Prendre Femme ou le dilemme d’une femme israélienne moderne qui rêve de quitter son mari pour aimer son amant, mais qui n’en a pas le courage à cause de sa famille bien trop attachée au respect des traditions du judaïsme …
Aimant beaucoup le cinéma israélien depuis plus de 20 ans, je ne pouvais rater le passage derrière la caméra de l’une des plus grandes actrices israéliennes avec Yaël Abecassis, j’ai nommé Ronit Elkabetz. En effet, cette superbe actrice (trop tôt disparu en avril 2016), a choisi de co-réaliser et coécrire avec son frère Schlomi l’histoire de leurs parents dans le film Prendre Femme : Ve’Lakhta Lehe Isha. Il se veut le premier épisode d’une trilogie de souvenirs complétée par Les 7 jours : Shiv’ah et Le Procès de Viviane Amsalem : Gett.
Prendre Femme, le dilemme d’une femme moderne dans l’Israël des années 70
Prendre Femme est avant tout une radioscopie sans concession d’une société, celle d’Israël ; d’une époque, les années 70… C’est la transition après le départ forcé du Maghreb pour bien des Juifs pieds Noirs… Cela s’incarne dans le mélange de langues, puis bien sûr le changement permanent d’états… On passe de l’hébreu au marocain, du français à l’hébreu avec ce sentiment que le choix de la langue en dit autant sur les désirs, les rêves et les habitudes de chacun que les mots exprimés dans la tension d’un couple qui survit…
Le personnage incarné par Ronit Elkabetz est celui d’une femme, Vivianne, mère de 4 enfants, qui est mariée à un homme qu’elle n’aime plus et qui vit dans son respect profond de la tradition juive (religieuse mais pas seulement). Elhianou (Simon Abkarian), son mari, parle français essentiellement, pour se replier plus encore dans cette tradition qui le rassure, alors qu’il s’éloigne toujours plus de sa femme éprise de liberté, de changements… Le fait que son ancien amant (Gilbert Melki) resurgisse dans sa vie ébranle alors son choix forcé de rester avec son mari, car ses 5 frères une nouvelle fois ont conclu pour elle que c’était son devoir, par respect pour son père et pour le rabbin …
Tragique portrait d’une femme juive ou l’impossible émancipation féminine
La regrettée Ronit Elkabetz est poignante dans son destin tragique de femme moderne qui ne peut rompre qu’intérieurement avec le poids du rôle des femmes juives, mais s’épuise dans l’ivresse du désespoir et du combat contre ses espoirs de changement. Cette trajectoire est d’autant plus forte que Ronit interprète en réalité le rôle de sa mère et on ressent bien tous les échos que le personnage fait naître dans son esprit de jeune femme plus libre en apparence, mais aussi imprégnée par l’histoire d’Israël.
Vivianne, c’est une femme, certes, mais dans cette société dominée par les lois du judaïsme où seuls les rabbins peuvent décider de la dissolution d’un mariage avec le complet consentement du mari, c’est avant tout une mère, qui se doit de rester épouse, même si plus rien ne la lie en réalité à son mari… Ce n’est pas un portrait de femme martyr, mais Ronit est habitée par son rôle et ses accès de colère, son rejet de sa vie, son désespoir et sa révolte transpirent à chaque instant que ce soit à travers ses regards, ses silences ou au contraire l’expression de sa « folie », de cette hystérie maintenant une tension insoutenable…
Le film Prendre femme se déroule comme un véritable huis-clos étouffant, cantonné surtout à la cuisine où se joue l’essentiel du drame à cause des repas du shabbat, qui sont autant de prétextes pour rappeler le sacrifice des rêves de Vivianne sur l’autel du devoir matriarcal… L’atmosphère est sombre, le trait réaliste, les traditions séfarades prennent une profondeur étonnante dans les détails du quotidien et le décalage qu’a pu vivre cette communauté lorsqu’elle a rejoint Israël où vivaient essentiellement des ashkénazes. La mise en scène rigoureuse ne retire rien au salutaire effort fourni par Schlomi et Ronit Elkabetz pour raconter le combat de l’émancipation féminine.
Prendre pour femme offre une vision éprouvante d’un couple en guerre qui ne va pas sans rappeler les ambiances à la Cassavettes. Après l’oppression des dialogues aux allures de monologues incompris, la mort du dialogue trahit le désespoir de toute une vie gâchée… Chacun se détruit petit à petit au nom d’une certaine notion du devoir, de l’honneur… On ne sort pas indemne d’un tel film qui développe une certaine cruauté mentale, qui éclaire des blessures intimes et une aliénation mutuelle sans issue…
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A propos du film Les sept jours qui est le 2ème volet de la trilogie, Ronit Elkabetz racontait : « Je suis en permanence à la recherche de mes racines. Je suis née de parents immigrés du Maroc. Mes fondements et ma culture sont pluriels, mais mon histoire, c’est Israël. «
A découvrir également le 3ème volet : Le Procès de Viviane Amsalem raconte le combat de Viviane Amsalem pour divorcer de son mari Elisha ; elle choisit d’affronter les juges pour ne pas se soumettre à la loi des rabbins et à l’impossible obtention du consentement de son époux.
Source des photos : allociné
- Biographie de Ronit Elkabetz sur Wikipedia
A voir absolument pour réaliser ce qu’est d’abord une religion : un mode de domination des hommes sur les femmes. Terrifiant !