Quelques jours plus tard, Nulco reçut un coup de bigophone affolé de sa sinistrette de l’écologie et du mouvement perpétuel, Juana Thémi Katouraté, nouvellement nommée (promotion tatami) et totalement perturbée par ce qu’elle découvrait.
Nulco et les catastrophes naturelles
CHAPITRE 4
– Majesté, je suis en train de survoler le volcan Nijiyamaanakarakurumymayaparam en compagnie de Nicolas Bulot. Nous sommes très inquiets. Il vient de se produire une éruption monstrueuse !
-Et alors ? Qu’est-ce que j’en ai à battre, grogna le petit homme qui avait bien d’autres chats à fouetter.
– Mais c’est qu’il crache des tonnes et des tonnes de poussières de carbone ! Un nuage immense qui s’étend déjà sur des milliers de kilomètres carrés…
– Thémi, vous n’allez pas recommencer avec vos histoires de carbone ! Vous aurez beau faire, je ne reviendrai plus là-dessus. La taxe carbone a été renvoyée aux calendes grecques. Et ne comptez pas sur moi pour venir calmer ce volcan ! Je sais que mes pouvoirs sont immenses, mais quand même… Je fatigue un peu ces temps-ci. Au fait, où se trouve-t-il ce gros cochon de pollueur ?
– En plein centre de l’EastLand, là où Bullberne avait situé le départ de son « Voyage au centre de la terre »…
Bien entendu, Nulco ne saisit pas la fine allusion littéraire et répondit complètement à côté de la question : « L’enfer ? La porte des enfers ? Mais qu’êtes-vous donc allé faire dans cette galère ? »
– Sire, c’est vous-même qui m’y avez envoyée en mission spéciale. Je devais vous trouver une petite catastrophe naturelle pour faire oublier les autres problèmes. Une brillante intervention de votre part aurait pu redorer votre blason. Et puis Nicolas pensait que…
– Il pourrait pas arrêter un peu de penser, le Bulot… grogna le Gouverneur.
– Oui mais les experts climatologues et géologues les plus chevronnés sont tous d’accord, ergota la péronnelle. Ce nuage de poussière va recouvrir la totalité de l’Euroland et une partie de l’Empire des Ours Blancs et gravement perturber tout le trafic aérien. Les engrenages des pédaliers des aéroplanes vont se gripper, les ventilateurs de refroidissement se retrouver coincés et les panneaux solaires ne plus pouvoir produire d’énergie… Il va absolument falloir interdire sine die toute circulation dans les airs !
Très dubitatif, Nulco raccrocha. Il posa ses escarpins à talonnettes sur son bureau et resta un long moment songeur. Il commençait à en avoir par-dessus la tête de toutes ces catastrophes naturelles. Il lui semblaient les voir s’enchaîner avec un malin plaisir. A peine l’une d’elle était-elle terminée qu’il en surgissait une autre. Et chacune, au lieu de lui permettre d’avoir le beau rôle du sauveteur, de l’organisateur ou du précautionneux, l’enfonçait un peu plus que la précédente. Il avait dû subir l’histoire ridicule de la grippe cochonne (voir épisodes précédents) si bêtement gérée par Rosamonde Bachelotte qu’il s’en était tiré couvert de honte avec 70 millions de doses de vaccins inutilisés et bientôt périmés (bonjour le gaspillage); puis celle du « réchauffement » climatique avec un hiver tellement glacial qu’il avait vite fallu remplacer le terme par « dérèglement », puis par « troubles climatiques » avant de tout balancer aux oubliettes. D’ailleurs, maintenant le professeur Allégro, grand pourfendeur de réchauffistes, avait beau jeu de répéter partout : « Je vous l’avais bien dit… Tout ce réchauffement, c’était que de la c… » Un bobard, une salade de plus dont l’évocation laissait de marbre le bon peuple. Prudent, le gouverneur avait donc mis une sourdine sur le sifflet de la cocotte-minute écologiste en attendant des jours plus favorables tels ceux d’une bonne canicule, sans doute au coeur de l’été, qui lui permettraient de hurler à nouveau avec Bulot et Bertrand…
Puis était survenu le raz de marée Xénia qui avait ravagé le littoral de l’Océan Occidental. Des maisons construites sous le niveau de la mer et derrière des digues datant de Matt Usalem avaient été submergées par les flots. De malheureux Hobbitts étaient morts noyés. La vraie catastrophe naturelle imprévue. Un concentré de malchance. A défaut de prévenir le mal, il était impératif de faire en sorte que cela ne se reproduise plus jamais, jamais, jamais ! Même si une conjonction de facteurs combinés aggravant comme une marée de coefficient exceptionnel, plus un vent de force rare soufflant en tempête proche du typhon ne se produisait qu’en gros tous les demi-siècle, il fallait agir vite et fort, principe de précaution obligeant plus que noblesse !
Nulco eut alors l’idée de proposer (c’est à dire d’imposer) que toutes les constructions situées dans les zones à risques soient rasées. Avec l’argent du contribuable, l’état comtois indemniserait les propriétaires avec sa munificence habituelle. Le petit homme en escomptait en retour reconnaissance éternelle et admiration béate des heureux bénéficiaires. N’était-il pas l’homme politique le plus génial de la galaxie ? N’avait-il pas jugulé la crise économique mondiale en rejetant les nuages de flouon et de baraton hors des frontières du pays, n’avait-il pas combattu (presque victorieusement) Hosanna et ses cruels Balitrans dans le lointain Gaganistan ? (voir épisodes précédents) Quoi de mieux qu’un joli raz de marée pour le remettre à flots ? Eh bien non ! Il fallut que des fonctionnaires aussi crétins que zélés inscrivent sur leurs listes noires des habitations n’ayant pas vu arriver la moindre vaguelette dans leur salon pour que le pays du littoral ouest entre en rébellion et pour que sa cote tombe en dessous du niveau de la mer…
– Evidemment, quand on est secondé par des incapables…
Une fois de plus, il fallut faire machine arrière et tout geler en attendant que les esprits échauffés se calment… Voilà pourquoi notre homme était devenu méfiant avec ces affaires de catastrophes naturelles. Mais là, le risque était grand que des aéroplanes soient gênés aux entournures et aient l’outrecuidance de s’écraser au sol. Nicolas Bulot l’affirmait, Arthurus Bertrand le confirmait. Que ne dirait-on pas si on ne faisait rien devant pareil danger ? Il décida donc de provoquer une conférence multilatérale bigophonique à distance avec ses partenaires habituels : Kermel, la teutonne, Morton Blue, l’ongle en fin de course, Bottine, l’empereur des Ours Blancs, Ouba-Ouba, celui du Soda Sucré et pour faire bonne mesure, Fondupuits, l’ectoplasmique chairman de l’Euroland.
– Nous devons immédiatement faire cesser tout trafic aérien, fit Nulco.
– Absolument d’accord, approuva l’empereur beige qui n’était pas concerné car les vents dominants poussaient le gros vilain nuage de poussière loin de son territoire.
– Oui, mais ça va coûter des milliards de dolros aux compagnies aériennes. Elles sont déjà dans le rouge… gémit Morton Blue toujours soucieux des intérêts économiques.
– Moi, je suis sur la ligne du Gouverneur Nulco, appuya Bottine qui savait que ses avions Buboleff à pédales ne valaient pas un clou vu que l’un d’entre eux venait de s’écraser sans avoir absorbé un grain de poussière, entraînant dans la mort le président de la Lopogne, sa femme, tout son gouvernement et tout son état-major militaire ou presque. Mais, après tout, quelle idée de vouloir gratter quelques sous en volant sur des charters avec tarif de groupe !
Seule avec son gros bon sens, la mère Kermel tenta de placer quelques objections : « Avant de clouer les aéroplanes au sol, on pourrait faire quelques essais de vol à vide… Les faire voler à moins haute altitude que le nuage… L’éviter, le contourner… » Mais personne n’en tint compte. Résultat : une paralysie aérienne totale pendant une bonne quinzaine de jours. Des millions de Hobbitts désemparés campant dans tous les aéroports du monde, des pertes financières colossales, une pagaille et un gâchis indescriptible. Des fleurs fanées, des fruits pourris plein les hangars. Un manque de pièces détachées obligeant à arrêter des chaînes de production. Et tout cela, pour revenir sur cette mesure draconienne de précaution et pour reprendre les vols en catimini…
Avec comme dégât collatéral mineur : impossibilité pour Nulco d’assister aux obsèques du jumeau Katastrovsky, président de Lopogne, ce qui ne le dérangea nullement car il ne pouvait pas blairer ce gros facho… Et avec un autre, majeur pour lui : ses conseillers n’osaient même plus lui montrer les résultats des derniers relevés de thermomètres de l’opinion. Les Hobbitts jugeaient à plus de 80% que sa gestion des catastrophes était… catastrophique. Certains l’accusaient même d’ajouter du malheur au malheur, de la tristesse à la tristesse et même de venir achever les rescapés avec des décisions idiotes. Les gens sont méchants…
Et c’est sur ces entrefaites qu’il apprit qu’une marée noire exceptionnelle s’avançait vers les côtes sud de l’Empire du Soda Sucré de son ami Ouba. Cette fois, il était persuadé qu’il allait enfin pouvoir tirer les marrons du feu médiatique. Et à peu de frais. Il se fendit d’un message de condoléances et de compassion et donna des instructions très précises à Juana Thémi Katouraté : « Vous êtes autorisée à survoler la zone sinistrée en ULM solaire, même en compagnie de l’ami Bulot, si cela vous chante. Mais surtout, vous ne faîtes rien, rien du tout. C’est clair ? »
– On pourrait pas envoyer l’armée, la Marine ?
– Pas question, malheureuse !
– Faire brûler l’huile noire ? La bombarder pour qu’elle s’enflamme ?
– Vous n’y pensez pas. Un coup de vent contraire et avec notre chance habituelle, on se retrouve avec un porte-pédalo d’attaque transformé en brûlot avec plein de morts à la clé ! Non, rien, que dalle ! Juste de la compassion et des simagrées…
– Oui, mais quand la merde noire aura bien dégueulassé toute la côte, on pourrait envoyer des volontaires ou des troufions pour aider à nettoyer les bayous. Bulot et Bertrand m’ont dit que ce sont des milieux fragiles où plein d’espèces viennent nicher… Majesté, il faut sauver les oiseaux, les poissons, les crevettes… Pensez aux pauvres lamantins, à leur souffrance quand ils vont être goudronnés…
– Ne me croyez pas sans coeur, Juana. Ce que vous me racontez, Bianca me le chante tous les jours. Mais quand on a la scoumoune, on ne peut pas agir comme si on avait la baraka… Vous voyez où je veux en venir ?
– Pas du tout. Chez moi, on ne m’a pas appris à parler le djeune.
– Ecoutez, reine des tatamis. Bourreleau est d’accord. Ce coup-ci, on ne fait rien. On se la joue détaché. Et attention à obtempérer !
Il raccrocha sans attendre la réponse. En bon politique, il n’aimait que les raisonnements simples et les opérations juteuses. Quand il agissait, ou plutôt quand il s’agitait pour faire semblant d’agir, à chaque fois, il y laissait des plumes et finissait toujours par passer pour un incapable ou un crétin. En ne faisant rien, peut-être allait-il enfin être approuvé par son peuple… Après tout, cette tactique n’avait pas si mal réussi à son prédécesseur Ben Sirak le pas Sage qui avait bâti toute sa carrière sur l’adage : « Il n’est problème qu’une absence de solution ne finisse par résoudre. »
(La « Saga d’un petit homme, tome 2 » est un livre inédit de CC.RIDER. Tous droits réservés)
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