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Prisons pour femmes

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desir crazy horse

Le titre aurait pu être également : « dans la tête des hommes ». Mais finalement le parallèle entre deux films : le « Crazy Horse » de Frédérik Wiseman et « Apollonide, souvenirs de la Maison Close » de Bertrand Bonello s’est imposé.

Au premier regard, le seul point commun semble être le champagne qui symbolise la fête et l’oubli et dont la présence sur les tables et dans les verres est destinée à ouvrir la porte d’un autre monde. Et puis le champagne c’est la France…Au second, il y a bien entendu le corps des femmes. Les formes cambrées des gazelles du Crazy  semblent prises dans la ligne claire des dessins de la bande dessinée ou dans les crayonnés de Jean-Claude Forest ; tenues à distance en quelque sorte, comme des épures. Elles sont donc bien différentes de celles des pensionnaires de bordels qui doivent au contraire par nature exalter la sensualité de leur corps dans la plénitude des formes qui débordent, offertes en saillie entre les dentelles de vêtements entre-ouverts.

 

Mais les deux cinéastes ont choisi dans une certaine mesure le même point de vue : celui de filmer l’enfermement.

Bonello ne fait que suggérer l’air de la rue qui entre avec les visiteurs. Et quand il sort vraiment sa caméra, c’est pour basculer le long des boulevards où les voitures s’arrêtent pour accepter l’appel des filles. Il signifie clairement qu’il s’agit là d’une autre prison qui, même à ciel ouvert, est bien plus dangereuse. Il veut nous faire comprendre les mécanismes d’un lieu clos.

Wiseman explore par bouffée les environs du « cabaret » : l’avenue Georges V et les abords de la Place de l’Alma, l’immeuble où travaille la costumière du Crazy et les bateaux mouches qui voguent sur la Seine. Quelques passants, quelques vélos et la terrasse ensoleillée de « Chez Francis ». Une des danseuses passe furtivement, comme un corps qui se sait anonyme en dehors de la scène. Des images qui auraient pu être prises par n’importe quel touriste qui domine mal sa caméra. On sait ainsi que l’on se trouve à Paris et que d’autres corps quotidiens sont vivants. Pas plus. Et sans cesse on redescend les marches qui mènent à la salle.

 

Mais dans le deux cas le sujet c’est bien la scène où les filles se montrent et les coulisses où elles se préparent. Les unes en se dénudant avec préciosité, les autres en s’habillant de parures superposées pour être mieux déshabillées ensuite. Les unes et les autres se frôlant dans la proximité d’une mise en scène dont elles seront les reines. Toutes enfin prises d’avance, dans le regard fantasmatique des hommes et parfois des femmes qui y retrouvent ou y projettent, pour chaque sexe, leurs propres fantasmes.

Prisonnières de murs surchargés de désirs, elles sont aussi prisonnières des lumières et des projecteurs. Elles sont chargées de jouer le rôle du gibier ou du leurre.

Qu’est-ce alors que l’art dans ces circonstances, sinon le récit d’un lieu ?

Le lieu dans les deux cas est un véritable personnage. Le personnage principal du film. C’est certainement le fil conducteur le plus direct entre le simple constat documentaire et l’œuvre. Il s’agit à vrai dire d’une histoire d’amour où chacun des deux cinéastes a fixé un moment de fascination.

Il y a bien entendu des intermédiaires qui construisent la narration : les organisateurs de l’espace : ceux qui regardent et ceux qui sont regardés. Mais il s’agit bien dans les deux cas de chorégraphies.

Bonello est un chorégraphe qui agence des groupes, des couples, voire des solitudes. Il fait en sorte qu’ils se croisent en permanence, dans un admirable ballet parlant, d’un érotisme somptueux et un peu vulgaire, juste comme il faut.

Wiseman agit par contre par intermédiaire. Il se met sur les traces d’un chorégraphe en détresse en se protégeant par une distance dans l’espace de laquelle chacun tire les ficelles à son tour, le cinéaste et le danseur.

Philippe Découflé a tenté de revoir un état d’esprit, ou pour mieux dire une légende qui lui est un peu étrangère et où il prétend apporter de la modernité, ce qui en l’occurrence est un terme bien peu adapté au Crazy. Il apparaît en permanence écartelé entre les grandes formes des Jeux Olympiques ou du défilé du bicentenaire de la Révolution française qu’il a dominées merveilleusement et la valorisation plus intime des costumes de la Comédie française et de l’Opéra de Paris qu’il a également abordée. Deux lieux prestigieux dans lesquels Wiseman a également infiltré sa caméra et où il a peut-être rencontré le chorégraphe.

 On voit bien pourtant que Découflé se laisse souvent dépasser par son directeur artistique, l’Iranien Ali Mahdavi qui, par contre, aime ce cabaret de toute son âme, de tous ses pores et montre une envie de sculpter des formes qui n’ont rien d’érotique. Il aime la femme comme essence plutôt que comme chair. La lumière et le luxe doivent passer au premier plan pour parer des formes pures.

C’est donc un conflit tendu en permanence et en quelque sorte une forme d’échec que Wiseman filme en accumulant des souffrances dont il avoue à la fin qu’elles ont conduit à une forme de discipline et d’enfermement à peine modifiée. Les spectateurs sont bien là. Ils se font eux aussi photographier par des gentils organisateurs de soirées coquines, pour pouvoir rapporter dans leur pays la preuve de leur venue dans un lieu incontournable de la vie parisienne.

 Tout rentre enfin dans l’ordre du cliché qui enferme tout le monde dans son rôle. Et le cinéaste sort intact !

 Et pourtant !

« Je vais te dire un grand secret, Le Temps c’est toi

Le temps est femme, il a

Besoin qu’on le courtise et qu’on s’asseye

A ses pieds, le temps comme une robe à défaire

Le temps comme une chevelure sans fin

Peignée

Un miroir que le souffle embue et désembue

Le temps c’est toi qui dors à l’aube où je m’éveille… »

Aragon avait bien dit.

 

Michel Thomas-Penette

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