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Herta Muller et la mémoire de l’Europe (Littérature allemande)

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herta mullerHerta Müller, écrivain d’origine roumaine, qui a fui son pays et les persécutions de la Securitate dans les années 80, est une figure de la littérature moderne européenne. Etablie en Allemagne, Herta Müller livre une littérature de l’exil, hantée par l’expérience de la dictature de Ceausescu. Honorée par le prix Nobel de Littérature, Herta Muller incarne une certaine forme de mémoire de l’Europe et un trait d’union entre la littérature allemande et la littérature roumaine…

 

Herta Müller a été distinguée pour avoir, « avec la densité de la poésie et la franchise de la prose, dépeint l’univers des déshérités » . C’est ainsi que l’Académie suédoise justifiait sa décision d’accorder en 2009 le prix Nobel de Littérature à cette romancière allemande, d’origine roumaine.

En Roumanie, dans les années ’80, Herta Müller était persécutée par la Securitate, qui censurait ses écrits et faisait même courir des rumeurs comme quoi on l’avait racolée, le tout pour ternir son image. Facile à comprendre donc la raison pour laquelle elle décida de s’exiler en Allemagne et de s’établir à Berlin.

Bien qu’elle vive depuis plus de 20 ans en Allemagne, Herta Müller est toujours hantée par son expérience roumaine. « Pour moi, la vie sous le régime dictatorial en Roumanie est l’expérience la plus forte, la plus éprouvante que j’aie vécue. Le fait d’être installée à des centaines de kilomètres de là, en Allemagne, n’a pas effacé mon expérience passée. En partant, j’ai emporté avec moi ce que j’avais vécu. En plus, la dictature est un thème toujours d’actualité en Allemagne» .

Un an après avoir reçu le Prix Nobel, la romancière est rentrée en Roumanie pour lancer ses romans « La balançoire du souffle » et « Voyage sur un seul pied », parus aux Editions Humanitas. « Je ne veux pas être une romancière, mais je le suis. J’écris parce que je veux mettre de l’ordre dans mon moi intérieur. Autrement, je n’écrirais pas » , affirmait Herta Müller, lors de ses entretiens avec le public et la presse de Roumanie. Se référant à la situation politique du pays, la romancière a affirmé que les anciens membres de la Securitate prospèrent depuis la Révolution et qu’elle se sent toujours surveillée, chaque fois qu’elle y revient. Herta Müller a aussi mentionné l’absence de réaction de l’intellectualité roumaine sous la dictature communiste. D’après elle, la dureté du régime communiste a aussi été le résultat de « cette très confortable neutralité politique » .

«Voyage sur un seul pied» c’est le premier roman que Herta Müller a écrit après avoir quitté la Roumanie, où elle s’était vu interdire de publication, en 1987. « Un livre superbe. La conscience la plus intime d’Irene, le personnage principal, est admirablement reproduite dans ces pages» , notait le New York Times Book Review. Pour sa part, le Frankfurter Allgemeine Zeitung écrivait que « Irene quitte l’autre pays, le pays du dictateur, pour s’établir à l’Ouest… Herta Müller parvient à construire un récit où chaque lecteur vit le sentiment d’être un apatride, sans défense. Le langage des descriptions est dur. Ce n’est que là où les choses dégagent une froideur intrinsèque que la romancière se donne la liberté d’utiliser un excellent langage poétique, qui ne représente pas pour autant une tentative de s’en sortir» .

En évoquant sa relation avec la littérature, la lauréate du prix Nobel déclarait qu’elle se sentait plutôt attachée aux livres qui ne l’aidaient pas à s’échapper:
«Les livres ne sont pas pour moi un moyen de m’évader. Les ouvrages qui me sont les plus chers sont ceux qui ne m’ont pas permis de m’évader. Je les ai lus pour apprendre, pour apprendre comment vivre, au sens le plus large du terme. Et il y en a eu plusieurs qui m’ont beaucoup aidée en ce sens. Et puis, quand je sortais dans la rue et que je me heurtais aux réalités de l’espace où je bougeais, je ne savais plus que faire. Les ouvrages les plus importants pour moi ont été ceux dont je ne saurais dire avec exactitude ce qu’ils m’ont enseigné, mais qui m’ont quand même appris quelque chose. Cette complicité a changé ma personnalité ».

Une déclaration nullement surprenante, compte tenu du fait que Herta Müller n’a pas réussi à ignorer le climat politique roumain sous la dictature de Ceausescu. Et non seulement elle ne l’a pas ignoré, mais son besoin d’écrire – affirme-t-elle – est né pendant la dictature. « Moi, j’ai dû apprendre à vivre en écrivant et pas vice-versa. Je voulais tout simplement vivre au niveau auquel je rêvais, pas plus. Et l’écriture a été une manière d’exprimer ce que je ne pouvais vivre effectivement » – déclarait Herta Müller. « La blessure politique et son authenticité littéraire » – c’est la façon dont le critique Paul Cernat résume ce vécu de Herta Müller dans un article dédié à l’écrivaine.
« Herta Müller combat un mal politique, un mal qui a réussi à pénétrer dans les corps, les âmes et les esprits, un mal qui est arrivé à contaminer toute l’humanité et à la rendre malade. Dans ses écrits, le problème du mal est une sorte d’obsession et ce mal s’appelle le plus souvent « Securitate », la police politique du régime communiste. Ce sont des livres sur la peur, des livres censés récupérer un mémoire traumatique. Herta Müller est une écrivaine exemplaire et elle apporte quelque chose qui manque à la culture roumaine, beaucoup trop conciliante » .

Paul Cernat parle aussi de la pertinence universelle des œuvres littéraires de Herta Müller:
« Après le Nobel, elle a été revendiquée par la Roumanie. D’autres l’ont considérée comme une écrivaine allemande. Une variante à mi-chemin entre les deux a également été véhiculée, selon laquelle Herta Müller serait une écrivaine du Banat, contrée jugée être un espace multiculturel. Herta Müller est une écrivaine tout court et ses œuvres ont une pertinence universelle, parce qu’elle parle de l’être humain, des traumas qui touchent l’essence même de la condition humaine, excédant tout thème localiste. Par sa formule stylistique, par les problèmes philosophiques qu’elle aborde, par la profondeur de son approche littéraire, elle est une écrivaine universelle. D’ailleurs, ce prix est accordé à des écrivains provenant de tous les continents en vertu précisément d’une certaine universalité – caractère que Herta Müller possède pleinement » .

L’autre volume lancé ces jours-ci en Roumanie aussi, « La balançoire du souffle » – en train de paraître dans 45 pays – récupère un drame historique longtemps ignoré. L’action du roman est placée dans la Roumanie de l’année 1945, à la fin de la deuxième guerre mondiale, lorsqu’une grande partie de la minorité allemande a été déportée en Union Soviétique.

Après de longs entretiens avec le poète Oskar Pastior (1927-2006) et avec d’autres survivants des camps soviétiques, Herta Müller a recueilli la matière épique pour ce roman publié chez Carl Hanser Verlag en 2009. Lors de sa rencontre avec la presse de Bucarest, l’écrivaine a parlé du poète Oskar Pastior, qui a été pour elle une source d’inspiration, ami et collaborateur – en fait, ils ont écrit ensemble le roman « La balançoire du souffle ». Selon un dévoilement publié dans la presse allemande, Oskar Pastior – prisonnier, pendant 5 ans, dans un camp soviétique dans les années ’50 – aurait été informateur de la Securitate entre 1961 et 1968, lorsqu’il a demandé l’asile politique en République Fédérale d’Allemagne. « Oskar Pastior n’a pas eu le choix, il était fini, écrasé » – affirme Herta Müller. « Dans la déclaration par laquelle il acceptait de collaborer avec la police politique, les mots ne sont pas de lui. S’il n’avait pas accepté, il aurait été jeté en prison. Il ne lui restait plus qu’à se pendre ou à se réfugier dans un hôpital psychiatrique. Ce serait inhumain de lui demander une telle chose » – ajoutait-elle.

Auteur : Corina Sabău; trad.: Alexandra Pop, Magdalena Oprea

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