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Portrait d’homme : Journal d’un corps, Daniel Pennac

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Celui-là est bien un homme en effet. Douillet, toujours à se regarder : sa peau, ses yeux, les productions de son corps, les petites comme les grandes, les glorieuses comme les honteuses. Ses muscles, les tavelures qui apparaissent, ses difficultés à faire venir le sang là où il doit converger pour aider un bon amant à être performant. Toujours à penser qu’il est gravement malade. Voilà donc un héros touchant, d’autant plus touchant que le journal de son corps se poursuit de septembre 1936 à octobre 2010. Une longue et belle vie sans psychanalyste, ou presque. Simplement des cahiers accumulés qui aboutiront forcément entre les mains de sa préférée, sa fille, pour laquelle il les met déjà en scène et en prépare l’édition. Car il a envie qu’ils soient publiés. Pas tout. Encore que !

C’est vrai qu’il faut lire ce livre dans la continuité d’une écriture qui va son chemin, paradoxalement sans vieillissement, alors qu’elle ne parle que de métamorphose. On sait que Pennac fut – est – un écrivain prodige et donc que la maturité lui arrive tôt. Mais au moins là, personne n’est dupe. C’est un homme de 87 ans qui écrit et exécute d’un trait, dans la continuité, le portrait du meilleur ami avec lequel il ait vécu jusqu’à sa mort proche : lui-même. Personne n’est dupe. Mais pourtant nous voulons bien y croire !  Comme dans les romans ! Il faut donc disposer d’une dizaine d’heures en continu pour en saisir vraiment la volupté : un déroulement qui passe par le déploiement du corps, de l’effacement dans lequel ses parents le place : devenir le fantôme d’un père mourant dans un après-guerre trop vide de sens, à l’épanouissement dans la résistance corporelle contre un ennemi revenu frapper dans la guerre suivante. Quand le corps est ainsi rétabli, la vie peut commencer.

J’ai eu la chance de traverser l’Italie du nord, la Suisse, puis l’Alsace dans l’éblouissement des lacs étincelants et des Alpes bleuies de soleil, du mont Rose à la Jungfrau, avec ce livre ouvert devant moi. Ne me demandez donc pas pourquoi mes voisins italophones, germanophones, « suissophones » ou francophones m’ont regardé étrangement quand je ne pouvais m’empêcher de rire.

Soyons sérieux pourtant. On finit par se lasser. Je devrais mieux dire, j’ai fini par me lasser, au fur et à mesure où j’arrivais en 1989. Je suis même allé voir assez rapidement par là…quand le personnage flirtait avec les 65 ans et demi… Superstition ? : « Ces oublis qui se répètent de plus en plus…Blocage soudain au milieu d’une phrase, silence stupide devant l’inconnu qui crie joyeusement mon prénom, confusion face à une femme aimée jadis et dont le visage ne me dit rien (elles n’ont pourtant pas été si nombreuses !), titre de livres oubliés aussitôt qu’il faut les citer, objets égarés, promesses qui m’engageaient et qu’on me reproche de n’avoir pas tenues… » Bon, si ce n’est que cela, je veux bien vivre ainsi jusqu’à 87 ans. Internet est là pour retrouver les mots perdus, dès l’instant où on est encore capable de faire une périphrase et quelques mots lancés sur un petit fragment de papier servent encore à ne pas oublier l’enchaînement des idées lors d’une conférence…

Revenons à l’adolescence. Les souvenirs en sont si précieux, même si on a souffert.

Trois livres lus à la suite et qui portent tous trois sur la mémoire et ceci de la part de trois auteurs qui ont sensiblement le même âge. Merci à eux de me replacer ainsi dans leur propre jeunesse ! Mais il ne faudrait pas que toute la littérature occidentale devienne peu à peu une vaste leçon de sagesse avec pour seul message d’apprendre à vieillir en dominant le temps. Il faudrait que je fasse la place aux vrais jeunes  dans mes lectures ! Enfin une fois que j’aurai rencontré Claudio Magris à la fin de cette semaine, puis Dominique Fernandez, Elias Sanbar et Stéphane Hessel la semaine prochaine.

Leçon de choses, ou plutôt leçon de corps. Vivre toute sa vie avec l’image d’un écorché du Larousse, de surcroit asexué, il est vrai que cela permet de prétendre savoir où se trouve exactement le foie et la vésicule biliaire. Mais dieu sait que les encyclopédies de mes grands-parents étaient pesantes. Il sait aussi qu’on n’y trouvait pas grand-chose pour se préparer à la vraie vie, à part les symptômes de la syphilis…

Bon, enfin, il y des perles dans ce livre. A 13 ans, 3 mois, 27 jours, cette remarque : « Quand j’ai fait remarquer à papa que je n’étais plus un bébé et qu’il ne fallait plus qu’il me parle en italiques, il a répondu : Impossible mon garçon, c’est mon côté anglais. » Et aussi à 16 ans, 6 mois, 24 jours, l’invention du « Jeu de l’oie du dépucelage » : « Case 12 En tombant par hasard sur votre linge sale, votre oncle Georges vous félicite : vous êtes devenu un homme. Lancez les dés deux fois et avancez du nombre de cases indiqué par le total. » Et enfin cette dernière, 26 ans, 11 mois, 13 jours : « Ponctuation amoureuse de Mona : Confiez-moi cette virgule que j’en fasse un point d’exclamation. »

Entre portrait d’homme et de femme, le mystère subsiste pourtant. Dois-je continuer ces portraits encore longtemps ? 50 ans, 3 mois : « Si je devais rendre ce journal public, je le destinerais d’abord aux femmes. En retour, j’aimerais lire le journal qu’une femme aurait tenu de son corps. Histoire de lever un coin du mystère. En quoi consiste le mystère ? En ceci par exemple qu’un homme ignore tout ce que ressent une femme quant à la forme et au poids de ses seins, et que les femmes ne savent rien de ce que ressentent les hommes quant à l’encombrement de leur sexe. » Ce n’est pas de la philosophie, juste une pirouette. Sommes nous si différents devant le temps qui passe ?

Daniel Pennac. Journal d’un corps. NRF Gallimard. 2012. A écouter et à voir ce joli enchaînement d’images préparé par Gallimard.

Daniel Pennac et Georges Perec à l’honneur du Marathon des mots du 2 au 5 avril 2012. Au programme, cette année : des lectures, des rencontres, des ateliers de lecture à haute voix et un concours de lectures.




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