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Les murs du silence

figure de l'espoir ange priant

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Ce texte s’éloigne du thème du voyage. Une fois n’est pas coutume. J’avais envie de partager une autre forme de voyage ; à l’intérieur de moi.


J – 3. Elle était étonnamment calme en ce jour où la solitude ne semblait plus l’affoler. Même notre absence ne l’affectait plus. D’ordinaire, elle était agitée, perdue dans ses cauchemars, déjà ailleurs sans avoir quitté ce monde. Elle était livrée à des affres que nous ne pouvions qu’imaginer sans pour une fois les partager tout à fait.

Là, Elle me regardait avec ses prunelles pleines de détresse. Mais quelque chose avait changé. A peine avais-je franchi le pas de la porte de sa chambre, que je devinais des larmes perlant au coin de ses yeux … Je ne l’avais jamais vue pleurer. Elle qui avait toujours paru si forte, si dominatrice, parfois si destructrice, n’était pas encore devenue une ombre. Elle était partie, en réalité. Elle ne voyait, n’entendait plus vraiment. Mais nous ne voulions pas l’accepter encore. Égoïstement, nous préférions nous dire que tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. C’est tellement plus pratique.

Elle ne parvenait plus à trouver son souffle, elle s’étouffait de plus en plus violemment, ce qui rendait les rares répits encore plus angoissants, car ils annonçaient une tempête intérieure dont on savait que la moindre convulsion pourrait l’emporter et nous laisser le souvenir d’une souffrance bien plus que d’un soulagement… Elle combattait avec ses démons, ses fantômes et peut-être ses remords. Elle nous avait si souvent rappelé combien elle craignait l’Enfer. Cela nous gardait auprès d’elle depuis toujours comme des proies complaisantes, en tentant de composer avec sa peur et son intolérance à l’absence. Elle appelait depuis des jours ses morts pour la sauver du traumatisme que généraient les secousses de son coeur si fatigué et les défaillances en chaîne de tous ses organes…

Dans un instant de lucidité, elle semblait me reconnaître à nouveau, moi qui avais été peut-être l’une des seules raisons de s’accrocher à la vie ou du moins de ne pas sombrer complètement dans le désir de mort, quand, tout bébé puis éternel enfant, j’avais rempli son univers au point que nos vies finissent par s’amalgamer et se perdre. Elle me suppliait de l’aider en me demandant pourquoi elle ne parvenait plus à respirer. Elle parlait avec cohérence et l’échange n’était pas qu’une illusion. Serait-ce cela le fameux regain de la mort?

Elle s’était murée dans le silence depuis des jours. Même quand on la touchait, Elle ne criait plus. En apparence, Elle se laissait glisser, tout en livrant son combat intérieur. L’écho de son silence n’était qu’une répétition de l’onde que déclencherait sa disparition, mais ce silence triturait mon corps et chaque résonance était comme un coup de poignard dans mes entrailles. Elle ne comprenait pas tout à fait ce qui lui arrivait et m’appelait à l’aide. Je lui avais tellement parlé en espérant qu’elle réponde quoique ce soit. J’étais bien égoïste, je voulais me rassurer. Malgré l’hermétisme de son monde de ténèbres, je croyais et je priais pour elle. Depuis quand n’avais-je plus prié? Dieu m’avait donc entendue. Maintenant qu’elle parlait enfin, je restais sans voix préférant lui sourire pour ne pas l’apeurer davantage et cacher illusoirement les larmes qui montaient moi, de plus en plus irrépressibles.

Je ne sais pas pleurer. Je n’en ai pas le droit. Je voulais qu’elle ne retienne que la douceur, l’apaisement, la confiance, l’amour, la bienveillance qu’elle n’avait jamais su recevoir, ni accepter, ni cultiver … Elle ne m’avait quasiment donné que ses angoisses et sa désespérance. Je ne saurais lui en vouloir. Je l’aimais. Si seulement un instant, j’avais su lui transmettre mon souffle comme un espoir. Tout m’avait paru bien vain pendant le temps de notre vie commune. Je renouais avec la perspective de la Foi. La promesse du Ciel et de l’amour de Dieu retrouvait du sens. Elle me donnait la chance de ne pas me morfondre que dans des regrets ou les souvenirs pénibles de notre histoire. J’ai déposé un baiser sur son front. J’ai caressé sa joue. Elle m’a souri. Elle m’a peut-être reconnue. Ses larmes avaient déjà séché. Ses pupilles s’illuminèrent pendant une seconde. J’étais heureuse tout d’un coup, comme le petit enfant qui avait su un temps la consoler ou n’avait jamais cessé de s’y efforcer.

En sortant, j’ai fondu en larmes. Je savais. Je ne pleurerais plus. Ni quand son dernier souffle l’aurait emportée dans une éternité qu’elle avait craint autant que désiré, ni quand je prendrais ma mère dans mes bras pour accueillir sa détresse. Pas davantage quand je croiserais ces rares regards qui compatiraient par sympathie ou par automatisme avec notre peine même si nous ne nous connaissions pas vraiment. Pour la première fois, je me retrouvais seule avec moi-même et libérée de toutes mes tensions propres. C’était le miracle de ma (Re)naissance. Mais saurais-je un jour me réconcilier avec le bruit féroce du Silence pour en faire une voie d’Espérance?

Sandrine Monllor (Fuchinran)

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