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Portrait de couples : l’été de Giacomo

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Voilà un OFNI, un objet filmé non identifié. Un film sur l’Eden. Un film d’avant le commencement du monde, ou bien un film venu d’un autre monde. Un garçon, une fille. Longuement filmés quand ils se rendent à la rivière à travers un sous-bois. Longuement filmés au bord de l’eau, dans un environnement calme formé de saules et d’herbes humides. Le garçon est sourd, la fille est timide. Ils se chamaillent. Ils se cherchent. Ils ne savent pas complètement pourquoi ils se cherchent ainsi, puisque l’amitié les lie depuis longtemps. Ils plongent et s’aspergent et se bombardent de paquets de boue. Ils paressent ensemble au soleil. Les vacances sont là dans une grande vacuité. Des parents ? Une société ? Non, rien ou presque puisque pour tous les deux la coupure avec le monde est forte.

Un garçon, le même et une autre fille. Avec celle-ci plus de chamailleries, d’agacement. Ils sont ensemble. Ils s’aiment et on entend soudain en voix off un texte lu par la jeune femme qui emploie des mots doux et des mots vrais pour dire son plaisir, son désir et la difficulté de la première fois. Sa lecture est difficile, même si le texte est émouvant et sensuel. Elle aussi est sourde.

Le cinéaste se nomme Alessandro Comodin. Il a étudié le cinéma à Bruxelles. Seul ce détail peut sans doute le relier aux frères Dardenne. Il a choisi de filmer de très près et de ne lâcher ses personnages, leur nuque, leur visage, des parties de leurs corps, que s’ils décident eux-mêmes de changer d’élément, de se rendre au large ou plutôt de prendre le large.

Son nom ne dira rien puisque c’est là son premier long métrage.

Les acteurs sont des amis, ou plutôt des amis de son frère. Ils ont grandi ensemble. Mais sont-ils des acteurs ? Oui certes puisqu’ils se trouvent sous le regard permanent de la caméra et que leurs voix, leurs phrases sont enregistrées. Mais en raison de l’accent du nord de l’Italie, des difficultés que des sourds ont parfois à articuler les mots de manière compréhensible, de l’emploi de mots crus, parfois de mots de patois, le dialogue est embryonnaire, rarement chuchoté, mais plus souvent crié, comme les sons d’une batterie. On regrette même parfois que le sous-titrage s’efforce de donner des équivalents aux phrases qui se répandent en se heurtant. Les spectateurs qui comprennent l’italien, même de manière réduite et intuitive, n’en n’ont pas besoin. En fait le vocabulaire de ces adolescents est réduit : une cinquantaine de mots tout au plus, dont certains reviennent régulièrement puisqu’ils masquent des sentiments qui ne peuvent pas s’analyser ou se dire complètement.

Des acteurs qui mènent le cinéaste et ses comparses par la laisse, comme des chiens que l’on laisse divaguer pour qu’ils trouvent eux-mêmes la piste du gibier. Ils ne jouent pas un rôle. Ils prennent leur plaisir à être là. Il n’y a rien d’autre d’essentiel. Juste de petites choses qui font le bonheur, affirme comme elle le peut la première fille.

Nous sommes dans l’absolu, plongés dans le temps qui passe. Les seuls incidents sont les insectes qui vibrent et que l’on doit chasser de la peau où ils se sont posés. Le temps est suspendu.

« À seize ans l’adolescent sait ce que c’est que souffrir ; car il a souffert lui-même ; mais à peine sait-il que d’autres êtres souffrent aussi, le voir sans le sentir n’est pas le savoir, &, comme je l’ai dit cent fois, l’enfant n’imaginant point ce que sentent les autres ne connaît de maux que les siens : mais quand le premier développement des sens allume en lui le feu de l’imagination, il commence à se sentir dans ses semblables, à s’émouvoir de leurs plaintes & à souffrir de leurs douleurs. C’est alors que le triste tableau de l’humanité souffrante doit porter à son cœur le premier attendrissement qu’il ait jamais éprouvé. » Rousseau, Emile ou de l’Education, Tome IV. Ce texte date de deux cent trente ans et le film d’une année seulement. Le second résonne parfaitement avec le premier et lui rend hommage. Comme il rend hommage à Ovide.

Sans phrases superflues, Alessando Comodin, nous parle de l’Education, de l’état de nature et des Métamorphoses avec une surprenante nouveauté, sans effets superflus. On comprend que son film ait reçu  le Léopard d’Or à Locarno et le Grand Prix du jury aux Entrevues de Belfort l’an passé.

Michel Thomas-Penette

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