Siddhârta Schweitzer naît dans les turbulences d’un vingtième siècle qui se meurt, sans le savoir encore, de consommation, de technologie, de jeunisme, de maladies plus effrayantes les unes que les autres, rongé par un crabe d’une pernicieuse efficacité.
Les parents de Siddhârta le délaissent, pris dans le tourbillon bohême, souvent égocentrique, de leurs préoccupations: très vite, ils deviennent aussi lointains qu’une parentèle éloignée. Le petit Sid sera élevé par sa grand-mère Susie et éprouvera très vite ressentiments, méfiance et crainte envers tout ce qui n’est pas d’un bon aloi suisse. Traînant son ennui entre les livres et les études, Siddhârta rencontre, inopinément, un petit animal fascinant: l’abeille! Chaque nuit, le rêve l’emporte au coeur d’une ruche où il devient ouvrière, faux bourdon, gardienne. La passion lentement s’épanouit pour enfin conduire Sid au métier d’apiculteur….comme son grand-père maternel.
L’entomologie, axée sur l’abeille, est le fil conducteur de ce roman d’apprentissage qui suit le cours de l’Histoire contemporaine de ces vingt dernières années. Sid quitte le couvain suisse pour des aventures apicoles aux Etats Unis, où les ruches par milliers sont transportées nuitamment, au gré des floraisons à travers le pays continent. Sa chrysalide s’ouvre à l’intolérance, fruit de sa deshérence familiale, une intolérance étrange teintée d’ouverture au monde et à la diversité ce qui lui permet, un jour, de croiser Valentine, une japonaise nomade qui travaille au standard d’une grande entreprise de produits phytosanitaires dont une gamme empoisonne lentement, mais sûrement, les abeilles.
Je n’ai pas souvent l’occasion de lire des auteurs suisses et j’avoue ne pas connaître grand chose à l’actualité littéraire de ce pays entouré de montagnes et semblant dormir au bord de ses nombreux lacs. « Le silence des abeilles » a attiré mon attention en titillant ma fibre « verte », sensible à la cause des abeilles tandis que l’argument littéraire achevait de me convaincre.
Ce qui surprend dans ce roman c’est la personnalité de Siddhârta qui erre entre tolérance et détestation de ce qui n’est pas national, qui oscille entre envie d’aller vers les autres et repli sur soi, sur une identité suisse intolérante et imperméable à l’étranger. Pourtant, Sid ira manifester à Davos contre le sommet du G9, le sommet à la gloire du capitalisme le plus sauvage qui soit, à l’ombre des banquiers muets. Pourtant, Sid tombera amoureux d’une jeune femme japonaise puis osera un coup d’éclat solitaire pour punir par là où il a péché le patron du groupe industriel qui fabrique et distribue le Secolo qui empoisonne les abeilles.
Le lecteur navigue entre les beautés de la nature et le sordide des groupuscules extrême-droite qui s’entraîne clandestinement avant d’organiser des expédititions punitives contre les étrangers, tente de démêler les sentiments contradictoires de Sid et sa vision du monde souvent fluctuante….à l’image d’une certaine jeunesse qui se révolte contre l’injustice du monde tout en cédant, parfois, aux sirènes du repli sur soi et du rejet de l’autre. Il se prend à sourire voire à rire en accompagnant le jeune protagoniste de ce roman d’aprentissage parce que certaines situations deviennent cocasse: le monde s’empêtre autour de ses multiples absurdes contradictions.
« Le silence des abeilles » me laisse perplexe: à vouloir créer un fil conducteur entre le monde des abeilles, rassurant par sa structure sociale inaltérable, et le héros qui ne sait plus trop à quoi ni à qui se raccrocher pour tenter de comprendre le monde et d’y faire sa place, l’auteur ne rend pas lisible le moteur de son écriture. Certes, il y a les éléments du roman d’apprentissage mais le lecteur a du mal à les décrypter: il est difficile de s’attacher aux personnages ou de raccorder les grands évènements contemporains avec le parcours de Siddhârta. En un mot comme en mille, même si je ne me suis pas ennuyée lors de la lecture du roman, je ne suis pas parvenue à comprendre où l’auteur voulait en venir: portrait d’une génération déstabilisée voire sacrifiée par la modernité? Critique d’un modèle sociétal en bout de course?
Une certitude se dégage de ma lecture: la Suisse est tout sauf une image d’Epinal où le chocolat au lait fleure bon les alpages tranquilles et où l’atmopshère feutrée des établissements bancaires laisse filtrer le silence des secrets bien gardés. Ce pays sans mer est loin d’être lisse comme la surface d’un lac: un vent de révolte peut y souffler à l’image d’un foehn indomptable.