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Opération finale ; la capture d’Eichmann entre espionnage et duel psychologique

opération finale eichmann incarné par ben kingsley

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Opération finale est un film d’espionnage historique racontant la capture et les péripéties de l’extradition depuis l’Argentine jusqu’en Israël du nazi Adolf Eichmann, qui vécut jusqu’en 1960 en Argentine. Eichmann fut le premier dignitaire du IIIème Reich à être jugé à Jérusalem devant les témoins de ses ignominies.

A une ou deux exceptions près, je ne refuse jamais une invitation pour mesurer le talent de Ben Kingsley, d’autant que sa capacité à varier les personnages durant sa carrière, m’a toujours paru exceptionnelle… Une appropriation voire une incarnation, qui fait oublier l’acteur pour ne retenir que le personnage et son destin, c’est la promesse que Ben Kingsley me fait, quand je vois son nom en tête d’affiche. Ici, je suis tentée de voir comment l’un des rescapés de la Liste de Schindler se fondra à merveille, je n’en doute pas, dans la peau d’un des principaux criminels nazis, ayant mis en oeuvre la solution finale lors de la conférence de Wannsee.

Opération finale critique du film de Chris Weitz

De facture classique sur le fond et la forme, Opération finale fait partie de ces films moyens, ni vraiment réussis et convaincants, ni trop décevants, car le réalisateur Chris Weitz n’a pas osé ou su choisir la ou les voie(s) qu’il voulait vraiment emprunter pour creuser son sujet et nourrir la matière avec une démarche claire. L’histoire est a tout pour captiver le spectateur a priori et la réalisation est soignée. Si la rigueur historique n’est guère questionnée par des références limitées à des événements spécifiques et un recours appuyé aux témoignages des principaux intéressés comme les souvenirs de Peter Malkin rapportés dans un livre, le manque d’engagement du réalisateur se ressent de bout en bout et déçoit plus encore au terme du film.

Un drame historique balançant entre espionnage et drame psychologique

Eichmann, directeur du bureau des affaires juives et parmi les principaux organisateurs des massacres des Juifs, faisait partie de ces nazis qui ont réussi à migrer vers l’Amérique du sud, à la fin de la seconde guerre mondiale. Jusqu’en 1960, il y vécut en toute tranquillité sous le nom de Ricardo Klement. Eichmann avait été repéré depuis 1956, mais la justice montrait à l’époque assez peu d’empressement pour juger les Nazis. L’Allemagne était peu encline à lancer un mandat international via Interpol pour obtenir son arrestation, et l’ambassadeur d’Allemagne à Buenos Aires fut lui aussi découragé par la lenteur des démarches. L’Israël de la fin des années 50 et du début des années 60 n’était pas forcément plus motivée par la « traque des nazis », en estimant que d’autres défis que la vengeance ou la justice à l’encontre des nazis survivants s’imposaient. A commencer par le contrôle de la menace représentée par le voisin égyptien.

En mai 1960, des agents du Mossad, le Service de renseignement israélien, séquestrent d’Eichmann dans la banlieue de Buenos Aires pour le transporter à Jérusalem en vue d’un jugement par un tribunal israélien. Après le fameux procès de Nuremberg qui avait de trop près suivi la guerre, le procès d’Eichmann eut une portée hautement significative à la dimension internationale, d’autant qu’il éclaira le monde sur les atrocités perpétrées à l’égard des Juifs par les Nazis, alors que pendant cette période, la Shoah était restée assez tabou, surtout pour les rescapés et était encore qualifiée d’Holocauste.

opération finale adolf eichmann incarné par ben kingsley

Le cadre historique est très brièvement posé dès le début du film et l’intrigue n’omet pas le rôle majeur que le procureur allemand d’origine juive Fritz Bauer, joua dans l’enquête pour retrouver les criminels nazis, dont Eichmann. Le contexte politique dépeint est respecté, même s’il eut gagné à être un peu plus explicité pour les non initiés. Opération Finale se concentre sur les jours et heures précédant la capture, les préparatifs, réduits finalement à leur base, et les difficultés apparaissant pendant la captivité et jusqu’à ce que l’avion au bord duquel est embarqué Eichmann puisse décoller. Peu de choses sur la police et les autorités locales, amenées à intervenir à l’encontre des agents du Mossad seront révélées, si ce n’est pendant quelques minutes.

Le film mêle néanmoins les ingrédients d’une bonne intrigue d’espionnage reposant sur une histoire basée sur des faits réels, avec l’opération de capture, la séquestration, et l’extradition à haut risque et une forme de huis-clos, qui se met en place avec les agents du Mossad chargés de convaincre Eichmann de reconnaître son identité et d’accepter son procès en terre d’Israël. En bon film hollywoodien, le scénario est agrémenté de quelques rebondissements, visiblement inventés si l’on se reporte aux témoignages d’époque des intéressés, mais destinés à apporter un peu d’action.

Les décisions et les actes de cet « architecte de la Solution Finale » sont à peine effleurés et ne livreront pas une matière historique suffisamment satisfaisante pour donner un film une vocation éducative. Par de courtes bribes, les souvenirs des agents permettent d’évoquer la Shoah, qui ne portait pas encore ce nom et le rôle d’Eichmann, même si l’on peut toujours regretter que ce rôle ne soit pas mieux approfondi, pour comprendre qui était Eichmann dans le rouage du IIIème reich.

Un face à face et un dilemme

Eichmann est incarné par un Ben Kingsley solide et très convaincant, comme à son habitude, alors que les autres acteurs restent assez anonymes, à l’exception d’Oscar Isaac, qui apporte une intéressante touche de sensibilité à Peter Malkin. Leur confrontation réserve les meilleurs moments du film.

Opération finale confrontation  eichman et Peter Malkin ben kingley oscar isaac

Ce qui est le plus réussi dans Opération finale, c’est la phase de confrontation psychologique ; faisant ainsi basculer le thriller d’espionnage historique dans une autre dimension très psychologique, jusqu’à la plongée dans le dilemme de Malkin (et de ses compagnons) entre le désir de justice et celui de la vengeance. Le personnage de Peter Malkin est probablement le plus intéressant du groupe, d’autant qu’il met en lumière par son obstination, la capacité de manipulation et la forte personnalité perverse d’Eichmann, qui ne tente pas comme d’autres dignitaires nazis de légitimer ses actes. La Justice part du principe qu’un accusé, quel que soit la gravité de ses crimes, puisse être poursuivi, défendu et jugé selon les principes définis par le droit d’un Etat.

Le scénariste Matthew Orton  s’inspire volontiers du livre de Peter Malkin et du documentaire dédié à sa rencontre avec Eichmann et étayé par la capture de conversations, Peter Malkin, qui a lui-même perdu une grande partie de sa famille durant la Shoah, dont sa soeur Fruma et ses trois enfants, a beau en être initialement convaincu du bien-fondé de la Justice au nom des victimes du génocide des Juifs, ses propres valeurs semblent parfois vaciller lors de certains échanges. Le but initial d’obtenir cet accord d’Eichmann pour son extradition devient anecdotique, quad la confrontation met à l’épreuve les certitudes sur le Mal. Car le Mal peut être d’une terrible banalité et Eichmann ressemble à un bourreau….

Mis à part pendant un court moment, inutile dans le film mais dont la vocation était de faire apparaître la véritable pensée d’Eichmann, Ben Kingsley échappe à la tentation de réduire Eichmann à un psychopathe ou encore un monstre. Il définit les limites de ce personnage aux discours en apparence moins idéologiques que ceux de certains autres artisans de la Shoah et dignitaires du IIIème Reich. En apparence seulement et là est toute l’ambivalence sur ce qui définit un bourreau, un exécutant, un criminel et un penseur de la solution finale ou tout à la fois… Pour Eichmann, il fallait différencier les décisionnaires et dirigeants responsables d’ignominies et les instruments du pouvoir, censés appliquer leurs ordres, sans avoir à penser ni mot dire. Bien sûr, Eichmann plaide lors de son procès et face à Malkin et se reconnaît dans cette seconde catégorie, qui selon lui n’a pas à se sentir coupable, du fait que des leaders responsables aient commis des atrocités qu’il affirme ne pas avoir cautionné.

Opération finale ben kingley dans le role d'eichman et oscar isaac dans celui de Peter Malkin

Le procès, qui était le premier à se tenir devant les témoins de la Shoah, en Israël, est à peine effleuré. Bien qu’il dure 2h et qu’il pâtisse de quelques longueurs, Opération finale échoue surtout par l’absence de choix et d’approfondissement des pistes qu’un tel sujet ouvrait …. Le déroulement du procès se réduit à quelques minutes sans grand intérêt, des plans d’un inculpé impassible ou observateur derrière les vitres de sa cage, alors qu’elles auraient pu servir à identifier et comprendre ce que la « rationalité nazie » exceptionnelle dont avaient fait preuve Eichmann dans le traitement de la question juive. Il est dommage que le film n’ait pas profité de l’occasion pour montrer au moins cette « banalité du mal » si bien mise en exergue par la philosophe Hannah Arendt, connue pour ses travaux sur l’origine du totalitarisme et à laquelle un film sobrement appelé Hanna Arendt, fut consacré. Je ne peux que vous encourager à lire l’article Eichmann à Jérusalem pour cerner ce qu’il manque à mon sens à la conclusion du film Opération finale.

A l’époque, en 1962, des relations diplomatiques émergent entre l’Allemagne de l’ouest et lsraël : le contexte est donc encore plus particulier, puisqu’il est essentiel pour Israël et pour le procureur lors du procès de ne pas menacer ces liens, en insistant bien sur le fait que seule l’Allemagne Nazie est ici jugée. Pour saisir cette dimension, si vous ne voulez pas plonger dans les livres d’histoire, il faudra vous tourner vers des films comme Eichmann de Robert Young, (trop bavarde néanmoins), et Hannah Arendt.

Finalement, chaque partie du film est traitée trop superficiellement pour captiver la spectatrice que je suis, ni néophyte, ni érudite, mais suffisamment bien informée pour connaître déjà l’essentiel des informations révélées dans le film et avoir envie d’explorer davantage la personnalité d’Eichmann à cette occasion…

Eichmann a été pendu le 1er juin 1962 à Ramle près de Tel Aviv.


Disponible du Netflix

Bien qu’ancienne et romancée, la saga Holocauste, mini série de 8h, reste une introduction intéressante sur les étapes de la Solution finale, en partant de la promulgation des lois antijuives de Nuremberg.

Sandrine Monllor (Fuchinran)

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