Le cinéaste Radu Jude est né en 1977 à Bucarest. Si on cherche à connaître son parcours, on le retrouvera facilement dans plusieurs équipes : celle qui a préparé « Amen » de Costa Gavras ou encore « La Mort de Dante Lazarescu » de Cristi Puiu. Ce film qui a été tourné dans la chaleur éprouvante de l’été 2008 à Bucarest entre l’Université et l’Hôtel Intercontinental ; hauts lieux de manifestations dramatiques et démocratiques, pourrait finalement se nommer également : « Comment aller contre le succès de la Logan Break » ?
… tant il est vrai que la direction de Renault a mis en avant à dessein dans sa communication ces derniers mois l’accueil plutôt enthousiaste que le public européen a manifesté envers les véhicules « low cost » montés en Roumanie, pour faire oublier que la mutation générale du marché automobile creuse les marges et décime les bénéfices de la firme prestigieuse.
Depuis que les usines Dacia – qui produisaient une véritable “voiture du peuple roumain” dont quelques exemplaires triomphent encore à l’épreuve de tous les cataclysmes – ont été rachetées par Renault, c’est-à-dire à partir de 1999, la ville de Piteşti est devenue de ce fait, par un fabuleux retour de l’histoire, le symbole d’une nouvelle classe ouvrière post communiste. Une « classe laborieuse », pour reprendre des termes anciens, qui a pu être montrée en exemple du succès incroyable d’une nouvelle forme de libéralisme triomphant et d’organisation rationnelle du travail. Mais une usine où la grève de mars 2008 a rappelé avec ironie qu’en bloquant la production, des « travailleurs » issus d’une période communiste et plongés dans un nouveau capitalisme, pouvaient obtenir 40% d’augmentation largement mérités en utilisant une stratégie de lutte que la propriété collective avait vidé de son sens. Comprenne qui pourra !
Il n’est pourtant pas besoin de connaître cet arrière plan historique et industriel pour apprécier ce film à sa juste valeur. Même si cette connaissance de l’intérieur apporte bien entendu un surcroît de sens à ceux qui ont vécu la longue histoire d’une marque de véhicules qui a symbolisé, depuis sa naissance au début des années soixante, le va et vient d’un régime fermé sur lui-même, entre recherche de la capture d’une licence étrangère et fierté nationale de l’autarcie de production.
Pour ne pas parler des symboles historiques que les lieux de tournage, qui nous paraissent banals, revêtent pour beaucoup de citoyens roumains.
L’avant et l’après… et le refus de la nostalgie, mais… quand même; on ne sait jamais. La perte de tous les repères en tout cas. On navigue en permanence entre deux générations, celle d’avant les événements et celle d’après. Comme la Roumanie tout entière, symbolisée là dans un conflit domestique de peu d’importance. A l’échelle des fourmis !
Delia, l’héroïne est née après 1989. Elle n’a donc connu que la montée des images du monde entier et celle de la frénésie publicitaire. Sa bible visuelle est située quelque part du côté de Pro-TV dans un horizon où tout est possible : gagner une voiture grâce à trois coupons de jus d’orange chimique et devenir la vedette d’un jour, au milieu des pétales de fleurs qui tombent du ciel.
C’est pour cela qu’elle est venue dans la capitale prendre possession de son cadeau inespéré. Mais ses parents l’accompagnent. Cette voiture est un don du ciel. Revendue, elle pourrait permettre de transformer la maison en ouvrant des chambres pour les touristes : le début d’une certaine autonomie financière, sinon d’une aisance, d’une certaine autarcie en quelque sorte. Un recommencement de l’histoire ?
Mais les jeunes n’ont pas de compréhension. Une voiture est faite pour s’amuser, pour sortir, pour aller à la mer avec les copains, même s’il faut passer l’épreuve du discours publicitaire en refaisant mille fois, à en lasser le public, la même prise et en buvant à plus soif des litres de cette boisson à l’orange qu’on a cru bon de rendre plus sexy en la mélangeant d’un peu de coca-cola.
La publicité à s’en rendre malade et le pouvoir du rêve inaccessible versus le réalisme et la gestion en bon père de famille du retour à la propriété privée.
Et pendant une heure quarante, la caméra tourne en rond ; celle du cinéaste qui épingle ses personnages, le dos au mur et celle du publicitaire qui n’obtient pas ce qu’il veut de l’équipe de tournage, prisonnier de sa propre absence d’imagination et des exigences absurdes de ses créatifs.
Après tout, il faut suffisamment chaud pour que la fameuse boisson s’écoule sans l’aide d’un concours ringard et d’un film à chier. Mais ce sont les règles de base du marketing, n’est-il pas vrai ?
« J’ai fait un film sur l’insignifiance. Un film mineur au sens où il ne parle pas de communisme, d’holocauste, de meurtres, de guerres…Un film insignifiant peut dire quelque chose sur l’être humain, tandis que les films qui ont des héros, qui racontent de grandes histoires, ne le peuvent pas. » répond l’auteur à une question qui le fait rebondir sur les réflexions de Milan Kundera dans « Le Rideau ».
L’insignifiance comme métaphore puisque ce film, comme « La plaisanterie » ou « L’insoutenable Légèreté de l’Être » souffle sur les petites braises de la vie quotidienne, insiste sur l’insoutenable lourdeur des conflits de génération pour dénoncer de plus grands complots qui ont sorti les parents d’une prison pour mieux enfermer leurs enfants dans une cage dorée où ils reçoivent des miettes du gâteau.
Vous avez dit post-communisme et société en transition ?
En tant qu’anthropologue, je ne peux que confirmer l’importance des symboles, dans l’histoire, la culture et la société, mais aujourd’hui, on a tendance à les zapper, car c’est plus pratique de ne pas se colleter à la charge qu’ils véhiculent …