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Qu’annonce l’affiche du film turc Iki dil bir bavul ?

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On doit à un ancien élève, Pascal, vivant aujourd’hui à Istanbul, cette affiche d’un film projeté actuellement sur les écrans de Turquie, signé de deux cinéastes turcs, Orhan Eskiköy et Özgür Dogan, intitulé mystérieusement pour qui ignore le turc « Iki dil bir bavul ». À voir cependant la scène de classe choisie, il semble que l’École pose aussi problème en Turquie et donne matière à en faire un film, même si les données diffèrent de celles de la France.

Intéressé par les critiques sévères que l’on a faites du film de Cantet/Bégaudeau, « Entre les murs », Pascal a souhaité voir ce que l’on pouvait extraire de cette affiche, sans même avoir vu le film. Pourquoi pas ?

Les deux images dont elle est composée, se présentent comme les deux vignettes d’un roman-photo éclair, dans une relation de continuité sans doute mais interrompue par une ellipse gigantesque qui confine à la mise hors-contexte : on ignore tout de ce qui se passe entre le toit de ce véhicule qui roule sur une route toute droite sans fin dans une campagne déserte et cette scène insolite d’un instituteur assis sur un coin de son bureau en tournant délibérément le dos à ses petits élèves.

Sans risque d’erreur, toutefois, les métonymies qui fourmillent dans ces deux images se complètent apparemment.

La première, dans un plan panoramique, offre à la fois plusieurs parties pour le tout et effets pour la cause. On reconnaît d’abord une valise jetée à la diable sur une sorte de bâche : ce peut être celle de l’instituteur en voyage qui a dû rejoindre un poste loin de chez lui. La région où il est nommé, paraît ensuite peu hospitalière, voire pauvre : la route a connu autrefois le bitume, mais elle n’est pas entretenue ; elle tend à redevenir une piste. Elle traverse de vastes étendues planes arides, désertes, sinon désertiques. Pas un arbre ! On devine un maigre chaume à droite ; mais des emblavures, à gauche, témoignent d’une activité agricole.

Et puis, cette valise de type occidental, jetée à l’envers sur la bâche sans même être arrimée, est l’effet d’un mode de transport de fortune : ce n’est ni l’avion, ni le TGV, ni le bus, ni le taxi, mais la benne d’un camion dont le conducteur a sans doute eu la gentillesse de prendre l’instituteur comme passager. On en déduit que le poste de l’instituteur est dans un village perdu, privé de communications ou de lignes régulières. Le décor de l’exil est dressé.

Les métonymies de la seconde image


 

La seconde photo tend à confirmer cet exil. Dans un plan d’ensemble, les métonymies abondent ici aussi en parties pour le tout et effets pour la cause.

Deux contrastes sautent aux yeux. Instituteur et élèves s’opposent d’abord on ne peut plus radicalement par le vêtement. Les élèves arborent l’uniforme d’une blouse bleue tandis que l’instituteur a rejeté celui de sa fonction : il est en costume de ville avec une chemise et une cravate bleutées très soignées. On ne saurait mieux marquer les différences entre les origines sociales : les élèves portent tous la même blouse bleue, cet uniforme qui masque la pauvreté de villageois et l’instituteur, celui qui exhibe l’élégance du citadin aisé, habillé à l’européenne.

Surtout la posture des personnages achève de confirmer la coexistence de deux mondes étrangers l’un à l’autre : l’instituteur tourne le dos à ses petits élèves ; bras croisés, appuyé plus qu’assis sur un coin de son bureau, il a l’air accablé, et même au bord des larmes. Le réflexe de compassion est stimulé par ce qui apparaît comme un leurre d’appel humanitaire. Mais, pour autant, les petits n’en profitent pas pour grimper sur les tables : s’il y en a qui se penchent l’un vers l’autre, presque tous sont sages, le crayon à la main pour écrire ou bras croisés.

La solution du paradoxe


 

Quelle est la cause de ce paradoxe et, en même temps, de ce symbole d’un instituteur qui ose tourner le dos à ses élèves ? La première image met sur la voie sans doute : envoyé loin de sa ville d’origine dans un univers étranger, l’instituteur se retrouve solitaire et désemparé, mais pas comme le professeur démagogue d’ « Entre les murs » qui n’aurait pu tourner le dos une seconde à sa bande de voyous sans provoquer le charivari. Au contraire, dans cette situation insolite et propice où leur maître perd pied, ces petits en blouse bleue paraissent ne pas en profiter pour chahuter et lui mettre la tête sous l’eau ; ils sont même pleins de bonne volonté.

On ne croira pas évidemment que l’on vient d’analyser ces deux images dans l’ignorance du sujet du film que l’on n’ a pas vu. Qu’en dit maintenant la présentation qu’en donnent les auteurs en anglais à la référence qu’on trouvera ci-dessous (1) ? On découvre d’abord que le titre anglais « On the way to school » n’a rien à voir avec le titre turc : « Iki dil bir bavul », qui, selon Pascal, signifie « Deux langues, une valise ». La transposition anglaise égare donc, car le problème traité dans ce film n’est pas une chronique scolaire ordinaire. Cette valise est à la fois la métonymie, comme partie pour le tout, et le symbole d’un voyage où un instituteur se retrouve étranger en son propre pays faute d’une langue commune. On songe au livre de Pierre-Jakez Hélias, « Le cheval d’orgueil » (Éditions Plon, 1975) qui racontait comment le français a chassé méthodiquement le breton : « Défense de parler breton et de cracher par terre ! » intimaient des pancartes dans les écoles de Bretagne. La Turquie serait-elle confrontée à un problème comparable ?

La présentation officielle du film Iki dil bir bavul


 

Il semble que oui, puisque voici la présentation officielle qui est faite du film. Celui-ci raconte, lit-on, « une année dans la vie d’un enseignant turc, apprenant le turc à des enfants kurdes dans un village retiré de Turquie. Les enfants ne peuvent pas parler turc, le professeur ne peut pas parler kurde et est forcé de devenir un exilé dans son propre pays.

« Sur le chemin de l’École » est un film sur un professeur turc qui est seul dans un village en tant qu’autorité de l’État, et sur son interaction avec les enfants kurdes qui doivent apprendre le turc. Le film témoigne du problème de communication accroissant la solitude d’un professeur dans une communauté et une culture différentes, et des changements provoqués par sa présence au sein de cette communauté différente pendant un an. Le film fait la chronique d’une année scolaire, de septembre 2007 au départ du professeur, lors des vacances d’été en juin 2008. Durant cette période, ils commencent les uns et les autres à se connaître et à se comprendre lentement. »

On ne s’est pas trompé. Les deux images sont, en effet bien choisies pour mettre sur la voie du thème du film qui a obtenu en juin 2009 deux prix au festival d’Adana : le grand prix du jury Yilmaz Güney et le prix de la Critique.

Paul Villach

 


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