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Casa nostra : l’équivoque selon Nathan Nicholovitch

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Le titre, bien entendu, prête volontairement à équivoque. Il indique un lien très fort et même la présence d’un clan ; le retour à une origine commune. La remarque qui accompagne le film par contre n’y prête pas : « Nous dirons les choses au fur et à mesure que nous les verrons et que nous les saurons. Ce qui doit rester obscur le restera malgré tout. »

Et le film reste en effet obscur, dans le noir du blanc, là où il nous est possible de tout imaginer. Ou plutôt, pour mieux dire, il accepte la part obscure et encore incertaine de chacun de ses personnages. Il laisse une grand part de liberté à l’interprétation. Il laisse à chacun la liberté d’aimer l’autre et, tour à tour, de le détester ou de s’accrocher avec l’espoir qu’on peut former de nouveau une famille.

C’est le sujet. Nous sommes invités à participer. A égalité, en quelque sorte !

Ils forment un trio : Hélène, Ben et Mathilde, trois enfants du même père et de la même mère. Chacun vit ses propres aventures amoureuses, plutôt mal ; enfin comme ils le peuvent ! Un seul d’entre eux écrit le récit fondateur de la maison commune. Un seul sait mettre des mots dans la bouche du père et en même temps les mettre en scène. Les autres dessinent le père par des mots maladroits. Mais au fond, travaillés ou spontanés, ces mots sont les mêmes.

Le format du film est carré. Inhabituel donc. De manière à ce que le hors-champ – invisible mais sonore – soit important, laissant la place à l’imaginaire. Comme dans une lucarne, une fenêtre qui doit suffire. Pas plus, pas moins ! Autosuffisante, comme au théâtre, quand la scène est frontale et qu’on ne peut avoir au moment où l’on regarde, qu’un seul point de vue. Celui de la scène. Parce que les paroles dites, les corps et les visages aperçus constituent le message, tout le message. Corps et visages en noir et blanc, comme pris par un projecteur de poursuite, même s’ils sont au café, sur la route, dans une chambre, dans un bureau. Une égalité qui nous laisse libre, ensuite de chercher, nous aussi, le projecteur imaginaire qui nous poursuit.

Et au centre du trio si plein de vie, un seul acteur réussit à incarner le vide, la place absente, en racontant le poids de sa vie. Le seul à s’incarner comme au théâtre, là où sous le feu des éclairages il  devient enfin, pour la première fois peut-être quelqu’un de reconnaissable. Plus seulement un ouvrier, un bon ouvrier, mais une personne identifiée.

Au-delà de cette scène carrée commence notre domaine. Celui où nous allons partager nos propres secrets avec les leurs. Ensuite, quand nous chercherons seuls.

Les acteurs se connaissent, sans doute parce qu’ils ne sont pas « connus » et qu’ils ont longtemps travaillé ensemble, en amont. « Travailler sur la famille en famille » écrit l’auteur. Et ainsi, nous apprenons à les connaître sans mettre de noms sur eux, sans a priori, comme avec de nouvelles relations.

Ils ont la trentaine. Ils ne sont pas mûrs. Ils gaminent encore. Ils ne sont pas vraiment en âge de perdre leur père, ni de faire face à l’absence de regret de la mère, ni à se confronter à une douleur qu’ils n’imaginaient même pas ce point. Ils ne sont prêts à rien sinon à fanfaronner, parce que la vie est encore disposée devant eux.

Leur chemin est un peu flou, il passe par des étapes bizarres, par la nécessité de négocier avec les difficultés quotidiennes, par la nécessité de travailler sur rien, sur ce qu’on n’aime pas faire, voire même parfois en laissant parler des inconnus qui devraient devenir des autres, reconnus, mais que l’enregistrement dispose, côte à côte, comme dans une collection d’études de cas. Indifférence, malaise !

Des électrons libres, dont les amours peuvent enfin devenir solidaires en aidant le frère à retrouver celle qu’il pense aimer, en gardant patience devant ses errements, avant de rejoindre le seul endroit qui vaille : celui où se trouvent les meubles, les jouets et les souvenirs de l’enfance. Et le corps du père. Et la famille réunie qui prend part à une célébration de l’invisible. Avant de déclencher le projecteur super 8, celui dont l’image carrée constitue l’ombilic commun.

Le film est sorti mi-avril. Comme souvent à Strasbourg, le metteur en scène, le metteur en image était là. Quelques jours avant la sortie nationale. Inquiet ! Avec un immense besoin d’amour. Faire un film à petit budget – auto-produit – avec l’aide tutélaire de l’Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion signifie se battre, venir expliquer, demander de l’attention.

Et il y avait de l’attention ce soir-là à Strasbourg. Je dirais surtout qu’il y en avait parce que le film disait l’amour des acteurs entre eux et avec celui qui les a rapprochés et que cet amour-là avait donné naissance à une œuvre. Et il y avait un regard, en permanence, un regard entre eux dont témoigne l’affiche du film et un regard vers nous, comme vers une partie de la famille dispersée.

Voilà donc un objet singulier dont il faut absolument parler en disant à l’oreille de ceux qu’on apprécie: il faut aller le voir, c’est un cadeau. Il est lui aussi spécial et un peu unique, comme le film.

Trois paroles.

Hélène, l’ainée : « Un soir – je me souviens, j’étais couchée, j’étais seule. J’avais passé la journée avec Aminta Grassi, ma belle-mère. Une femme solide, plaintive et grossière. Elle avait passé son après-midi à me parler de son fils tout en regardant par terre. Nous étions mariés depuis trois ans et nos disputes étaient incessantes, déjà pleines de regrets, de ressentiments. Je me renfermais chaque jour un peu plus – il le payait au lit : je ne voulais plus. J’éprouvais une violente répulsion dès les premières caresses, j’aurais voulu le frapper. Enfin ce soir-là, une trêve nous était permise- il était en déplacement. »

Ben, le cadet : « Au matin, une fois que mon corps a perdu toute maîtrise, toute conscience, j’accomplis le terrible effort de me relever. J’éprouve le besoin de voir mon visage dans un miroir, tordu par l’alcool, par les drogues et par le reste. Je sens toute la fatigue sous mon crâne mais ma colère a disparu. Dans le miroir je vois mon père, ma mère est là aussi – comme deux animaux tristes. Ils sont là, très proches, ils ont l’air mort. »

Mathilde, la dernière : « Après je me souviens du visage de maman – « Maman – il faut que je te parle…» Elle s’est retournée- elle était assise, il y avait du chahut autour de la table, on fêtait les 50 ans de Walter. Elle a plongé son regard dans le mien et elle m’a dit : «Tu es enceinte» J’ai acquiescé. Une expression de fureur lui a déformé le visage puis elle s’est détournée. Comme pour prendre la mesure de ce qu’il lui arrivait – comme si c’était de sa faute. »

Michel Thomas-Penette

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