton.
Une pikez (piquesse) : une fille taquine
Bouard ou bouzard, mot breton voulant dire sourd
Un poquesse : un malheureux.
Ruz-boutou (breton) : traîne-savattes.
Grignouser = ronchonner
Cléter : fermer la porte à clé.
4 -« Da gousket ! »
« Dame ! On peut pas attraper partout ! » qu’elle a dit sa femme et comme elle était énervée, elle a tout dihasté son ménage et laissé tout partir en distribill. Celle-là est hardie ! Elle lui a crié « Da gousket ! » et elle est partie se coucher en lui laissant le canapé. Elle l’avait jamais vu aussi bourré depuis le jour de l’élection de Fanch Mitt. C’est là qu’elle l’a connu, c’était un Breizh atao qui brandissait le Gwen ha du. Demain, il va réclamer des louzou mais elle ira pas lui en chercher. D’abord, elle a à envoyer les enfants à l’école, sauf le moutik. Elle doit aussi passer prendre du Kig ha farz et du Kouign amann. Car elle est lichouse et, lui, c’est un gouel.
Dihaster (breton) = faire du sale boulot. Le mot vient de « gast » putain.
En distribill (breton) = en désordre.
Celle-là est hardie = sûre d’elle.
« Da gousket ! » (breton) = au lit (lit-téralement : à dormir !)
Fanch Mitt : François Mitterrand.
Un Breizh atao (breton : « Bretagne toujours ») : un autonomiste breton.
Le Gwen ha du (breton = blanc et noir, c’est le drapeau breton.
Louzou (breton) = médicaments
Envoyer ses enfants à l’école = ici, un exemple de mauvais usage du français.
Moutik = petit et mignon
Kig ha farz : plat du Léon
Kouign amann : gâteau au beurre
Un lichoux, une lichouse = personne qui affectionne beaucoup les gâteries.
Un gouelle = abréviation de goéland et voulant dire un ogre, un Gargantua, un goinfre.
5 – « Kenavo, ar wech all ! »
« Celui-là avait fait du reuz. Et bien, il n’aura plus que des restachou à manger demain, ça lui apprendra ! » Il faut dire qu’elle avait mal dormi déjà la nuit d’avant. Les souris avaient fait le jabadao toute la nuit dans le grenier. Et le moutik avait fait que pigner. Si son homme se remet à boire, et qu’il chante la Marseillaise en breton tous les soirs, alors elle aura plus que des pillou à se mettre. Toute façon, il va se prendre un savon avec le Bosco qu’est un sacré Penn-kaled et qui lui dira « Petit frère, c’est pas aujourd’hui que tu vas prendre du pesked ! » Pas la peine de mettre son Kabik. Ah ça ! C’était pour elle aujourd’hui le coup de penn-baz.
Cette histoire est terminée. Allez, je reprends mes boutou koat : achu toute ! Kenavo !
Reuz (breton) = bruit
Restachou : les restes (mot construit avec le mot « restes » et le pluriel breton en « ou »)
Jabadao : danse bretonne
Pigner : geindre. Ou pignouser. On trouve le verbe pigner dans Ubu d’Alfred Jarry.
Chanter la Marseillaise en breton = être bien pompette.
Pillou (breton) = des chiffons (pilhaouer : chiffonnier)
Bosco : maître d’équipage dans la marine marchande. Le groupe Soldat Louis de Lorient (56) a employé ce mot dans ses chansons.
Penn-kaled = « tête dure » (réputation – tout-à-fait infondée !- qu’ont les Bretons)
Petit frère : mauvais marin
pésked (breton) = poisson
Kabik : vêtement maritime.
Le coup de penn-baz = coup violent. Le penn-baz est un bâton.
Boutou koat : sabots de bois
Achu toute = c’est tout fini.
kenavo ! ar wech all ! (au revoir ! à la prochaine fois !)
Il existe d’autres mots de « franbreton » non employés dans le texte, certains n’ont qu’un usage local comme une « blette » pour dire lance-pierre dans le Léon (nord Finistère). On emploie volontiers le mot breton « buzug » pour désigner le ver de terre. Il y a d’autres expressions aussi mais bon ! « On peut pas attraper partout ! »
- La sulfureuse Catherine de Médicis réhabilitée? - Août 17, 2014
- L’Epervier à Fort-La-Latte - Juil 5, 2014
- Printemps des poètes : le sens de la visite - Juil 5, 2014
A propos de Franbreton (que je nomme bretonnismes pour ma part) je vous renvoie à 1 dossier paru sur 3 numéros du magazine ArMen. Et éventuellement vous propose de vous apporter qq éclaircissements, si vous le souhaitez – en particulier la relation étroite entre le breton (ma langue maternelle) et le français local. Je fais d’ailleurs réguièrement des conférences sur ce sujet.
Kenavo
Herve Lossec