Visiter Tokyo. Découvrez le marché Tsukiji à Tokyo, une sorte de Rungis dédié aux produits de la mer. Un univers à part entière consacré à la pêche dans tous ses états où l’on découvre le spectacle de criée et de la vente des poissons parmi les plus beaux et chers du monde.
Visiter Tokyo: marché Tsukiji, le Rungis des produits de la mer
Au marché Tsukiji, la lame brille dans la lumière des néons. Longue et fine, elle ressemble à une épée dans les mains de ce jeune homme. Il la rabat sur la masse de chair rouge posée sur l’immense table de travail, humide et propre, et calmement, en écartant les doigts, étend sa main sur la pièce à découper. Il calcula 5 larges tranches.
Doucement, il passe la lame entre la peau et les muscles. Tout en épousant soigneusement les formes du poisson, il la détache de la chair. La peau se plisse en tombant, on la devine grasse. Toujours très concentré, le visage immobile, il positionne la très longue lame de son couteau puis d’un mouvement précis et lent, entame les chairs.
Une première tranche, puis une deuxième, une troisième se détachent ainsi pour devenir des steaks épais et charnus. Il pose sa lame, attrape un grand papier vert, y dépose un steak et l’enrobe en prenant soin de replier les angles du papier vers l’intérieur, en amoureux du beau travail. Il dépose son précieux paquet dans un bac de polystyrène. Visiblement soulagé, il sourit à son collègue d’en face puis allume une cigarette dont il envoie les grandes bouffées du fumée loin au dessus de lui. Quelques mètres plus bas attendait un autre thon rouge, près pour la coupe.
Cette scène au marché Tsukiji est celle que j’ai la plus aimée et que je retiendrai de ces fabuleuses deux heures passées au marché TSUKIJI, le Rungis des produits de la mer, qui alimente tout Tokyo et ses environs.
Le spectacle au marché Tsukiji commence avec la vente à la criée, au fond, sous de grands hangars. Les thons, congelés, sont alignés par ordre de taille et identifiés par un matricule. Les plus gros pèsent 250 kg. Ils ressemblent à de grosses outres blanches, immobiles et roides, très sages tout d’un coup et sans odeur, car la brise s’engouffre par les ouvertures et l’air ne sent rien, sauf peut-être l’eau humide. La nageoire dorsale sectionnée laisse apparaître la chair orangée. Des maquignons de la mer et bonnet et bottes de plastique se pressent dans les allées et penchés par-dessus l’outre, observent je ne sais quoi qui leur fera acheter ce lot. Puis le commissaire priseur ouvre la criée, mais personne ne parle sauf par signes, difficiles à repérer pour le néophyte. Vendu, le thon est alors harponné, trainé puis chargé sur une civière qu’un manœuvre traine jusqu’à la découpe. Congelé, le thon est découpé à la scie électrique, comme un vulgaire madrier puis stocké dans de grands congélateurs. Frais, il est livré aux mains expertes du poissonnier puis distribué dans l’un des milliers de restaurants qui le proposera en sushi ou sashimi à un consommateur averti !
A la fin de la criée du marché Tsukiji, les hangars se vident et les marchands refluent vers les échoppes, où s’entassent dans des aquariums, des boîtes de polystyrène, des caisses en bois ou des bacs de métal toute la richesse des fonds marins: coques, coquillages, noix de St Jacques, crevettes, langoustes, huîtres géantes, sèches noyées dans leur encre, tourteaux, crabes aux longues pattes repliées (et pour cause, on leur a sectionné les tendons!), araignées de mer, anguilles avec une profonde entaille derrière la nuque, calamars, poulpes, sardines, soles, toutes sortes de poissons dont un magnifique, rouge-orangé, l’œil translucide. Et j’allais oublier les caissons d’algues vertes, brunes ou pourpres, sèches comme de la ficelle ou encore gluantes et qui sentent la vieille marée … Souvent, les poissons sont gardés vivants dans des aquariums surpeuplés. Au moment de préparer sa commande, le poissonnier en attrape un, le couche sur sa planche de travail, lui sectionne « son arrête vertébrale » au niveau de la tête puis de la queue et comme le poisson s’entête à tressauter, enfile une longue tige de métal dans son « arrête vertébrale » pour le décérébrer. Âme sensible s’abstenir. A un détour, je tombe sur une tortue. Déjà dans un bac de polystyrène, empêtrée dans un filet bleu, elle cherche à s’en défaire et pousse sa tête vers le haut, dans un mouvement convulsif. Surprise, je regarde le poissonnier et lui demande par signe si elle est destinée à être mangée. Il croise ses avant-bras, signe de dénégation et me tourne le dos. … Naïve que je suis …
Tout est nettoyé à grands jets d’eau. Ce marché Tsukiji est, comme la ville, d’une très grande propreté, l’eau coule en abondance dans les travées et disparait rapidement chargée de détritus et de viscères, par les nombreuses bouches d’égout. Une odeur, légèrement âcre mais fraîche, flotte partout.
Dans les échoppes, qui ne dépassent pas 15 m2 chacune, chacun s’affaire à la préparation des commandes ou à répondre aux acheteurs, particuliers ou grossistes, qui se promènent, l’œil aux aguets. Cette activité de ruche au marché Tsukiji ferait presque oublier un autre personnage, coincé derrière l’étroite fenêtre de son petit réduit, lunettes cerclés d’or sur le nez, celui qui veille sur les comptes. Pas d’informatique ici, juste des boules pour calculer, des piques de métal pour enfiler bons de livraison et factures et l’inusable petit cahier noir couvert de chiffres qui assure aux employés qu’ils ne se seront pas levés pour rien au milieu de la nuit !
Je hèle un taxi pour retourner à l’hôtel et y retrouver mes collègues. Je souris en pensant qu’il me sera quelque peu difficile de partager avec eux cette expérience et visite du marché Tsukiji, autour du « continental breakfast » d’un grand hôtel international, toute cette ambiance de marché, ces hommes en botte et sabre au clair dans le petit matin, ces poissons dans leur sang … … Mais j’essaierai, promis !