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La Mort comme nourriture, de Patrice Caumon

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Patrice Caumon se trouve rarement où l’on croirait l’attendre. Le titre de son premier livre (Les Plats qui font péter,) faisait craindre le pire alors que l’ouvrage traitait en fait avec humour et non sans élégance un sujet culinaire à la fois rabelaisien et diabolique. Son dernier opus, La Mort comme nourriture (Sam Sufy, 28 pages, 6 €), illustré de dessins de Vincent Marco dont l’inspiration, souvent noire et insolite, fait parfois penser à Topor, obéit tout autant à cette règle.

L’auteur justifie ainsi ce titre étrange : « Nous n’avons pas le goût de la mort, mais la mort a-t-elle un goût ? Si nous croquons la vie à pleines dents, comment ferons-nous avec la mort ? Elle s’accommode et nous nous en accommodons sans avoir le choix. Elle se cuisine, donc. » Suit un texte curieux, où se mêlent philosophie et humour parfois grinçant, avec, en exergue de chaque chapitre, une citation de Montaigne, Sénèque, Chateaubriand ou Jacques Brel, lorsqu’il ne s’agit pas d’un proverbe Zoulou.

Patrice Caumon multiplie donc les angles d’approche de la mort, prise comme entrée (pour ceux qui l’attendent dans la foi), plat principal (pour ceux qui ne la craignent pas et s’y résignent), accompagnement (pour les adeptes du carpe diem), dessert (pour les libres-penseurs), trou normand, mais aussi comme datte rouge (d’une terrible amertume), piment, pruneau, déconfiture ou malbouffe. Autant de chapitres, autant de manières variées d’aborder le mort, de vivre avec sa certitude, sereinement ou dans l’angoisse.

Entretenir ainsi un parallèle entre la mort et un menu ne manque ni d’originalité, ni d’audace, surtout dans un monde où l’on refuse de plus en plus souvent à cette notion droit de cité (à travers le culte du risque zéro, la recherche d’une espérance de vie toujours plus longue, voire un déni), quand on n’en fait pas un instrument de manipulation des foules. Les grandes peurs millénaristes, comme celle du 21 décembre 2012, en dépit de leur irrationalité, permettent en effet à ceux qui les exploitent de réaliser de confortables profits et de mieux contrôler les gogos qui tombent dans ce traquenard.

Ce court texte surprenant, inclassable, est apte à susciter chez le lecteur quelques réflexions. Pour autant, le facétieux Patrice Caumon ne se limite pas ici à proposer des approches philosophiques ou des nourritures spirituelles. Dans la dernière partie de son essai, intitulée « Travaux pratiques », l’humour dévastateur dont il aime à émailler ses livres reprend l’avantage. On y trouve ainsi des conseils (d’ailleurs assez pertinents) pour composer un « menu pour mourant » et, surtout, pour le repas suivant les obsèques, un « menu pour ceux qui restent » où l’on peut lire, à titre d’exemple :

« Si déguster une fois encore les plats préférés du trépassé semble pesant, a contrario, servir les mets qu’il détestait le plus au monde permet de retrouver certaines joies interdites, dans toute leur fraîcheur, de reconquérir presque immédiatement la cuisine comme espace de convivialité, et ainsi de mieux se préparer à faire le deuil de l’être cher. […] Si ça se présente bien, jouez la carte de l’humour et composez un menu aux relents mortuaires subtils. Proposez un buffet froid, avec des viandes froides […] Pour une crémation, noircir entièrement une tarte ou une pizza au four avant de servir fera provocateur ; une crème brûlée passera peut-être mieux… »

Enfin, les dernières pages constituent un bref guide de plats empoisonnés, où l’auteur, renouant avec son premier livre, confie quelques recettes, cette fois non pas incommodantes mais fatales, à base de fugu mal préparé, de laurier-rose, de datura, de cigüe, d’amanites ou – qui se serait méfié de ces graines innocentes ? – de pépins de pommes…
Sans doute, en ces temps hygiénistes où fleurissent les appels à la prudence, ces « travaux pratiques » feront-ils grincer quelques dents. Ils renouent pourtant avec une veine macabre et littéraire, celle, par exemple, du célèbre dîner funèbre que Grimod de la Reynière organisa pour ses invités en février 1793, ou avec celui – directement inspiré de ce dernier – que Huysmans, dans A rebours, prête à son héros Des Esseintes et qu’il décrit ainsi :

« Dans la salle à manger tendue de noir, ouverte sur le jardin de sa maison subitement transformé, montrant ses allées poudrées de charbon, son petit bassin maintenant bordé d’une margelle de basalte et rempli d’encre et ses massifs tout disposés de cyprès et de pins, le dîner avait été apporté sur une nappe noire, garnie de corbeilles de violettes et de scabieuses, éclairée par des candélabres où brûlaient des flammes vertes et, par des chandeliers où flambaient des cierges.

Tandis qu’un orchestre dissimulé jouait des marches funèbres, les convives avaient été servis par des négresses nues, avec des mules et des bas en toile d’argent, semée de larmes.

On avait mangé dans des assiettes bordées de noir, des soupes à la tortue, des pains de seigle russe, des olives mûres de Turquie, du caviar, des poutargues de mulets, des boudins fumés de Francfort, des gibiers aux sauces couleur de jus de réglisse et de cirage, des coulis de truffes, des crèmes ambrées au chocolat, des poudings, des brugnons, des raisinés, des mûres et des guignes ; bu, dans des verres sombres, les vins de la Limagne et du Roussillon, des Tenedos, des Val de Peñas et des Porto ; savouré, après le café et le brou de noix, des kwas, des porter et des stout.

Le dîner de faire-part d’une virilité momentanément morte, était-il écrit sur les lettres d’invitations semblables à celles des enterrements. »

Illustrations : Mort et cuisine – Félicien Rops, frontispice pour Les Epaves de Charles Baudelaire.

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